La possession et la production de cannabis sont légalisées au Canada, sous réserve de nombreuses restrictions, suivant l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis1 le 17 octobre dernier (la « Loi sur le cannabis »).
C’est dans ce contexte qu’un aide-mémoire destiné aux employeurs a été publié le 17 octobre 2018 par notre équipe en droit du travail. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter le lien suivant.
Au-delà du domaine de l’emploi, l’ensemble de la législation relative à la légalisation du cannabis au Canada a un impact sur le monde des affaires, ce qui inclut, entre autres, les producteurs de cannabis, les locateurs d’immeubles résidentiels ou commerciaux, les syndicats de copropriété et les institutions financières. De fait, la culture, la production, de même que l’usage de cannabis soulèvent diverses considérations relevant du droit immobilier et du droit public.
Louage résidentiel
Pour les locateurs, certaines considérations légales encadrant l’usage de cannabis dans les immeubles locatifs résidentiels requièrent des démarches concrètes à court terme. Lesquelles?
Le 12 juin 2018, le gouvernement du Québec a adopté, de manière complémentaire à la Loi sur le cannabis, la Loi encadrant le cannabis2(ci-après, la « Loi »). L’article 107 de la Loi prévoit ce qui suit:
« 107. Un locateur peut, d’ici le 15 janvier 2019, modifier les conditions d’un bail de logement en y ajoutant une interdiction de fumer du cannabis. [Notre soulignement]
À cette fin, le locateur remet au locataire un avis de modification décrivant l’interdiction de fumer du cannabis applicable à l’utilisation des lieux.
Le locataire peut, pour des raisons médicales, refuser cette modification. Il doit alors aviser le locateur de son refus dans les 30 jours de la réception de l’avis. Dans un tel cas, le locateur peut s’adresser à la Régie du logement dans les 30 jours de la réception de l’avis de refus pour faire statuer sur la modification du bail.
En l’absence de refus, l’interdiction est réputée inscrite au bail 30 jours après la réception par le locataire de l’avis de modification.»
À la lumière de cette disposition, tout locateur peut, avant le 15 janvier 2019, entreprendre les démarches nécessaires afin d’interdire l’usage de cannabis dans les lieux loués des immeubles locatifs résidentiels.
Plus concrètement, quelles sont ces démarches que doivent entreprendre, avant le 15 janvier 2019, les locateurs qui souhaitent se prévaloir de ce droit de modification unilatérale d’un bail en vertu de l’article 107 de la Loi?
1. Rédiger une clause d’amendement
Les locateurs doivent tout d’abord rédiger une clause d’amendement aux baux qu’ils souhaitent modifier, afin d’y prévoir l’interdiction de fumer du cannabis dans les lieux loués, incluant sans limitation les balcons.
La clause d’amendement n’a pas à étendre l’interdiction de fumer du cannabis aux aires communes, telles que les couloirs et les halls d’entrée, puisqu’une telle interdiction est déjà prévue à l’article 12, paragraphe 8 de la Loi.
2. Transmettre un avis de modification aux locataires
Une fois cette clause d’amendement ainsi rédigée, les locateurs doivent transmettre un avis de modification écrit à tous les locataires, à l’adresse indiquée dans le bail3, avant le 15 janvier 2019.
Les éléments suivants doivent minimalement figurer dans l’avis de modification, à savoir :
- Prénom et nom du ou des locataires concernés;
- Texte de l’article 107 de la Loi;
- Reproduction intégrale de la clause d’amendement; et
- Signature du locateur et date à laquelle celui-ci a signé l’avis de modification.
Bien que la Loi ou le Code civil du Québec ne prévoient aucune exigence particulière à cet égard, il serait opportun pour les locateurs d’indiquer dans l’avis de modification les recours potentiels auxquels s’expose un locataire qui ne se conformerait pas à cette interdiction de fumer du cannabis. Ces recours pourraient aller jusqu’à la résiliation du bail dans un cas occasionnant des troubles de jouissance paisible des lieux pour les autres locataires4.
3. Utiliser un moyen de transmission valable
Le locateur devra opter pour un moyen de transmission qui permettra à la fois de s’assurer que l’avis de modification soit transmis ET reçu avant le 15 janvier 2019, et de conserver une preuve matérielle et opposable de réception par le locataire. Le moyen le plus approprié pour la transmission de l’avis de modification peut varier selon les circonstances et les modes de communication convenus entre le locateur et son locataire et/ou utilisés par le passé. Les modes de transmission prévus au Code de procédure civile5 incluent, entre autres, la remise par le biais de l’huissier de justice, l’envoi par courrier recommandé, la remise en mains propres et l’envoi par moyen technologique. Quoi qu’il en soit, le locateur doit s’assurer de choisir le mode de transmission qui lui offre la preuve la plus convaincante de réception de l’avis par le locataire.
À quel moment la clause d’amendement au bail prend-elle effet?
En l’absence d’opposition du locataire (ce dernier pourrait s’opposer à la modification du bail pour des raisons médicales en vertu de l’article 107 de la Loi) et après une période de trente jours à partir de la réception de l’avis de modification, l’interdiction de fumer dans les lieux loués sera réputée inscrite au bail.
Quelle sera la conséquence pour un locateur de ne pas se prévaloir de ce droit de modification unilatérale d’un bail en vertu de l’article 107 de la Loi avant le 15 janvier 2019?
Le locateur qui ne transmet pas l’avis de modification avant le 15 janvier 2019 devra ainsi attendre l’expiration du bail en cours et sera assujetti aux dispositions générales prévues au Code Civil Québec pour la modification d’un bail de logement, à moins d’une entente avec le locataire.
Louage commercial
Les locateurs d’immeubles locatifs commerciaux sont-ils tenus, à l’instar des locateurs d’immeubles locatifs résidentiels, d’entreprendre de telles démarches concrètes avant une date déterminée?
Les locateurs d’immeubles commerciaux ne peuvent se prévaloir du droit de modification unilatérale édicté à l’article 107 de la Loi.
Il est toutefois prévu au paragraphe 17 de l’article 12 de la Loi, qu’il est interdit de fumer dans tout lieu fermé qui accueille le public. Cette interdiction viserait notamment les édifices à bureaux et les centres d’achat. Au surplus, il est possible pour les propriétaires d’immeubles commerciaux de prévoir une modification aux règlements de l’immeuble, afin d’y interdire l’usage du cannabis, tant dans les lieux loués que dans les aires communes.
À cet égard, il pourrait être avisé pour les locateurs d’immeubles commerciaux d’adopter sans délai une politique cohérente à celle adoptée relativement à l’usage du tabac dans les lieux loués et les aires communes, le cas échéant.
- Loi sur le cannabis, L.C. 2018, ch. 16
- Loi encadrant le cannabis, RLRQ, c. C-5.3
- Code civil du Québec, c. CCQ-1991, art. 1898
- Chartier c. Chassé, 2018 QCCQ 2823
- Code de procédure civile, c. C-25.01, art. 110