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Ce que dit la Cour d'appel en matière d'assurances

Véritable fléau, la fraude par hameçonnage ne cesse de sévir et occasionne des pertes majeures à travers le monde. L’opération consiste à envoyer des courriers électroniques en usurpant l’identité d’un tiers de confiance ou d’une entreprise légitime afin d’obtenir du destinataire des renseignements confidentiels dans le but de commettre une fraude1.

Dans l’arrêt Co-operators c. Coop fédérée2, la Cour d’appel a confirmé l’obligation de l’assureur d’indemniser son assuré pour des pertes découlant d’une telle fraude, confirmant du coup que l’assureur était forclos d’invoquer un nouveau moyen de défense au procès. La Cour aborde également la notion d’assurance spécifique prévue à l’article 2496 du Code Civil du Québec (ci-après « C.c.Q.») en présence de pluralité d’assurances.

Les Faits

En août 2014, La Coop fédérée (« Coop ») a été victime d’hameçonnage. Sous de faux prétextes, sa contrôleuse envoya un ordre de paiement à la banque de la Coop (la « banque ») qui, s’exécutant, a transféré la somme de 4 946 355,26$ en devises américaines à une compagnie étrangère. Le 23 août 2014, la Coop s’est aperçue du stratagème frauduleux et la banque n’a pu ni interrompre l’opération ni récupérer les fonds.

À l’époque, le compte de la Coop affichait un découvert de 3 386 361,80$, auquel fut rajouté le montant du transfert. La Coop contesta auprès de la banque la validité du transfert frauduleux ainsi que le découvert additionnel en résultant. Elle avisa aussi ses assureurs pour les pertes encourues. Or, la Compagnie d’assurance générale Co-operators (« Co-operators ») refusa la réclamation étant d’avis que l’augmentation du découvert n’était pas un bien couvert par la police, que l’argent détourné appartenait à la banque et, incidemment, que la Coop n’avait pas subi une perte indemnisable. Quant à la compagnie Liberty International Underwriters (« Liberty »), qui avait établi une police d’assurance « contre la fraude et le détournement », elle accepta la réclamation sous réserve des règles de la contribution entre assureurs.

La Coop s’est donc adressée à la Cour supérieure pour forcer Co-operators à l’indemniser pour la perte subie. En parallèle, Liberty réclama de Co-operators le remboursement d’une partie de l’indemnité qu’elle a quant à elle versée à la Coop.

Cour supérieure

Quant à la responsabilité de la perte, le juge de première instance conclut d’abord que la Loi sur les lettres de change (« LLC ») ne s’applique pas au transfert électronique de fonds (« TEF »), soit des transferts sans circulation de documents papier. Ensuite, il conclut que le découvert sur le compte de la Coop constituait bien un prêt et que la Coop était devenue propriétaire de la somme détournée en vertu de l’article 2327 C.c.Q. et donc, qu’elle devait en supporter la perte.

Cette conclusion a notamment amené le juge à rejeter la demande de modification de la défense de Co-operators, qui souhaitait faire valoir que le refus de la Coop d’invoquer l’invalidité de l’ordre de paiement ne pouvait lui être opposable et constituait un motif de non-couverture. Le juge se plia plutôt aux arguments de la Coop et de Liberty qui alléguèrent que Co-operators ne pouvait pas invoquer de façon aussi tardive un nouveau motif de refus de couverture. Pour la Cour, Co-operators avait fait son lit dès la négation de couverture initiale.

En ce qui concerne la couverture d’assurance de Co-operators, le juge souligne être en présence d’un contrat « d’assurance des biens et pertes d’exploitations ». Considérée comme une police de type « manuscrite », l’intention des parties doit avoir préséance. Or, aucune preuve n’a été faite quant à cette intention. En l’absence d’exclusion précise sur la fraude informatique, le juge trancha que la perte subie par la Coop constituait un risque couvert par cette police d’assurance.

