Le 6 août 2013, la Cour d’Appel du Québec rendait une décision fort intéressante dans l’affaire Anglo Pacific Group plc c. Ernst & Young Inc., 9261-0690 Québec Inc., Northern Star Mining Corp. et Jake Resources Inc.
Cette décision s’avère intéressante sur plusieurs points, notamment en ce que la Cour y analyse la nature juridique d’un accord de redevances conclu dans le contexte du droit minier québécois et également parce qu’elle se prononce sur l’effet de la publication d’un droit dans le Registre public des droits miniers, réels et immobiliers tenu en vertu de la Loi sur les mines (Québec) (le « Registre minier »).
Faits
Les débitrices Northern Star Mining Corp. et Jake Resources Inc., des sociétés œuvrant dans le secteur de l’exploration aurifère à Val d’Or, étaient titulaires de claims miniers et se proposaient de passer à l’étape de l’extraction et de l’exploitation du minerai devant être traité à leur usine de raffinage. A l’occasion d’un financement consenti par Anglo Pacific Group plc, les débitrices ont signé un document intitulé Senior Secured Convertible Debenture auquel était joint un accord de redevances. Au moment de la conclusion de cet accord, les débitrices n’étaient toutefois pas encore titulaires d’un bail minier et n’avaient donc pas encore le droit d’extraire le minerai. Avant l’obtention de ce bail minier, les débitrices devinrent insolvable et leurs actifs ont dû être vendus. En première instance, la Cour supérieure a déterminé que, dans le cadre d’une ordonnance de dévolution en vertu de l’article 243 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (Canada), l’acquéreur ont acquis les biens libres de l’accord de redevances. La Cour d’Appel a confirmé ce jugement sur ce point. La Cour d’Appel s’est penchée sur l’analyse de l’accord de redevances en droit civil québécois et c’est sur ce dernier point que nous analysons ici le jugement.
Accord de redevance : droit réel vs droit personnel
Dans un premier temps, la Cour a dû déterminer si l’accord de redevances conclu dans le contexte d’un prêt constaté dans un acte d’obligation intitulé « Senior Secured Convertible Debenture » était constitutif de droits réels ou personnels et ce, afin de déterminer si ces droits se sont éteints par la faillite et la vente des actifs sous-jacents ou s’ils bénéficiaient d’un droit de suite entre les mains du tiers acquéreur.
D’entrée de jeu, la Cour rappelle que le droit civil est un système complet et qu’il faut se garder d’adopter des principes provenant de systèmes juridiques étrangers sans se questionner sur leur compatibilité avec notre droit, principe ayant d’ailleurs été préalablement énoncé par la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Farber c. Cie Trust Royal. Cette mise en garde de la Cour s’est avéré nécessaire puisque l’appelante cherchait par son plaidoyer à importer des notions de common law applicables aux redevances minières.
Rappelant qu’un droit réel confère à son titulaire un pouvoir pouvant être exercé directement sur le bien, et non contre une personne, la Cour conclut que les termes de l’accord de redevance sous étude n’ont pas eu pour effet de constituer un droit réel dans les substances minérales à l’étape d’un claim minier. En effet, cet accord n’a pas eu pour effet de conférer une droit direct dans les substances minérales puisque l’accord ne donnait pas à son titulaire le droit d’en user directement, d’en jouir ou d’en disposer. Le paiement de la redevance y était subordonnée à la vente par les débitrices de la substance minérale extraite ou traitée. La Cour conclut donc que l’accord de redevances n’a constitué qu’ un droit personnel de percevoir la redevance.
D’un point de vue strictement légal, cette conclusion n’est pas surprenante en soi considérant les exigences du Code civil du Québec (« Code civil ») en matière de droits réels et de démembrement du droit de propriété.
Là où la décision surprend c’est lorsque la Cour laisse entendre en obiter qu’il serait par ailleurs possible qu’un accord similaire crée un droit réel innommé (c’est-à-dire un démembrement du droit de propriété qui ne serait pas expressément nommé au Code civil, tels l’usufruit, l’usage, la servitude et l’emphytéose). La Cour allègue qu’il suffirait alors que l’accord octroie un droit réel dans la chose comportant l’un des attributs essentiels de la propriété – soit le droit d’user (usus), le droit de jouir (fructus) et le droit de disposer librement du bien (abusus) ainsi qu’un droit de suite sur le bien en cas de vente.
