La Cour supérieure du Québec se prononce sur les conjoints de fait et le droit d’usage d’une résidence durant l’instance

Dans un jugement daté du 16 février 2021, dans un dossier impliquant deux ex-conjoints de fait, la Cour supérieure rejette une injonction interlocutoire présentée par le demandeur (ci-après, « le conjoint ») visant l’expulsion de la défenderesse (ci-après, « la conjointe ») de ce qui fut la résidence commune.

Après 32 ans de vie commune en union de fait, les parties se séparent. Le conjoint, seul propriétaire de la résidence familiale, quitte la résidence alors que la conjointe continue de l’habiter. Les enfants des parties sont majeurs et autonomes financièrement et ne résident plus à la résidence. Après quelques semaines de séparation, le conjoint décide de mettre la résidence en vente et demande à la conjointe de quitter la résidence en prévision de sa prise de possession par un acquéreur ayant démontré son intérêt. La conjointe refuse, ce qui provoque la demande d’injonction interlocutoire du conjoint visant son expulsion de la résidence. Parallèlement, la conjointe a entrepris un recours en enrichissement injustifié contre le conjoint.

Apparence de droit

Lorsqu’il est question d’une injonction interlocutoire mandatoire, le fardeau de la preuve que doit rencontrer le demandeur s’entend de ce que la Cour qualifie de « forte apparence de droit »1. Cela se justifie, entre autres, par le fait que rares sont les situations où le demandeur ne sera pas en mesure d’obtenir réparation au procès sur le fond. Les conséquences importantes d’une telle injonction sur le défendeur demandent effectivement qu’une telle analyse soit effectuée par le juge.

À cet égard, le conjoint plaide qu’il est le seul propriétaire de la résidence, le tout conformément au titre. La conjointe argumente l’enrichissement injustifié découlant des obligations familiales qu’elle a dû supporter sans pouvoir occuper d’emploi alors que le conjoint s’investissait dans sa carrière de plus en plus florissante. Elle évoque aussi les arrangements financiers conclus entre les parties durant la vie commune. En effet, dès le début de leur relation, un accord était intervenu sur le partage des biens accumulés dans la mesure où la conjointe demeurerait à la maison. La conjointe considère que la mise en commun des efforts et des actifs des parties durant la vie commune s’applique aussi à la résidence dont le conjoint tente de l’expulser. Selon la conjointe, il a toujours été clair qu’elle était copropriétaire de cette résidence sans pour autant qu’un titre en fasse mention.

Selon la Cour, « le mode d’organisation familial mis en place par les parties dans le cadre d'une union de fait de longue durée, de type traditionnel »2 faisait obstacle à la prétention du conjoint à un droit unilatéral quant aux décisions touchant à la résidence familiale.

Préjudice irréparable

Au sujet du préjudice irréparable, la Cour considère qu’il n’est pas plausible que la résidence perde de la valeur du seul fait qu’il n’est pas possible de procéder à sa vente sur le champ. De plus, si un préjudice venait à en découler, il ne pourrait pas être qualifié d’irréparable.

Au contraire, pour la Cour, c’est plutôt la conjointe qui pourrait subir un préjudice sérieux et irréparable. En effet, la vente de la maison avant l’audition au fond exclurait la possibilité pour elle de proposer d’acquérir la part du conjoint dans la maison advenant une conclusion du Tribunal selon laquelle une portion de la valeur de la résidence lui revient.

Balance des inconvénients

La Cour conclut que la balance des inconvénients penche en faveur de la conjointe. Le seul inconvénient du conjoint est d’ordre financier. La conjointe, pour sa part, sans actifs ni revenus et atteinte de la sclérose en plaques, subirait un inconvénient bien plus grave des suites d’un déménagement au milieu de l’hiver probablement à distance marquée du milieu de vie auquel elle s’est habituée depuis plus de 30 ans.

Conclusion

Ce jugement de la Cour supérieure rejetant l’injonction du conjoint dans un contexte d’union de fait sera certainement marquant pour l’avancement des droits des conjoints de fait, puisqu’il permet à une ex-conjointe de fait, sans enfants mineurs, de demeurer, pendant l’instance, dans une résidence pour laquelle elle « ne possède pas de titre de propriété » au moment de l’injonction interlocutoire.

Rappelons qu’en 2013, la Cour suprême se prononçait sur la cause médiatisée Éric et Lola et la majorité avait opté pour le maintien du statu quo, c.-à-d. l’absence de droit au soutien alimentaire et au partage des biens dont un conjoint n’est pas propriétaire3. Or, plusieurs conjoints de fait peuvent se retrouver dans une situation précaire à la suite d’une rupture.

La décision Laroche c. Couillard met en lumière l’importance des accords conclus au cours de la relation en union de fait ainsi que la validité de telles ententes, et ce, malgré la fin de la vie commune. Cette décision sur injonction interlocutoire sera donc certainement utile pour d’autres ex-conjoints de fait qui se retrouvent dans une situation similaire suivant leur séparation.

La résidence habitée par des conjoints de fait durant leur vie commune constitue souvent un bien d’importance qu’il est avantageux de protéger. Ainsi, la consultation d’un avocat spécialisé en droit de la famille peut permettre d’éviter des situations d’ambiguïté à la fin d’une relation et de protéger, en amont, les droits des parties.

L’équipe de Droit de la famille, des successions et des personnes de Lavery est à votre disposition pour vous accompagner dans vos projets et dans la recherche de solutions pour protéger vos droits.  Nous serons heureux de discuter de nos offres de services juridiques afin de vous aider à déterminer celle qui vous convient le mieux.


  1. R. c. Société Radio-Canada, 2018 CSC 5, par. 15.
  2. Laroche c. Couillard, 200-17-031680-200, 16 février 2021, par. 21.
  3. Québec (procureur général) c. A., 2013 CSC 5. ; Caroline HARNOIS, « Éric et Lola : La Cour suprême se prononce sur les droits des conjoints de fait au Québec » (2013), Lavery Avocats - Publications
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