Innovation ouverte : vers de nouveaux modèles de propriété intellectuelle?

« The value of an idea lies in the using of it. ».

Cette phrase a été prononcée par Thomas Edison, connu comme étant l’un des inventeurs les plus marquants du siècle dernier. Pourtant fervent utilisateur des protections de propriété intellectuelle, ayant déposé plus de 1 000 brevets au cours de sa vie, Thomas Edison avait compris l’importance de recourir à ses contacts externes pour nourrir l’innovation et permettre à ses inventions de délivrer leur plein potentiel. Ainsi, il s’est notamment associé avec des experts en réseau pour développer le premier circuit électrique direct, en l’absence duquel l’invention de son ampoule électrique se serait avérée de piètre utilité.

L’innovation ouverte renvoie à un mode d’innovation en rupture avec la vision traditionnelle du processus de recherche et développement, se déroulant essentiellement dans le secret à l’interne de l’entreprise. En effet, l’entreprise qui innove de manière ouverte va confier une partie de son processus de recherche et développement de ses produits ou services, ou de ses travaux de recherche, aux acteurs de son environnement externe (fournisseurs, clients, universités, concurrents, etc).

Une définition plus académique de l’innovation ouverte, élaborée par le Professeur Henry Chesbrough de l’Université Berkeley, se lit de comme suit: « Open innovation is the use of purposive inflows and outflows of knowledge to accelerate internal innovation, and expand the markets for external use of innovation, respectively1. »

Les approches possibles : «  collaboration vs compétition »

L’entreprise souhaitant recourir à l’innovation ouverte devra décider quel « écosystème » d’innovation intégrer : doit-elle privilégier l’adhésion à une communauté collaborative ou intégrer un marché compétitif ?

            Adhésion à une communauté collaborative

Dans ce cas, les protections de propriété intellectuelle sont modérées et l’objectif est davantage axé vers le développement des connaissances via le partage. Plusieurs entreprises dans le domaine informatique ou les consortiums d’universités se concentrent dans des groupes collaboratifs afin de développer des compétences et du savoir en vue de poursuivre un but de recherche commun.

            Intégrer un marché compétitif

Dans ce cas, les protections de propriété intellectuelle sont fortes et l’échange d’information quasi nul. L’objectif poursuivi est tourné vers une maximisation du profit. Contrairement à l’approche collaborative, les relations se traduisent par des ententes d’exclusivité, des ventes de technologies et par l’octroi de licences.  Cette approche compétitive est très présente dans le domaine des jeux vidéos notamment.

La titularité de droits de propriété intellectuelle comme condition sine qua non pour recourir à l’innovation ouverte

Le succès de l’innovation ouverte réside en premier lieu dans l’idée que partager son savoir peut être rentable. En second lieu, l’entreprise doit respecter un équilibre entre ce qu’elle peut dévoiler aux acteurs pertinents (fournisseurs, concurrents, entreprises tierces spécialisées, public, etc.) et ce qu’elle peut retirer de sa relation avec ceux-ci. Elle devra également prévoir les actions de ses partenaires afin de moduler ses risques avant de se livrer à un partage d’information.

Au premier abord, un recours à l’innovation ouverte peut sembler contraire à un usage prudent de ses actifs de propriété intellectuelle. En effet, les droits de propriété intellectuelle renvoient généralement à une idée de monopole reconnu à leur titulaire, permettant à ce dernier d’empêcher les tiers de copier la technologie protégée. Cependant, des études ont démontré que l’imitation d’une technologie par un concurrent peut s’avérer bénéfique2. D’autres recherches ont démontré également qu’un marché comprenant des protections de propriété intellectuelle fortes augmentait le rythme des avancées technologiques3.

La titularité de droits de propriété intellectuelle est donc un prérequis pour toute entreprise qui innove ou qui souhaite innover de manière ouverte puisque les méthodes d’innovation ouverte invitent les entreprises à repenser leurs stratégies de recherche et développement en passant par une gestion différente de leur portefeuille de propriété intellectuelle. L’entreprise devra toutefois garder à l’esprit qu’elle doit encadrer adéquatement ses relations avec les différents acteurs externes avec qui elle prévoit faire affaire, afin d’éviter une diffusion non souhaitée d’information confidentielle relativement à sa propriété intellectuelle et de tirer profit de cette méthode d’innovation sans perdre de droits.

Où aller chercher l’innovation ?

Dans le cadre d’une approche d’innovation ouverte, l’utilisation de la propriété intellectuelle peut se faire de l’externe de l’entreprise vers l’interne ou de l’interne vers l’externe.

Dans le premier scénario, l’entreprise va diminuer le contrôle sur son processus de recherche et développement et aller chercher à l’externe de la propriété intellectuelle ou une expertise dont elle ne dispose pas à l’interne. Dans un tel cas, le processus d’innovation d’un produit peut être considérablement accéléré par les contributions apportées par les partenaires externes et peut se traduire par :

  • l’intégration au produit en développement de technologies provenant de tiers partenaires spécialisés;
  • la conclusion de partenariats stratégiques;
  • l’octroi en faveur de l’entreprise de licences d’utilisation d’une technologie appartenant à un tiers concurrent ou un fournisseur;
  • la recherche d’idées externes (partenariats de recherche, consortiums, concours d’idées, etc.).