Fait intéressant, la Cour justifie son obiter en précisant :
« A l’heure où le droit minier s’annonce comme une force motrice de l’économie québécoise, le droit civil doit s’adapter, sans saper les fondements du droit de la propriété et sans occulter les conditions de la constitution d’un droit réel, à la réalité économique et législative rattachée au droit minier. Le droit civil comporte suffisamment de souplesse pour permettre au titulaire d’un claim minier – un propriétaire potentiel des substances minérales extraites – de conférer un droit réel non seulement sur le claim, mais aussi sur les substances minérales extraites à l’égard desquelles il aura obtenu un droit de propriété, après l’octroi d’un bail minier. »
La position de la Cour surprend d’autant plus puisque, dans cette affaire, les débitrices ne détenaient que des claims miniers. Rappelons qu’un claim, bien que qualifié de droit réel et immobilier par la Loi sur les mines, est par essence temporaire et n’octroie à son titulaire qu’un droit exclusif d’exploration limité à certaines substances minérales.
Pour en arriver à ce constat, la Cour dresse un parallèle entre l’hypothèque de droits futurs qui est possible en droit québécois et le droit éventuel du bénéficiaire d’un claim minier à l’obtention d’un bail minier. Droit éventuel, puisque les conditions de délivrance du bail minier prévues à la Loi sur les mines doivent être rencontrées au préalable. C’est ce bail minier, une fois obtenu, qui confère au titulaire les droits et obligations d’un propriétaire, dont le droit d’exploiter, d’extraire et de vendre les substances minérales.
La Cour conclut alors qu’il serait théoriquement possible qu’un accord de redevances puisse octroyer un droit réel innommé directement dans les minerais qui seraient éventuellement extraits si le titulaire du claim devient par la suite titulaire d’un bail minier. Il s’agirait en quelque sorte d’un droit réel innommé consenti sous condition suspensive de l’obtention futur d’un bail minier. La Cour ouvre donc une porte à un nouveau type d’accord de redevance. Encore faut-il le rédiger !
Effet de la publication d’un droit au Registre minier
Dans un deuxième temps, l’appelante soutenait que la publication de l’accord de redevance au Registre minier l’exemptait de publication au registre foncier et rendait ainsi l’accord de redevance opposable aux tiers. L’intimée et la mise en cause soutenaient au contraire que le défaut de publication de l’accord au registre foncier faisait en sorte que l’accord leur était inopposable.
Après analyse des lois applicables, la Cour émet deux constats :
- D’une part, l’article 14 de la Loi sur les mines (Québec) prévoit que, pour être opposable à l’État, le transfert d’un droit minier ou tout acte relatif à ce droit doit être publié au Registre minier ;
- D’autre part, la Loi sur les mines (Québec) étant silencieuse quant à l’opposabilité aux tiers, il faut s’en remettre au régime général de la publicité des droits contenues au Code civil, lequel exige la publication au registre foncier de tout droit réel immobilier.
Sans se prononcer sur l’effet envers les tiers de la publication d’un droit personnel, la Cour conclut que la publication d’un droit au Registre miner n’a pour seul effet que de rendre ce droit opposable à l’État et que pour être opposable aux tiers l’accord de redevance devait être publié au registre foncier, cette publication pouvant se faire au Registre des droits réels d’exploitation des ressources de l’État, lequel fait partie intégrante du registre foncier.
Nous pouvons par ailleurs nous demander quel impact aura ce jugement sur la publication au registre foncier d’un tel droit réel innommé dès l’étape d’un claim minier et sur son opposabilité aux tiers et aux autres créanciers puisqu’en l’occurrence, les droits d’exploration tels les claims miniers sont exemptés, de par la Loi sur les mines (Québec), de publication au registre foncier justement pour éviter l’encombrement du registre foncier à l’étape de l’exploration minière.