Droit de l'employeur d'obtenir des certificats médicaux : des restrictions à venir?

Le Québec connaît actuellement une importante pénurie de médecins. Au début de 2024, pour pallier la situation, plusieurs ministres du gouvernement caquiste ont annoncé que d’importants changements seraient mis en place afin d’alléger leur charge administrative. C’est dans ce contexte que le ministre du Travail, Jean Boulet, a présenté le 31 mai 2024 le projet de loi 68 intitulé Loi visant principalement à réduire la charge administrative des médecins.

Que prévoit ce projet de loi ?

Dans sa forme actuelle, cette nouvelle loi pourrait comporter 13 articles. Plusieurs d’entre eux seraient susceptibles d’apporter des modifications importantes à la Loi sur les normes du travail1(LNT) en restreignant le droit des employeurs d’exiger des pièces justificatives à l’occasion de certaines absences.

Rappelons que, selon le droit actuellement en vigueur, l’employeur peut avoir le droit d’exiger une justification de l’employé qui s’absente pour cause de santé afin d’en évaluer les motifs, la durée ou la capacité de l’employé eu égard à son éventuel retour au travail. Cela s’explique notamment par le fait que, en vertu du contrat de travail2, tout employeur est en droit de s’attendre à ce que son employé exécute pleinement la prestation convenue. Un consensus jurisprudentiel veut également que le document justificatif remis doive habituellement indiquer un diagnostic médical précis, une durée estimée de l’absence (pronostic) ainsi que les autres détails pertinents quant à la gestion de l’absence de l’employé.

Conformément à ces principes, l’actuel article 79.2 LNT prévoit que l’employeur informé d’une absence pour cause de maladie, de don d’organe ou de tissus, d’accident, de violence conjugale, de violence à caractère sexuel ou d’acte criminel peut « demander à la personne salariée, si les circonstances le justifient eu égard notamment à la durée de l’absence ou au caractère répétitif de celle-ci, de lui fournir un document attestant ces motifs ». Selon la jurisprudence arbitrale3 et celle du Tribunal administratif du travail (TAT),4 le refus injustifié de remettre un tel certificat peut constituer un motif valable à l’imposition d’une mesure, administrative ou disciplinaire, selon les circonstances.

Cela étant dit, le projet de loi 68, s’il entre en vigueur, risque de bouleverser cet équilibre.

En effet, un alinéa pourrait être ajouté à l’article 79.2 LNT précisant que : « L’employeur ne peut demander le document visé au premier alinéa pour les trois premières périodes d’absence d’une durée de trois journées consécutives ou moins prises annuellement. » Il serait donc interdit d’exiger un document justificatif, notamment un certificat médical, pour les trois (3) premières absences de courte durée (moins de quatre (4) jours) qui pourraient se produire au cours d’une même année civile. Aucune exception n’est actuellement prévue pour les cas où l’absence serait abusive ou autrement suspecte.

Sous quelles conditions les employeurs pourront exiger un certificat médical ?

Les employeurs conserveraient le droit d’exiger un certificat médical lorsque l’absence est susceptible de durer quatre (4) jours consécutifs ou plus. Notons aussi que la disposition ne semble pas priver l’employeur de son droit d’enquêter sur les situations qui lui paraissent douteuses. Une interdiction dans le même sens pourrait également s’appliquer aux employeurs dont les salariés sont régis par la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction5.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit une modification aux dispositions relatives aux absences et aux congés pour raisons familiales ou parentales. Le troisième alinéa de l’article 79.7 LNT serait alors modifié afin que l’employeur ne puisse d’aucune façon exiger un certificat médical afin de justifier une telle absence. Ce changement n’affecte cependant en rien son droit d’exiger un autre type de justification, notamment en ce qui concerne des obligations liées aux services de garde ou aux établissements d’enseignement.

En cas de contravention, notons que les dispositions pénales déjà intégrées à la LNT aux articles 139 à 147 s’appliqueraient. Ces changements étant d’ordre public et ayant préséance sur tout contrat, politique ou convention collective, une mesure imposée à un employé en contravention à l’une de ces nouvelles obligations pourrait également être invalide ou faire l’objet d’une plainte fondée sur une pratique interdite.

Quel impact pour les assureurs et les administrateurs de régimes d’assurances?

Dans un autre ordre d’idées, ce projet de loi vise également à instaurer une nouvelle interdiction à l’égard des assureurs et des administrateurs de régimes d’assurances sociales. Ceux-ci risquent de ne plus pouvoir exiger des services médicaux, tels qu'une consultation, dans le but de rembourser le coût de services ou d’une aide technique, ou de maintenir le versement de prestations d’invalidité.

Conclusion

En dernier lieu, rappelons que ce projet de loi n’a pas encore fait l’objet de débats parlementaires et qu’il n’a pas été sanctionné par l’Assemblée nationale. Il reste toutefois que, dans sa version actuelle, les changements apportés à la LNT pourraient entrer en vigueur dès le 1er janvier 2025.


  1. RLRQ, c. N-1.1.
  2. Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 2085.
  3. Voir notamment la jurisprudence citée dans Linda BERNIER, Guy BLANCHET et Éric SÉGUIN, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, feuilles mobiles, à jour au 30 mai 2024, par. 1.055. et ss.
  4. Voir notamment : Marchessault et CPE Les Petits Adultes, 2019 QCTAT 1632, par. 37-38; Labourdette et Protecteur du citoyen, 2019 QCTAT 4831, par. 52.
  5. RLRQ, c. R-20.
Retour à la liste des publications

Auteur

Restez à l'affût des nouvelles juridiques de l'heure. Abonnez-vous à notre infolettre.

M'abonner aux publications