Loin des modèles classiques d’innovation fermée, l’intelligence artificielle progresse grâce aux collaborations et échanges, tant avec le monde universitaire qu’entre entreprises.
Au Canada, aux États-Unis et en Europe, l’innovation a connu une évolution qui a changé la conception même des projets de recherche et développement. L’innovation fermée au sein d’une entreprise n’est généralement pas suffisante dans le domaine des technologies informatiques, particulièrement pour les technologies utilisant l'intelligence artificielle.
Distinguer innovation collaborative, innovation ouverte et co-innovation
Dans le domaine de l’informatique, une première forme d’innovation collaborative a donc succédé à l’innovation fermée. Sous ce modèle, une organisation collabore avec divers partenaires pour bâtir une chaîne de valorisation qu’elle tente d’organiser et de contrôler. On cite souvent l’exemple d’Apple à cet égard : celle-ci exerce un certain contrôle à la fois sur le matériel (généralement vendus sous sa marque) et le logiciel (ceux des tiers sont offerts à travers une boutique virtuelle qu’elle contrôle).
Le changement le plus important des dernières années est l’arrivée de l’innovation ouverte, dans le contexte de laquelle plusieurs entreprises favorisent l’innovation tant à l’interne qu’à l’externe1. Les échanges entre les entreprises sont généralement ciblés de manière à combler les besoins de chaque entreprise. De grandes entreprises, notamment Samsung, concluent des partenariats avec des entreprises en démarrages qu’elles assistent dans leur développement.
L’innovation collaborative constitue donc un mode d’innovation précurseur de l’innovation ouverte. En effet, l’innovation collaborative se concentre sur les moyens offerts par l’intermédiaire d’acteurs externes pour permettre à l’entreprise de créer un nouveau produit ou de mettre au point une nouvelle technologie. L’innovation ouverte, quant à elle, vise un but plus large et vise tous les moyens pouvant être utilisés par une entreprise pour avoir accès à de la technologie nouvelle2.
La co-innovation3, ou innovation collective, est le modèle émergent au sein de la communauté de l’intelligence artificielle. Il vise à promouvoir un écosystème favorisant l’innovation à travers plusieurs entités. La co-innovation peut aller de pair avec la valorisation de la propriété intellectuelle. Elle est susceptible de4 :
- générer un flux continu d’idées;
- constituer une large réserve de connaissances, notamment au moyen du partage des données et de leur analyse;
- favoriser une culture d’innovation par le partage d’une vision et d’objectifs communs entre les partenaires; et
- créer des stratégies de convergence tacites entre les partenaires qui leurs sont uniques et sont difficiles à reproduire.
Ce dernier point est particulièrement important pour ceux qui craignent de perdre les bénéfices de leurs efforts. En effet, dans ce contexte de co-innovation, les intervenants créent entre eux des relations complexes et chacun devient difficilement remplaçable. C’est ce qu’on observe actuellement en intelligence artificielle dans le cas de certains intervenants ayant mis au point des plateformes spécialisées qui s’intègrent dans les solutions d’autres entreprises. Par exemple, dans le cadre de l’intégration des robots conversationnels d’entreprise (chatbots), les développeurs de ces plateformes conversationnelles, les entreprises offrant les outils d’analyse des conversations, les firmes de marketing et les entreprises utilisatrices voient leurs rôles s’entrecroiser. La mise en place d’API (interface de programmation d’application) entre ces intervenants permet d’échanger de manière assez fluide l’information entre elles, chaque joueur ayant alors un rôle privilégié dans son domaine d’expertise.
Protéger la propriété intellectuelle dans ce contexte
L’innovation ouverte et la co-innovation ne sont pas incompatibles avec la notion de propriété intellectuelle. Des droits de propriété intellectuelles forts favorisent l’innovation ouverte selon les études les plus récentes5, car ils protègent les intervenants de la communauté d’innovation. Plus encore, la propriété intellectuelle peut être un agent de coordination des intervenants6 voire un élément déclencheur permettant à une entreprise d’innover de manière ouverte.
Par exemple, dans les cas où les brevets sont possibles7, ceux-ci favorisent l’interaction entre les intervenants pendant l’innovation puisqu’ils protègent l’innovation et en assurent la divulgation. En effet, lorsque la demande de brevet est publiée, les autres intervenants obtiennent par le fait même une description assez complète de la technologie, tout en devenant en mesure d’établir l’identité de l’intervenant qui détient les droits à l’égard de celle-ci. La publication du brevet est donc une forme d’échange de connaissance qui favorise également les alliances entre intervenants. Qui plus est, une licence éventuelle permettrait à l’entreprise de tirer des revenus d’une technologie qu’elle a mise au point si elle choisit de ne pas l’exploiter elle-même.
Un exemple de cette évolution de l’innovation provient du milieu universitaire. En effet, plutôt que de se contenter d’accorder des licences sur leurs technologies, les universités offrent maintenant fréquemment des services de transferts technologiques et des partenariats de recherche8.
Certaines mesures peuvent être ainsi instaurées pour accélérer le développement des solutions d’intelligence artificielle:
- Adopter une approche design thinking, prenant en considération la nature fluide de l’innovation.
- Identifier un écosystème de partenaires, notamment en maintenant une veille sur les brevets et les demandes de brevets publiées.
- Établir un cadre contractuel souple pour partager des données et permettre leur utilisation entre partenaires.
- Faire des demandes de brevets, le cas échéant.
- Faciliter l’obtention de licences sur votre technologie pour vos partenaires.
La mise en place de ces mesures passe notamment par des ententes avec divers partenaires. Il est important que vos avocats et agents de brevets soient parties prenantes de ce processus d’innovation pour votre entreprise. Ils doivent notamment faire en sorte que les contrats à intervenir et les mesures de protection de la propriété intellectuelle soient conformes avec l’approche souhaitée en innovation.
- Chesbrough, Henry William. Open innovation: The new imperative for creating and profiting from technology. Harvard Business Press, 2003.
- Gallaud D. (2013) " Collaborative Innovation and Open Innovation. " In: Carayannis E.G. (eds) Encyclopedia of Creativity, Invention, Innovation and Entrepreneurship. Springer, New York, NY
- Lee, Sang M., and Silvana Trimi. "Innovation for creating a smart future." Journal of Innovation & Knowledge 3.1 (2018): 1-8.
- ibid.
- Da Silva, Mário APM. "Open innovation and IPRs: Mutually incompatible or complementary institutions?." Journal of Innovation & Knowledge 4.4 (2019): 248-252.
- Bortolami, Giovanni. "Risolvendo il paradosso dell'innovazione: come la protezione della proprietà intellettuale promuove l'innovazione aperta." (2018).
- Les algorithmes seuls ne sont habituellement pas brevetables, mais plusieurs applications de l’intelligence artificielle peuvent l’être. Voir: https://www.lavery.ca/fr/publications/nos-publications/3167-intelligence-artificielle-propriete-intellectuelle-les-difficultes-pour-proteger-ses-renseignements-personnels-et-sa-vie-privee-au-dela-des-frontieres.html.
- Nambisan, Satish, Donald Siegel, and Martin Kenney. "On open innovation, platforms, and entrepreneurship." Strategic Entrepreneurship Journal 12.3 (2018): 354-368.