Droit à la vie privée : l'employeur peut-il aller jusqu'à la filature?

Le 3 octobre dernier, la Cour d’appel a invalidé une sentence arbitrale dans laquelle on avait refusé d’admettre en preuve la bande vidéo de la filature d’une salariée soupçonnée d’activités incompatibles avec son état allégué d’invalidité.

La majorité des juges siégeant en appel a conclu que l’employeur était justifié de suivre la recommandation de son médecin désigné, qui remettait fortement en doute la crédibilité de la salariée pour divers motifs1.

Ce qui a amené la Cour d’appel à renverser la décision arbitrale :

Contexte

La salariée occupait un poste de préposée aux bénéficiaires au sein d’une résidence pour personnes âgées depuis plus de dix ans lorsqu’elle s’est absentée du travail pour une lésion à l’épaule gauche. Environ deux mois après le début de son invalidité, l’employeur l’a convoquée pour une expertise médicale auprès de son médecin désigné.

Le jour de la rencontre, le médecin se trouvait par hasard dans son véhicule lors de l’arrivée de la salariée à son bureau. Il a décidé de l’observer dans son rétroviseur. Il a noté que la salariée mobilisait son bras gauche de façon normale et qu’elle plaçait la courroie de son sac à main sur son épaule gauche sans hésitation ni inconfort.

Par la suite, le médecin désigné a évalué formellement la salariée et, aux termes de son examen objectif, il a conclu qu’elle simulait l’ensemble de ses symptômes. Il a recommandé à l’employeur de procéder à une filature. Le médecin a rappelé à l’employeur que la salariée avait déjà fait de fausses déclarations sur son état de santé lors d’une période d’invalidité survenue un an plus tôt.

L’employeur a donc procédé à une filature de la salariée pendant une journée alors qu’elle se déplaçait en automobile et fréquentait des établissements commerciaux publics (endroits où les attentes d’une personne quant au respect de sa vie privée sont moindres).

Après avoir visionné la bande vidéo, le médecin désigné s’est déclaré d’avis que la salariée simulait son invalidité. Cette dernière a été congédiée pour manquement à ses obligations de loyauté et d’honnêteté ainsi que pour ses mensonges, exagérations, fraude et activités incompatibles avec son état de santé allégué.

Cette situation sera successivement appréciée par le Tribunal d’arbitrage, la Cour supérieure en contrôle judiciaire et la Cour d’appel.

Jugement de la Cour d’appel

La Cour d’appel conclut finalement que l’employeur était justifié de s’en remettre aux constats et recommandations de son médecin désigné, ce qui constituait des motifs raisonnables de procéder à la filature.

La Cour d’appel ajoute au passage qu’il était tout à fait légitime pour l’employeur de prendre en considération les fausses déclarations antérieures de la salariée : « ne pas en tenir compte relèverait d’un angélisme inapproprié » selon la Cour.

La filature satisfaisait au critère de la proportionnalité dans la recherche de la vérité, puisque les moyens de surveillance étaient raisonnables : une filature d’une seule journée, dans des lieux publics et sans piège.

La Cour d’appel a retourné le dossier au tribunal d’arbitrage pour que la validité du congédiement soit examinée à la lumière de la preuve vidéo.

Ce qui peut faire la différence pour vous comme gestionnaires RH

En définitive, un employeur peut être justifié de demander une filature lorsqu’il s’en remet de bonne foi aux observations et recommandations de son médecin et que la filature est faite de manière rationnelle. En cas de motifs raisonnables de croire à des activités incompatibles avec les limitations de la personne salariée, une filature peut donc constituer un outil efficace pour démasquer les tricheurs.

Nous vous tiendrons informés de tout fait nouveau dans cette affaire, notamment une éventuelle requête pour autorisation de pourvoi auprès de la Cour suprême du Canada.

Notre équipe de Droit du travail et de l’emploi demeure à votre service pour vous fournir des conseils et solutions en temps opportun.

 

  1. Syndicat des travailleurs et travailleuses du CSSS Vallée-de-la-Gatineau c. CSSS de la Vallée-de-la-Gatineau, 2019 QCCA 1669.
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