Choisir le nom d'une équipe sportive est souvent un exercice périlleux. Il doit être motivant et représentatif auprès de la base de partisans et pour les membres de l'équipe. Il doit aussi parfois être représentatif de certains commanditaires importants. Mais lorsque l'équipe est une entreprise et souhaite des retombées commerciales de l’usage de ses marques, il faut aussi tenir compte de considérations juridiques.
En effet, ce nom d’équipe est lié à l'organisation d'événements sportifs qui permettent la vente de billets. On y associe souvent aussi des produits tels que des casquettes ou des chandails que les partisans portent fièrement. Tout cela fait du nom de l'équipe une marque de commerce. Cette marque de commerce permet de distinguer l'équipe de ses concurrents, mais est aussi importante pour le financement de l'entreprise.
Au nom est souvent associé un logo qui véhicule les valeurs de l'équipe. Ce logo peut incorporer plusieurs éléments caractéristiques en plus du nom. Il est aussi souvent appelé à se retrouver sur divers produits.
Voici quelques problèmes observés avec certaines de ces marques :
Les marques portant à confusion
Vous souvenez-vous de l'époque où la Ligue canadienne de football opposait parfois les Roughriders de la Saskatchewan et les Rough Riders d'Ottawa? Ce genre de situation n’est pas idéale pour suivre une partie et du point de vue des marques de commerce, elle est à proscrire, puisqu'il sera probablement impossible pour au moins une des deux équipes d'enregistrer sa marque de commerce. Rappelons que les enregistrements de marques de commerce ont, en règle générale, une portée nationale.
Des marques similaires sont toutefois monnaie courante parmi les équipes de sport, notamment entre des équipes exerçant des sports différents. Il suffit de penser aux Rangers de New-York (hockey) et aux Rangers du Texas (baseball), ou aux Panthers de la Floride (hockey) et aux Panthers de la Caroline (football américain). Une telle coexistence peut empêcher une des deux équipes d’obtenir un enregistrement pour sa marque de commerce, surtout si la description des produits et services de l’autre équipe est large. Par exemple, si la description des services de la première équipe à enregistrer sa marque inclut la présentation de match sportifs ou la vente de chandails, sans spécifier le sport associé, il devient difficile pour l’autre équipe d’obtenir l’enregistrement pour un sport différent, puisqu’il y aurait alors un risque de confusion d’un point de vue juridique entre les deux marques.
Enregistrer un logo permet parfois de surmonter le problème si les logos des équipes sont substantiellement différents. Toutefois, cette approche est inefficace lorsque le logo est principalement constitué du nom de l’équipe. Dans un tel cas, l’office de la propriété intellectuelle assimilera la marque au texte qu’elle contient pour évaluer le risque de confusion. Un logo où le nom de l’équipe n’apparaît pas est donc souvent plus facile à protéger, pour autant qu’il se distingue des logos des autres équipes existantes.
Le cas d'équipes exerçant le même sport dans différentes ligues est encore plus délicat. On voit souvent de telles situations entre des équipes de hockey de ligues mineures et de ligues majeures. Aucun problème ne se pose lorsque l’équipe de la ligue mineure appartient aux mêmes intérêts, puisqu’il est facile alors de conclure une licence entre les deux et de consolider la détention des marques dans les mains d’une seule entreprise. Par contre, ce genre de situation demeure parfois l’effet du hasard ou de la volonté inconsciente de s’associer à une équipe des ligues majeures.
À tout le moins, les équipes se trouvant dans ce genre de situation devraient songer à conclure une entente de coexistence. Par exemple, le 10 janvier 2018, l’équipe de parachutisme de l’armée américaine, surnommée les Golden Knights, a soumis sa notification formelle d'opposition auprès de la Commission de première instance et d'appel en matière de marques aux États-Unis réclamant que les demandes d’enregistrement des Vegas Golden Knights soient refusées. Ces équipes se sont finalement entendues en signant une entente de coexistence. Dans les faits, le risque de confusion entre ces deux équipes était peut-être plus limité compte tenu de la nature très différente des activités de l’une et de l’autre.
En outre, une marque de commerce d’équipe doit tenter d’être distinctive et de ne pas se limiter à une description générique du sport ou du lieu où l'équipe est localisée.
Les marques socialement inacceptables
Un logo ou un nom d’équipe, même enregistrable et juridiquement valide, peut être inacceptable socialement.
Ce concept d’acceptabilité sociale est évolutif, il n’est pas figé dans le temps. Certaines marques qui ont été utilisées pendant de nombreuses années ne sont plus acceptables aujourd’hui. L’ont-elles déjà été d'ailleurs? Il suffit de penser aux marques comme Tante Jemima (Aunt Jemima) ou Uncle Ben’s qui, malgré des années d’usage commercial, ont été remplacées par des marques plus acceptables socialement.
Dans le milieu du sport, on se rappelle les anciens Indians de Cleveland et leur logo arborant le « Chef Wahoo ». À la suite de revendications sociales, cette équipe a d’abord cessé d’utiliser ce logo, pour finalement modifier son nom pour adopter celui des Guardians de Cleveland.
