À la suite de l’adoption du projet de loi C-86 modifiant certaines dispositions de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (« LCSA »), la liste des « particuliers ayant un contrôle important » dans une société devra maintenant être compilée dans un nouveau registre tenu par la société par actions. L’objectif de ces modifications est de créer une plus grande transparence quant à la propriété et au contrôle des sociétés par actions afin de contribuer à la lutte contre le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale.
Les nouvelles dispositions de la LCSA, qui entreront en vigueur le 13 juin 2019, s’appliqueront à toutes les sociétés régies par cette loi et qui sont des émetteurs fermés.
Qui est un « particulier ayant un contrôle important »?
Un « particulier ayant un contrôle important d’une société » est défini comme étant :
Un particulier qui est le détenteur inscrit d’un « nombre important d’actions » (registered holder);
Un particulier ayant la propriété effective d’un nombre important d’actions (beneficial owner);
Un particulier ayant un contrôle direct ou indirect ou ayant la haute main sur un nombre important d’actions.
Un particulier exerçant une influence directe ou indirecte ayant pour résultat le contrôle de fait de la société; et/ou
Un particulier à qui les circonstances réglementaires sont applicables1.
Qu’est-ce qu’un « nombre important d’actions »?
Un nombre important d’actions est défini comme étant :
Un nombre d’actions conférant 25 % ou plus des droits de vote attachés à l’ensemble des actions avec droit de vote en circulation de la société; ou
Tout nombre d’actions équivalent à 25 % ou plus de la juste valeur marchande de l’ensemble des actions en circulation de la société.
Si un « nombre important d’actions » est détenu conjointement par plusieurs particuliers ou si un des droits mentionnés ci-dessus fait l’objet d’un accord ou d’une entente prévoyant qu’il sera exercé conjointement ou de concert par plusieurs particuliers (comme une convention unanime des actionnaires par exemple), chacun de ces particuliers sera considéré comme un « particulier ayant un contrôle important ». Son nom et les autres informations mentionnées ci-dessous devront alors être indiqués dans le registre.
Quelles informations le registre doit-il contenir?
Le projet de loi C-86 prévoit que la société devra tenir, en plus des autres registres que la société tient actuellement à l’égard des administrateurs, des actionnaires et des valeurs mobilières, un registre des « particuliers ayant un contrôle important ». Ce registre devra comprendre les informations suivantes relativement à chacun des « particuliers ayant un contrôle important » :
Son nom, sa date de naissance et sa dernière adresse connue;
Sa juridiction de résidence, à des fins fiscales;
La date à laquelle il est devenu un « particulier ayant un contrôle important » de la société et, le cas échéant, celle où il a cessé d’avoir cette qualité;
Une description de la manière dont il est un « particulier ayant un contrôle important » et, le cas échéant, une description de ses droits ou intérêts relativement aux actions de la société;
Tout autre renseignement réglementaire2;
Une autre section du registre devra fournir une description de chaque mesure prise par la société afin de mettre à jour les renseignements.
La société devra s’assurer que les renseignements inscrits au registre sont exacts, exhaustifs et à jour au moins une fois au cours de chaque exercice. Toutefois, il est à noter que la société doit également, dans les 15 jours après avoir pris connaissance d’une modification, mettre à jour le registre des renseignements mentionnés ci-dessus.
Qui a accès au registre?
Les renseignements compris dans ce nouveau registre ne seront pas accessibles au public. Seuls le directeur de Corporations Canada, les actionnaires ou les créanciers de la société (ainsi que leurs représentants) peuvent, sur demande, consulter le registre. Toutefois, les renseignements obtenus par les actionnaires ou les créanciers de la société ne peuvent être utilisés que dans le cadre :
de tentatives en vue d’influencer le vote des actionnaires de la société;
de l’offre d’acquérir des valeurs mobilières de la société;
de toute autre question concernant les affaires internes de la société.
et l’actionnaire ou le créancier doit fournir un affidavit à cet effet à la société.
Le projet de loi fédéral C-97, qui modifie également la LCSA, aura pour effet d’obliger une société par actions, à la demande d’un organisme d’enquête (notamment, les forces policières et l’Agence du revenu du Canada et ses homologues provinciaux) qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une certaine infraction a été perpétrée, à fournir à l’organisme une copie de son registre des particuliers ayant un contrôle important ou tout renseignement précisé par cet organisme figurant dans ce registre3.
Quelles sont les conséquences d’un défaut de se conformer?
