A-t-on le droit de copier le code source écrit et développé par quelqu’un d’autre? La réponse à cette question dépend du contexte, mais même en contexte d’innovation ouverte, les droits de propriété intellectuelle sont le point de départ de l’analyse requise pour y répondre.
Dans le domaine du logiciel, les licences open source (parfois désignées « licences de logiciels ouverts ou libres » ou « licences à source ouverte » (Open Source) permettent de donner à tous accès au code source du logiciel, gratuitement et avec peu de restrictions. Le but est généralement de favoriser l’évolution de ce code en incitant le plus grand nombre de gens à l’utiliser. Linus Torval, le programmeur du noyau Linux (certainement l’un des plus importants projets open source) a récemment déclaré que sans l’approche open source, son projet n’aurait probablement pas survécu1.
Cette approche a des conséquences juridiques : la société Vizio est depuis peu visée par une poursuite alléguant le non-respect d’une licence open source de type GPL lors de la conception du logiciel SmartCast OS intégré aux téléviseurs qu’elle fabrique. Elle est poursuivie par Software Freedom Conservacy (« SFC »), un organisme américain sans but lucratif faisant la promotion et la défense de licences open source. Dans le cadre de sa poursuite, SFC allègue notamment que Vizio devait distribuer le code source de SmartCast OS sous la même licence open source, ce que Vizio n’a pas fait, privant les consommateurs de leurs droits2.
En droit canadien, l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur3 confère à l’auteur le droit exclusif de produire ou de reproduire la totalité ou une partie importante d’une œuvre originale. Ce principe est repris par tous les pays signataires de la Convention de Berne de 1886, soit la quasi-totalité des pays du monde. Le contrat de licence, qui permet de conférer à une autre personne le droit de reproduire l’œuvre, peut prendre différentes formes. Il permet aussi d’établir l’étendue des droits conférés et les modalités de l’utilisation permise.
Mais toutes les licences de type open source ne sont pas équivalentes. Plusieurs permettent aux créateurs d’assortir le droit d’utiliser le code rendu ainsi disponible à diverses conditions. En vertu de ces licences, l’utilisation de l’œuvre ou du logiciel peut être faite par tous, mais est susceptible d’être assujettie aux contraintes suivantes, selon le type de licence en vigueur :
- Obligation d’affichage : Une licence open sourcepeut exiger la divulgation de certaines informations dans le logiciel ou dans le code source lui-même :
- Le nom de l’auteur, son pseudonyme ou même son anonymisation, selon le souhait de cet auteur et/ou citation du titre de l’œuvre ou logiciel;
- La licence d’utilisation de l’œuvre ou du logiciel Open source redistribué;
- La mention de modification pour chaque fichier modifié;
- La mention d’exclusion de garantie.
- Devoir contributif : Certaines licences exigent le partage de toute modification du code open source,à des conditions identiques. Dans certains cas, cette obligation va même jusqu’à inclure tout logiciel qui incorpore le code open source. En d’autres mots, le code dérivé du matériel open source devient aussi open source. Ce devoir contributif peut généralement être catégorisé selon l’un des niveaux suivants :
- Toute redistribution doit se faire sous la licence initiale, faisant en sorte que le résultat devienne lui aussi open source;
- Toute redistribution du code, modifié ou non, doit se faire sous la licence initiale, mais un autre code peut être associé ou ajouté sans être assujetti à la licence open source;
- Toute redistribution se fait sans contrainte de partage.
- Interdiction de commercialisation : Certaines licences interdisent toute utilisation à des fins commerciales.
Apache v2 | ||
Niveau de l’obligation du devoir contributif à la redistribution Toute redistribution du logiciel, modifié ou non, ou comportant des composantes ajoutées, peut se faire selon d'autres termes. |
Éléments d’affichage obligatoires
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Utilisation commerciale permise Oui |
BSD | ||
Niveau de l’obligation du devoir contributif à la redistribution Toute redistribution du logiciel peut se faire sans obligation de partage. |
Éléments d’affichage obligatoires
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Utilisation commerciale permise Oui |
CC BY-NC 4.0 | ||
Niveau de l’obligation du devoir contributif à la redistribution Toute redistribution du logiciel peut se faire sans obligation de partage. |
Éléments d’affichage obligatoires
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Utilisation commerciale permise Non |
CC0 1.0 | ||
Niveau de l’obligation du devoir contributif à la redistribution Toute redistribution du logiciel peut se faire sans obligation de partage. |
Éléments d’affichage obligatoires
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Utilisation commerciale permise Oui |
GPLv3 | ||
Niveau de l’obligation du devoir contributif à la redistribution Toute redistribution du logiciel, modifié ou non, ou comportant des composantes ajoutées, doit se faire selon les termes de la licence initiale. |
Éléments d’affichage obligatoires
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Utilisation commerciale permise Oui, mais les sous-licences sont interdites. |
LGPLv3 | ||
Niveau de l’obligation du devoir contributif à la redistribution La redistribution du logiciel, modifié ou non, doit se faire selon les termes de la licence initiale. De nouvelles composantes peuvent être ajoutées, mais non intégrées, sous d’autres licences non open Source. |
Éléments d’affichage obligatoires
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Utilisation commerciale permise Oui |
MIT | ||
Niveau de l’obligation du devoir contributif à la redistribution Toute redistribution du logiciel peut se faire sans obligation de partage. |
Éléments d’affichage obligatoires
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Utilisation commerciale permise Oui |
Il est important de sensibiliser les équipes de programmation aux problématiques pouvant survenir en cas d’utilisation de modules régis par des licences « contaminantes » (telle que la licence CC BY-NC 4.0) dans la conception de logiciels à vocation commerciale. Ces logiciels pourraient perdre une valeur importante en cas d’incorporation de tels modules, rendant ainsi difficile, voire impossible, toute commercialisation du logiciel.
Dans un contexte d’innovation ouverte où il est souhaité par les développeurs de partager leur code informatique, notamment pour susciter les collaborations, il est important de bien comprendre la portée de ces diverses licences. Le choix de la licence appropriée doit se faire en tenant compte des objectifs du projet. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit qu’il n’est pas toujours possible de changer la licence utilisée pour la distribution du code une fois que celui-ci a commencé à être distribué. Le choix de la licence peut donc avoir des conséquences à long terme sur un projet.
- David Cassel, Linus Torvalds on Community, Rust and Linux’s Longevity, The NewStack, 1 Oct 2021, en ligne : https://thenewstack.io.
- Voir le communiqué de presse de SFC : https://sfconservancy.org/copyleft-compliance/vizio.html
- LRC 1985, c. C-42.