Le Canada et les États-Unis sont parvenus à une entente sur la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain ( « ALÉNA » ) le 30 septembre 2018, soit le délai imposé par les États-Unis. Cet accord, nommé le United States-Mexico-Canada Trade Agreement1 (ci-après, le « USMCA » ou l’ « Accord »), vient changer le cadre juridique en place depuis plus de vingt ans.
Dès la fin des négociations, une question se posait déjà : comment le USMCA affectera-t-il les entreprises canadiennes? En attendant une analyse plus pointue du USMCA, qui devrait entrer en vigueur en 2020, le texte qui suit se veut un résumé des changements apportés à l’ALÉNA dans le cadre du nouvel Accord.
Un plus grand accès américain aux marchés canadiens des produits laitiers, des œufs et de la volaille
Les doléances américaines en matière d’accès au marché des produits laitiers remontent bien avant la présidence de Donald Trump, les États-Unis étant dans une situation de surplus chroniques depuis plusieurs années.
Ainsi, en matière de produits laitiers :
1) Après avoir perdu l’accès de 3,25 % négocié dans le cadre du Partenariat Trans-Pacifique (PTP) lors de leur retrait en janvier 2017, les États-Unis ont obtenu une ouverture de 3,6 % du marché canadien. Pour les producteurs canadiens, cela signifie une augmentation de l’accès au marché par les producteurs américains.
2) Le Canada a accepté de mettre fin à l’accord de prix de classe 7 conclu en 2016, qui avait restreint les exportations américaines de lait ultrafiltré utilisé pour fabriquer des produits laitiers.
Le USMCA aura également un impact dans d’autres secteurs de l’alimentation.
Le Canada a octroyé aux États-Unis un plus grand accès pour les œufs, la dinde, la volaille, les œufs d’incubation et les poussins, une mesure qui prendra effet dès l’entrée en vigueur du USMCA.
Le Gouvernement canadien a cependant annoncé qu’il dédommagera les producteurs pour l’augmentation des quotas d’importation.
En contrepartie de ces concessions, le Canada a obtenu un accès plus étendu pour ses exportations de sucres raffinés et de produits sucrés, ainsi que pour certains produits laitiers.
Les tarifs américains justifiés par la sécurité nationale (article 232) : pas de fin en vue
Bien qu’il soit agi d’une préoccupation très importante du Canada, les États-Unis n’ont pas accepté de lever les tarifs sur l’acier et l’aluminium imposés au nom de la sécurité nationale. Ils ont indiqué qu’il s’agissait de discussions indépendantes du USMCA et des pourparlers seront entrepris séparément dans un avenir indéterminé.
Néanmoins, le USMCA prévoit une exemption de tarifs automobiles applicable à tout tarif que les États-Unis pourraient imposer dans ce secteur à l'avenir (sous réserve de certaines limites).
La propriété intellectuelle : de nouveaux standards
Le USMCA reprend en grande partie les demandes formulées par les États-Unis dans le cadre de la négociation du PTP :
1) La protection applicable aux droits d’auteurs sera prolongée de vingt ans, passant de 50 à 70 ans.
2) La protection des données relatives aux médicaments fabriqués à partir de cellules biologiques a été prolongée de deux ans, passant de huit à dix ans, ce qui aura une incidence sur les fabricants de génériques.
3) La protection de certaines appellations géographiques.
La taxe de vente et les droits de douane : les niveaux de minimis seront augmentés
Le niveau de minimis en vigueur à l'heure actuelle pour la taxe de vente et les droits de douane est de 20 $, un montant qui n’a pas bougé depuis près de quarante ans et au-delà duquel le Canada pouvait imposer des tarifs.
Avec le nouvel Accord, le seuil de minimis passe dorénavant à 40 $ pour que la taxe de vente soit imposée et à 150 $ pour des droits de douane soient exigés. Il s’agit d’une « victoire » canadienne sur la demande initiale des États-Unis qui voulaient porter ce seuil à 800 $, ce qui aurait perturbé considérablement le commerce de détail au Canada.
Maintien de l’exception culturelle
« Victoire » pour le Canada, l’exception culturelle demeure. Ainsi, aucun étranger ne pourra acquérir de médias canadiens, qu’ils soient écrits, radiophoniques ou télévisuels. Cependant, l’application en matière numérique demeure incertaine.
Mécanismes de résolution des différends : des victoires et des défaites
Le Chapitre 19 demeure. Le Canada conserve la possibilité de demander l’arbitrage si des tarifs et quotas étaient imposés pour cause de dumping ou de subventionnement contraire à la législation américaine et aux règles appliquées dans le cadre du commerce international. La stabilité en cette matière était d’une importance vitale pour le Canada. En effet, ce chapitre avait historiquement permis au Canada de remporter des victoires importantes contre les États-Unis, notamment en matière de bois d'oeuvre.
Cependant, le Chapitre 11 portant sur le règlement des différends entre investisseurs et État, qui protége les investissements dans les autres États membres de la zone de libre-échange, a presque entièrement disparu. Il ne s’appliquera maintenant qu’à certains investissements faits avant l’entrée en vigueur du USMCA.
Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et État demeurera cependant en vigueur avec le Mexique en vertu de l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP).
Le secteur de l’automobile : un recentrage sur l’Amérique du Nord
Le Canada a obtenu une exemption de tarifs pour les véhicules qu’il exportera dans la mesure où les exportations de véhicules ne dépassent pas 2,6 millions d’unités par année (environ 1 million de plus que la production actuelle) et 32,4 milliards de dollars américains de pièces.
En contrepartie, les États-Unis ont obtenu que les règles d’origines soient modifiées. Les véhicules en franchise de tarifs doivent dorénavant comporter non pas 62,5 % de pièces fabriquées en Amérique du Nord, mais 75 %. Ce faisant, moins de pièces étrangères pourront entrer dans l’assemblage de véhicules fabriqués dans la zone, ce qui pourrait signifier une augmentation de la demande pour le secteur industriel des pièces automobiles du Québec.
À terme, 40 % des pièces devront provenir d’usines où le salaire horaire est minimalement de 16 dollars américains. En parallèle, l’Accord prévoit que le processus de syndicalisation des travailleurs devra être plus aisé. Si cet élément n’a pas un grand impact au Canada, le Mexique, en revanche, s’en verra grandement touché.
La clause crépusculaire : une concession américaine
Une demande contentieuse et insistante des États-Unis portait sur l’adoption d’une clause crépusculaire (sunset clause) prévoyant la renégociation ou la terminaison de l’Accord tous cinq ans. Une telle disposition aurait créé de l’incertitude pour les entreprises et aurait eu une incidence sur les investissements.
Ce qui est maintenant prévu est un premier terme de 16 ans. Par la suite, 6 ans après l’entrée en vigueur de l'Accord, un processus de révision sera enclenché afin d’évaluer son fonctionnement. Au terme de la révision, les parties pourront signaler leur intention de poursuivre pour un second terme de 16 ans aux mêmes conditions, faute de quoi elles pourront en renégocier de nouvelles.
Et la suite ?
On estime que le texte sera signé le 30 novembre 2018. Cependant, l’approbation du Congrès américain n’aura lieu qu’en 2019 et l’entrée en vigueur n’aura probablement pas lieu avant 2020. Dans l’intervalle, l’ALÉNA demeure en vigueur.
Dans l’attente, nous continuerons à étudier le USMCA et les incidences possibles de celui-ci sur nos clients. Nous sommes disponibles pour répondre à toute question.
- Le texte du nouvel accord a été publié le 30 septembre sur le site du U.S. Trade Representative.