Les dispositions législatives prévoient plusieurs sanctions pénales qui peuvent être sévères :
Une société qui, sans motif raisonnable, contrevient à ces nouvelles dispositions commet une infraction et encourt une amende maximale de 5 000 $;
Toute personne qui, sans motif raisonnable, utilise les renseignements inscrits au registre pour des fins autres que celles décrites ci-haut commet une infraction et encourt une amende maximale de 5 000 $ et un emprisonnement maximal de 6 mois, ou l’une de ces peines;
Tout administrateur ou dirigeant d’une société qui, sciemment, (i) autorise ou permet que la société contrevienne à ces nouvelles dispositions relatives à la tenue d’un registre, (ii) inscrit ou autorise ou permet que des renseignements faux ou trompeurs soient inscrits au registre, (iii) fournit ou autorise que soient fournis à toute personne ou entité, relativement au registre, des renseignements faux ou trompeurs, s’expose à une amende maximale de 200 000 $ et un emprisonnement maximal de 6 mois, ou l’une de ces peines;
Tout actionnaire d’une société qui fournit ou autorise que soient fournis à toute personne ou entité, des renseignements faux ou trompeurs ou refuse de communiquer les renseignements demandés, s’expose à une amende maximale de 200 000 $ et un emprisonnement maximal de 6 mois, ou l’une de ces peines.
Et dans les provinces canadiennes?
La plupart des provinces canadiennes, y compris le Québec, ont déjà annoncé qu’elles emboîteraient le pas au législateur fédéral. La Colombie Britannique est la première province à proposer une modification au Business Corporations Act (BC). Le Business Corporations Amendment Act de 2019 introduit le « Transparency Register », qui est l’équivalent du Registre des particuliers ayant un contrôle important au fédéral, et ses critères d’applications. Ce projet de loi contient également une disposition permettant aux forces policières d’avoir accès au registre dans certaines situations.
Et dans les autres pays?
L'obligation de tenir un registre des particuliers exerçant un contrôle important a notamment été introduite au Royaume-Uni en avril 2016, avec l’objectif ultime de dissuader le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale en favorisant la transparence des entreprises. Le registre en place au Royaume-Uni est par ailleurs accessible au public. La législation au Royaume-Uni comprend également des sanctions pénales en cas de non-respect de ses dispositions.
À ce jour, on ne trouve dans les médias du Royaume-Uni aucune référence à des accusations criminelles contre les entreprises ayant omis de remplir le registre de People with Signifiant Control (PSC) ou ayant inscrit de fausses informations dans celui-ci. L’organisme Companies House semble plutôt axer ses interventions sur les déficiences mineures du registre afin de diminuer le nombre de déclarations incorrectes quant aux particuliers détenant un contrôle important sur une société. Companies House affirme également que le taux de conformité des sociétés est excellent et se situe entre 97 % et 99 %.
Conclusion
Les intentions à l’origine de ces nouvelles dispositions sont louables, mais plusieurs questions demeurent sans réponse à la lecture des dispositions législatives qui entreront en vigueur bientôt.
Des difficultés d’interprétation et d’application ne manqueront pas de survenir, du moins jusqu’à ce que des règlements d’application soient édictés, ou que des décisions viennent nous guider. À titre d’exemple, lorsque des structures d’entreprise comprenant plusieurs sociétés et/ou fiducies sont en place, le calcul des droits de vote et de la juste valeur marchande pourront s’avérer complexes. De même, comment faudra-t-il procéder pour déterminer la juste valeur marchande associée aux actions détenues lorsqu’une société a émis à la fois des actions privilégiées et des actions ordinaires?
Et qu’en est-il de la notion de « haute main » sur un nombre important d’actions, qui n’est pas définie dans la nouvelle législation? Comment cette notion doit-elle s’interpréter? Finalement, en ce qui concerne le contrôle de fait de la société, faudra t il se référer à la législation fiscale et à l’interprétation que les tribunaux ont fait de ce concept?
Toutes ces questions devront faire l’objet d’analyse au cours des prochains mois.
Nous vous invitons à communiquer avec notre équipe afin de mettre en place les mesures requises par cette nouvelle législation.
Notez qu’aucun règlement n’a été adopté et qu’aucun projet de règlement n’a été publié en date des présentes.
Notez qu’aucun règlement n’a été adopté et qu’aucun projet de règlement n’a été publié en date des présentes.
Le projet de loi C-97 a été adopté en 3e lecture le 6 juin 2019 et est en première lecture devant le Sénat en date des présentes.