Dans le second scénario, l’entreprise va mettre sa propriété intellectuelle à disposition des acteurs de son environnement externe, notamment par le biais d’ententes de licence avec des partenaires stratégiques ou des acteurs de marchés secondaires. Dans ce cas, l’entreprise peut aller jusqu’à rendre public l’une de ses technologies, par exemple en publiant le code d’une solution sous licence open source, ou encore jusqu’à céder ses droits de propriété intellectuelle sur une technologie dont elle est titulaire mais pour laquelle elle n’a pas d’utilité.

Quelques exemples

Les exemples de « success stories » concernant l’innovation ouverte font légion. Par exemple, Google a mis son outil d’apprentissage automatisé Tensorflow à disposition du public sous licence open source (Apache 2.0) en 2015. Google a ainsi permis aux développeurs tiers d’utiliser et de modifier, selon les termes de la licence, le code de sa technologie tout en contrôlant le risque : toute découverte intéressante effectuée à l’externe pouvait rapidement être transformée en un produit par Google. Cette stratégie, courante dans le domaine informatique, a permis de faire bénéficier le marché d’une technologie intéressante et à Google de se positionner comme un joueur important dans le domaine de l’intelligence artificielle.

L’exemple des savons liquides SoftSoap illustre l’ingéniosité de M. Robert Taylor, un entrepreneur américain, qui a développé et mis en marché son produit en l’absence de protection de propriété intellectuelle forte, en s’appuyant sur des fournisseurs externes. En 1978, M. Taylor fut le premier à avoir l’idée de mettre le savon liquide en bouteille. Pour que son invention soit réalisable, il devait se fournir en pompes en plastique auprès de fabricants externes puisque son entreprise n’avait pas d’expertise pour la fabrication de cette pièce. Ces pompes étaient indispensables puisqu’elles devaient être vissées sur les bouteilles pour la distribution du savon. À cette époque, le brevet sur le savon liquide avait déjà été déposé et l’invention de M. Taylor n’était pas en soi brevetable. Pour éviter que ses concurrents ne copient son invention, M. Taylor a passé une commande de 12 millions de dollars auprès des deux seuls fabricants de pompes en plastique. Cela a eu pour effet de saturer le marché pour près de 18 mois, donnant ainsi à M. Taylor une avance par rapport à ses concurrents qui étaient alors incapable de le concurrencer, faute de disponibilité des pompes à savon auprès des fabricants.

Les processeurs ARM constituent un bon exemple de recours à l’innovation ouverte dans un contexte de maximisation de la propriété intellectuelle. ARM Ltd a su tirer profit de la diminution du contrôle sur le processus de développement et de fabrication opérée par les géants de la technologie, tels que Samsung ou Apple, qui intègrent de plus en plus de technologies développées à l’externe dans leurs produits. La particularité des processeurs ARM réside dans leur mode de mise en marché : ARM Ltd. ne vend pas ses processeurs sous forme de processeurs finis fondus dans le silicium, plutôt, elle octroi des licences à des fondeurs indépendants pour que ceux-ci utilisent l’architecture qu’elle a développée. Cela a permis à ARM Ltd de se distinguer des autres fabricants de processeurs et de se tailler une place sur le marché des fournisseurs de pièces informatiques, en offrant une technologie très flexible, adaptable pour les divers besoins en fonction du type produit (téléphone, tablette, calculatrice, etc.) dans lequel le processeur est destiné à être intégré.

Conclusion

Le recours à l’innovation ouverte peut permettre à une entreprise de considérablement accélérer son processus de recherche et développement tout en limitant ses propres coûts, en considérant la propriété intellectuelle de tiers ou en partageant sa propre propriété intellectuelle.

Bien qu’il n’existe pas de « recette miracle », il est certain que pour réussir dans un processus d’innovation ouverte, l’entreprise doit bien comprendre ses concurrents et partenaires avec lesquels elle envisage de collaborer et encadrer convenablement ses relations avec ses partenaires, afin de ne pas mettre en péril sa propriété intellectuelle.

 

  1. Henry CHESBROUGH, Win VANHAVERBEKE et Joel WEST, Open Innovation : Researching a New Paradigm, Oxford University Press, 2006, p. 1.
  2. Silvana KRASTEVA, « Imperfect Patent Protection and Innovation », Department of Economics, Texas A&M University, December 23, 2012.
  3. Jennifer F. REINGANUM, « A Dynamic Game of R and D: Patent Protection and Competitive Behavior », Econometrica, The Econometric Society, Vol. 50, No. 3, May, 1982; Ryo HORII and Tatsuro IWAISAKO, «Economic Growth with Imperfect Protection of Intellectual Property Rights» Discussion Papers In Economics And Business, Graduate School of Economics and Osaka School of International Public Policy (OSIPP), Osaka University, Toyonaka, Osaka 560-0043, Japan.


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