Cette réalité est tout aussi présente au Canada :
- Les Eskimos d’Edmonton, au football canadien, sont devenus les Elks d’Edmonton après que l’organisation a reconnu « que le nom pouvait être offensant pour les Inuits et les autres peuples autochtones du Canada ».
- L’université McGill, en 2019, a modifié le nom de son équipe des Redmen pour adopter celui des Redbirds. Ce changement de nom était la conséquence d’un référendum étudiant qui y était favorable à hauteur de 78,8 %.
- Les Indiens du Collège Ahuntsic sont devenus les Aigles en 2020, aussi après avoir été l’objet d’un vote étudiant.
Une équipe sportive, pour protéger sa marque, devra donc aussi prendre en compte l’enjeu évolutif de l’acceptabilité sociale afin de permettre à cette marque de durer dans le temps en évitant les stéréotypes raciaux ou discriminatoires.
Il est justifié de se questionner quant à la survie de quelques marques actuelles d’équipes sportives professionnelles. Au football américain, les Chiefs de Kansas City et les Vikings du Minnesota arborent des stéréotypes qui sont questionnés depuis quelques années maintenant. Au hockey, les mêmes questions se posent pour les Blackhawks de Chicago, dont plusieurs communautés revendiquent le changement du nom et du logo, alors que d’autres prétendent qu’il s’agit plutôt d’un hommage. Les Braves d’Atlanta au baseball ne sont pas épargnés et subissent aussi une certaine pression sociale.
Les marques adoptées par les partisans
Certaines marques de commerce dans le milieu du sport ne proviennent pas des organisations ou des propriétaires, mais bien des partisans. Nous pouvons penser aux surnoms Habs pour les Canadiens de Montréal, les Als pour les Alouettes de Montréal, ou Nos Amours pour les anciens Expos de Montréal. Ces diminutifs sont-ils la propriété de la communauté ayant consacré ces noms d’emprunt?
En fait, certaines de ces marques ont été enregistrées avec succès au Canada :
- La marque de commerce Habs est enregistrée depuis 2003 afin de fournir des services de divertissement et depuis 2007 pour les marchandises tels que les vêtements et autres objets promotionnels.
- La marque de commerce Als est enregistrée depuis 2014 pour tous les objets promotionnels et les services de divertissement.
- La marque de commerce Barça, représentant le diminutif du club de soccer professionnel de Barcelone, le FC Barcelone, est enregistrée au Canada depuis 2022 pour tous les produits promotionnels.
Toutefois, Nos Amours et Sainte-Flanelle ne sont pas enregistrées pour le moment au Canada, alors que Tricolore Sports et Bleu Blanc Rouge ont récemment fait l’objet de demandes d’enregistrement.
L’enjeu qui en découle est donc l’opportunité pour des organisations sportives d’enregistrer et de protéger ces marques qui deviennent distinctives à travers l’usage qu’en font les partisans.
Les marques liées à un commanditaire
Une équipe peut vouloir adopter un nom et une marque qui rendent hommage à une entreprise propriétaire ou à un commanditaire important. Qu'on pense à l'ancienne désignation de l'équipe d'Anaheim, les Mighty Ducks, en référence à une trilogie de films de Disney.
En soi, cette situation n'est pas problématique, puisqu'il s'agit de deux entreprises distinctes. Par contre, la situation peut se compliquer lorsque la relation devient tendue avec ce commanditaire ou si celui-ci cesse de commanditer l'équipe. Il faut donc prévoir une convention établissant les droits du commanditaire sur sa marque et les délais pour que l'équipe change son nom et ses marques si le commanditaire se retire, et aussi le fait que le commanditaire ne puisse pas s'ingérer dans la gestion de l'équipe. L'équipe devrait aussi se réserver le droit de changer son nom et sa marque pour divers motifs, notamment pour des raisons réputationnelles. Enfin, si le commanditaire vend des équipements sportifs ou autres produits liés à l'équipe, il faut s'assurer que l'équipe puisse vendre ses propres produits promotionnels sans se retrouver en contravention de la marque du commanditaire. Une telle situation, si elle n’est pas encadrée contractuellement, pourrait même affecter la validité des enregistrements de la marque du commanditaire, puisqu’il n’exercerait alors pas un contrôle adéquat sur sa marque de commerce.
Les divers enjeux ci-dessus peuvent non seulement affecter l'image de l'entreprise, mais aussi l'empêcher de protéger adéquatement sa marque. En effet, l’enregistrement permet non seulement d’avoir une protection pour l’ensemble d’un pays, ou de plusieurs pays si des demandes sont présentées hors du Canada, mais il permet surtout d’atteindre une plus grande certitude juridique quant à la marque de commerce. Une marque enregistrée facilite grandement l’intervention à l’encontre d’entreprises malveillantes qui voudraient contrefaire les marques enregistrées à leur profit. Qui plus est, l’enregistrement permet dans plusieurs cas de bloquer l’importation de marchandise contrefaite.
Une équipe sportive qui souhaite profiter des retombées commerciales liées à sa marque devrait donc valider, dès le départ, si l’enregistrement de la marque est possible. Dans la négative, il pourrait être opportun de travailler de près avec ses avocats et agents de marques pour trouver une marque enregistrable qui n’est pas touchée par les enjeux présentés ci-dessus.