Le juge de première instance a conclu que la perte subie était couverte tant par la police d’assurance Co-operators que par celle de Liberty. La police d’assurance de cette dernière n’était, pour le juge de première instance, pas une police d’assurance spécifique en ce que celle-ci couvrait tous les biens de l’assuré ainsi que tous les risques pouvant les atteindre, au même titre que la police de Co-operators. Les deux polices d’assurance couvrant les mêmes risques, la Cour conclut à la pluralité d’assurance et a réparti les contributions de chacun des assureurs en proportion de la part de chacun dans la garantie totale, tout en tenant compte des franchises applicables.

Cour d'appel du Québec

Les juges de la Cour d’appel rejetèrent le pourvoi, à l’exclusion de la conclusion sur la nature de la police d’assurance Liberty.

Tout comme le juge de la Cour supérieure, la Cour d’appel statua que la LLC ne s’applique pas à l’ordre de paiement dans la mesure où un TEF n’est pas une lettre de change au sens de la LLC. En outre, la Cour d’appel les différencia par le fait que le TEF ne comporte pas de procédure de présentation de paiement, a un caractère immédiat et définitif et que, contrairement à la lettre de change, le bénéficiaire du TEF ne possède aucun titre ou écrit lui permettant de réclamer le paiement en cas d’échec de l’opération.

Sur la demande de modifications de la défense de Co-operators, la Cour rappela que la décision d’accueillir une demande de modification est un pouvoir discrétionnaire du juge de première instance. Pour ce faire, ce dernier doit se baser sur trois principes :

  • La modification est permise si elle ne cause pas un retard dans le déroulement de l’instance ou n’est pas contraire aux intérêts de la justice;
  • Elle ne constitue pas une demande entièrement nouvelle;
  • La Cour d’appel conclut aussi que Co-operators avait fait son lit en omettant de soulever ce motif dès la négation de couverture initiale.

La Cour d’appel conclut aussi que Co-operators avait fait son lit en omettant de soulever ce motif dès la négation de couverture initiale.

La Cour d’appel confirme aussi que la somme détournée était bien la propriété de la Coop. De ce fait, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a déterminé que la police couvrait tous les biens de toute nature et vise tous les risques, dont la perte résultant d’une fraude informatique. La police ne souffrait pas d’ambigüité et aucune exclusion ne s’appliquait.

Pour la Cour, il y avait effectivement pluralité d’assurances au sens de l’article 2496 CcQ. Aussi, tant la police de Co-operators, que celle de Liberty comportaient une clause excédentaire ou communément appelée « excess clause » de sorte que l’effet de celles-ci devait être annulé afin d’éviter que l’assuré se retrouve en situation d’absence d’indemnisation, conformément aux enseignements de l’arrêt Family Insurance Corp3. Dans le cas présent, la Cour d’appel détermina que la police de Liberty était bel et bien une assurance dite spécifique, puisqu’elle couvrait plutôt une catégorie particulière de risques à savoir la fraude et le détournement. Par conséquent, cette assurance en devenait une de première ligne.

Considérant ce qui précède, la Cour d’appel ne se prononce pas sur la méthode de calcul appliquée par la Cour Supérieure pour partager les contributions des assureurs en présence de pénalité d’assurance de même rang.

Conclusion

Plusieurs points sont à retenir de cet arrêt. Soulignons entre autres que l’importance pour les assureurs de s’assurer, au moment de nier la couverture, d’énoncer de façon exhaustive tous les motifs qui les amènent à refuser de payer l’indemnité.

Aussi, en ce qui concerne la pluralité d’assurance, nous retenons que même si une police d’assurance inclut une clause excédentaire, cette dernière pourrait ne pas trouver application si l’assuré possède une autre assurance avec ce même type de clause.

Finalement, la Cour d’appel confirme qu’il ne faut pas restreindre indument la qualification d’assurance spécifique au seul cas couvrant les biens individualisés et considérer que l’assurance consentie pour une catégorie particulière de risque peut selon le contexte, constituer une telle assurance spécifique.

 

  1. Centre antifraude du Canada, Hameçonnage.
  2. Compagnie d’assurances générales Co-operators c. Coop fédérée, 2019 QCCA 1678.
  3. Family Insurance Corp v. Lombard Canada Ltd., [2002] 2 SCR 695.
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