La Cour suprême du Canada s'était déjà posé la question dans l'arrêt Evans c. Teamsters Local Union No. 311 et avait conclu que, dans certaines circonstances, lorsqu'un employeur propose un nouvel emploi à un employé congédié, ce dernier pourrait devoir l'accepter afin de minimiser son préjudice.
Quelques années plus tard, dans l’arrêt 2108805 Ontario inc. c. Boulad2 la Cour d’appel mentionnait qu'il ne s'agissait pas d'un automatisme puisqu’on ne pourrait pas exiger de l’employé qu’il accepte le poste offert en l’absence d’une compréhension et d’un respect mutuel entre les parties.
Plus récemment, les tribunaux nous indiquent qu'il ne s'agirait effectivement pas d'un automatisme et rappellent l'importance de procéder à une analyse de toutes les circonstances afin de déterminer si l'employé peut être requis d'accepter une offre de son ancien employeur.
En bref, il faut déterminer si une personne raisonnable placée dans la même situation accepterait l'offre de l'employeur. Tant les aspects tangibles, tels que la nature et les conditions de l'emploi, que les aspects intangibles, notamment le climat de travail et la préservation de la dignité, sont essentiels et doivent être pris en considération.
La mitigation des dommages
Pour déterminer si un employé a fait l’objet d’un congédiement déguisé, on doit se demander si une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, aurait considéré qu’il s’agit d’une modification substantielle des conditions essentielles de son contrat de travail.
Dans l’arrêt St-Laurent c. Cosmétiques Baronesse inc. 3, le Tribunal administratif du travail a répondu à cette question en confirmant que chaque situation est un cas d’espèce.
Dans cette affaire, le juge administratif conclut que la plaignante n’était pas tenue de mitiger ses dommages en acceptant un changement de territoire car cette modification n’était pas compatible avec ses obligations familiales, à la lumière de l’ensemble des faits et des relations entre les parties.
Distributeur de produits cosmétiques pour les professionnels de salons d’esthétique et de spas, l’employeur confie à la plaignante, résidente de Chambly, l’emploi de représentante des ventes sur le territoire de la Rive-Sud. Ce territoire s’étend de Boucherville à Drummondville, de Brossard à Sherbrooke et comprend aussi Vaudreuil.
Quand s’ajoutera une partie du centre-ville et de l’ouest de Montréal, la plaignante bénéficiera d’une souplesse d’horaire pour s’occuper de ses enfants dont elle assume une garde partagée une semaine sur deux.
Après une absence pour cause d’invalidité, la plaignante est informée de la nécessité de devoir désormais respecter un horaire strict et qu’en raison de plaintes de clients, son territoire serait désormais celui de la Rive-Nord (Laval, Laurentides, Ottawa et Gatineau), avec obligation de travailler plus de 40 heures par semaine, malgré l’avis contraire de son médecin traitant.
D’une part, le Tribunal souligne que la preuve non contredite démontre que la plaignante a initialement accepté l’emploi de représentante parce que l’employeur lui offrait de travailler sur le territoire de la Rive-Sud et permettait une souplesse d’horaire.
D’autre part, l’employeur n’a pas établi de politiques ou pratiques selon lesquelles des changements de territoires pouvaient être effectués régulièrement ou dans certaines circonstances.
Enfin, le Tribunal note le défaut par l’employeur de tenter un aménagement d’horaire ou de territoire de vente et alors qu’il avait embauché deux représentantes pour remplacer la plaignante et pour lesquelles il avait réaménagé le territoire.
Placée dans cette situation sans autre ajustement, la plaignante n’avait d’autre choix que de refuser ces modifications. Le Tribunal confirme l’absence de démission et accueille la plainte pour congédiement déguisé.
Le délai-congé
Une employée congédiée a l'obligation de mitiger ses dommages, c'est-à-dire qu'elle doit déployer des efforts raisonnables pour se trouver un emploi dans son domaine d'activités ou un domaine connexe, et elle ne doit pas refuser d'offres d'emploi jugées raisonnables dans les circonstances.
L'évaluation du délai-congé raisonnable est une question de fait qui doit également tenir compte de l’ensemble de la situation. La question de savoir s'il y a lieu de réduire ce délai-congé en raison d'un manquement de la part de l'employée à son obligation de mitiger ses dommages, une obligation de moyen, s'avère tout aussi factuelle 4.
Il s'agit donc encore une fois d'une évaluation au cas par cas.
Que retenir dans une évaluation des modalités offertes à une personne faisant face à une cessation de son emploi?
Somme toute, bien qu'il puisse être raisonnable qu’un employé dont le poste a été aboli doive accepter un emploi proposé par son employeur afin de mitiger ses dommages, il ne s'agit pas d'un automatisme et il est alors nécessaire de procéder à une évaluation de tous les faits et circonstances.
Dans l’appréciation du poste et des modalités proposées à cet employé et pour valablement prétendre que ce dernier serait tenu à une telle obligation de mitigation, un gestionnaire avisé devrait vérifier s’il existe des obstacles à un maintien en emploi dans ces conditions, notamment parce qu’une personne raisonnable placée dans la situation accepterait vu qu’elle n’en subirait pas de gêne, d’humiliation, d’hostilité ou de perte de dignité.
Les membres de l’équipe Droit du travail et Emploi demeurent disponibles pour vous conseiller et répondre à vos questionnements.
- 2008 CSC 20.
- 2016 QCCA 75
- 2021 QCTAT 3732.
- CISSS des Laurentides c. St-Arnaud, 2021 QCCS 2071.