La Cour d’appel rend sa décision dans l’affaire Kativik : Une deuxième chance aux employés non performants?

Un employeur doit-il déployer des efforts raisonnables pour réaffecter un employé non performant dans un autre poste compatible avant de procéder à son congédiement pour rendement insuffisant ?

Cette question fait l’objet d’une vive controverse jurisprudentielle, surtout depuis le jugement de la Cour supérieure dans l’affaire Kativik1.

Rendu en octobre 2017, ce jugement laissait entendre qu’une telle obligation incomberait aux employeurs québécois en plus du processus en cinq étapes établi par l’arrêt Costco2 servant à déterminer si un congédiement pour un motif administratif (tel que pour rendement insuffisant) était abusif, arbitraire ou déraisonnable.

Les parties prenantes du marché du travail attendaient depuis lors la décision de la Cour d’appel dans cette affaire, qui a finalement été rendue le 31 mai 20193.

Contexte de l’affaire Kativik

Rappelons d’abord les faits saillants de cette saga4 :

  • Un technicien en administration convient avec un employeur d’un plan d’amélioration personnelle d’une durée de trois mois en raison de problèmes de rendement;
  • Durant cette période et devant l’incapacité (ou la difficulté) du salarié de rencontrer les exigences de ce plan, l’employeur lui offre d’occuper un poste de réceptionniste en lui imposant un délai de trois jours pour accepter l’offre, alors que ce poste faisait l’objet d’un affichage dont la date de fin était postérieure au délai octroyé au salarié;
  • Le salarié refuse l’offre, préférant poursuivre sa prestation de travail selon les modalités du plan d’amélioration;
  • Devant l’absence continuelle de progrès, l’employeur congédie le salarié pour des motifs administratifs, soit rendement insuffisant.

Saisi du grief contestant cette mesure, l’arbitre Jean Ménard a déclaré que l’employeur avait failli à son obligation de réaffecter le salarié à des tâches moins exigeantes, en se fondant notamment sur trois décisions arbitrales déposées par la procureure syndicale appliquant ce principe, et a ainsi accueilli le grief5. L’arbitre a souligné qu’il était déraisonnable pour l’employeur d’exiger une réponse du salarié dans un délai de trois jours, alors que la preuve démontrait que le salarié aurait été en mesure de remplir les fonctions du poste de remplacement. L’employeur a contesté cette décision par voie de pourvoi en contrôle judiciaire.

La Cour supérieure a rejeté le pourvoi, au motif que l’arbitre Jean Ménard avait statué de façon raisonnable en concluant que l’employeur avait contrevenu à son obligation de trouver une alternative raisonnable au congédiement du plaignant. Pour ce faire, la Cour a indiqué que bien que les cinq critères utilisés dans l’arrêt Costco ne reprenaient pas textuellement ce sixième critère, ce dernier demeurait applicable au Québec selon les enseignements de l’affaire Edith Cavell6, une décision émanant de la Colombie-Britannique et ayant inspiré l’établissement des cinq critères élaborés par les tribunaux québécois en matière de congédiement administratif.

Décision de la Cour d’appel

Les juges de la Cour d’appel ont rejeté l’appel et ont confirmé la sentence arbitrale, au motif que cette sentence avait tous les attributs de la raisonnabilité. Les juges indiquent cependant que :

  •  L’arbitre s’est écarté de la jurisprudence majoritaire en matière de congédiement pour rendement insuffisant7;
  •  Un autre décideur aurait pu arriver à une autre conclusion8;
  •  Cette approche est certes particulière, mais n’est pas pour autant déraisonnable9.

Ainsi, bien qu’un employeur puisse mettre fin à l’emploi d’un salarié pour des motifs administratifs sans avoir à le réaffecter dans un autre poste compatible, un tribunal pourrait conclure au caractère injustifié d’un tel congédiement, selon les circonstances de l’affaire, en l’absence de preuve d’effort de l’employeur en vue de réaffecter le salarié10. En ce sens, l’analyse de la légalité d’un congédiement pour rendement insatisfaisant demeure essentiellement contextuelle et sera décidée au cas par cas.

La Cour d’appel indique également qu’en présence d’une pluralité de critères applicables et de controverses jurisprudentielles, une même situation factuelle peut donner lieu à plusieurs issues raisonnables, comme c’est le cas en l’espèce. La Cour conclut donc que le juge de première instance a eu raison de rejeter le pourvoi en contrôle judiciaire, considérant que la sentence arbitrale, dans laquelle l’arbitre avait appliqué ce sixième critère, s’inscrit dans le cadre des issues possibles et acceptables.

Conclusion : un nouveau critère, oui ou non ?

À la lumière des motifs que fournit la Cour d’appel dans cette affaire, un employeur pourrait ne pas être requis de faire des efforts raisonnables afin de réaffecter un employé dans un autre poste compatible avant de procéder à un congédiement pour rendement insatisfaisant, mais suivant les circonstances, pourrait être tenu de le faire.

Un gestionnaire prudent devrait ainsi effectuer une analyse de chaque situation afin de vérifier si les circonstances requièrent ou non une réaffectation.

En effet, rappelons que dans l’affaire Kativik, le nouveau supérieur de l’employé avait modifié les tâches de celui-ci de manière importante, ce qui avait entraîné des difficultés au niveau du rendement et, en conséquence, la mise en place d’un plan d’amélioration personnelle. Or, dans ses tâches antérieures, l’employé ne rencontrait pas de difficultés. De telles circonstances particulières pouvaient ainsi rendre raisonnable une conclusion de l’arbitre exigeant de l’employeur qu’il tente une réaffectation avant de procéder à un congédiement.

Au moment d’écrire ces lignes, les délais pour loger une demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême ne sont pas expirés. Nous allons suivre cette affaire et vous tenir au courant des développements.

 

  1. Commission scolaire Kativik c. Ménard, 2017 QCCS 4686; au sujet de la controverse jurisprudentielle, voir notre article publié sur le site de l’Ordre des CRHA.
  2. Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante, 2005 QCCA 788 : cette décision de principe en droit québécois énonce le processus en cinq étapes utilisé par les tribunaux québécois afin de déterminer si un congédiement administratif pour rendement insatisfaisant doit être maintenu, soit : a) le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard, b) ses lacunes lui ont été signalées, c) il a obtenu le soutien nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs, d) il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster et, e) il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.
  3. Commission scolaire Kativik c. Association des employés du Nord québécois, 2019 QCCA 961.
  4. Les faits sont plus amplement décrits dans notre publication suivant la publication du jugement de la Cour supérieure.
  5. Association des employés du Nord québécois et Commission scolaire Kativik, 2015 QCTA 247, par. 126.
  6. Re Edith Cavell Private Hospital and Hospital Employees’ Union, Local 180, (1982), 6 L.A.C. (3d) 229 (C.-B.).
  7. Kativik, préc. note 3, par. 19.
  8. Id, par. 18.
  9. Id.
  10. Id., par. 17.
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