Le Canada a récemment connu une vague d’attaques devant les tribunaux concernant le manque d’utilité démontrée de certains brevets menant à leur invalidité. L’utilité est un critère législatif pour l’obtention d’un brevet. La Loi sur les brevets exige qu’une « invention » possède une utilité pratique expresse ou tacite. Normalement, seule une lueur d’utilité est suffisante pour répondre à cette exigence. Cependant, si le breveté promet davantage dans le mémoire descriptif, il sera tenu à cette promesse.
Dans le domaine des nouveaux composés pharmaceutiques, le concept d’utilité exige généralement qu’en date du dépôt de la demande de brevet, le demandeur soit en possession de données scientifiques rapportant (1) des tests démontrant l’activité de la drogue pour l’utilisation prévue, ou (2) des tests indirects qui démontrent une « prédiction valable » que l’invention revendiquée agira pour atteindre l’utilisation prévue. Dans ce second cas, il s’agit donc d’une preuve indirecte de cette utilité visée. Il s’agit de la doctrine de la « prédiction valable ».
Par ailleurs, la doctrine de la « prédiction valable » dépasse le domaine pharmaceutique. Ce concept légal fut aussi appliqué dans le domaine mécanique, tel que vu dans la récente décision de la Cour fédérale d’appel dans le dossier Eurocopter (2013 FCA 219). Dans le dossier Eurocopter, le brevet en litige portait sur un train d’atterrissage d’hélicoptère de forme améliorée. En l’occurrence le train d’atterrissage de type « traineau » avait été modifié pour avoir un point d’ancrage au fuselage de l’hélicoptère qui soit décalé vers l’avant. Cette configuration abaissait le poids du train d’atterrissage et venait réduire l’effet de « résonnance au sol » lors de l’atterrissage. Cette configuration avait été testée et les tests étaient rapportés dans le mémoire descriptif du brevet. Or, plusieurs revendications couvrait par ailleurs une forme ayant un point d’ancrage décalé vers l’arrière au lieu de vers l’avant. Cette configuration n’avait pas été testée. Le breveté devait donc s’appuyer sur une « prédiction valable ». La Cour fédérale de première instance et la Cour d’appel furent d’avis que la « prédiction valable » n’était pas atteinte et qu’ainsi plusieurs revendications étaient invalides.
Tout ce contexte a créé une tendance d’attaquer la validité des brevets en tentant de prouver que le brevet manque d’utilité en « promettant » un résultat donné ou une utilisation donnée sans parvenir à livrer sur cette « promesse » rendant du même coup le brevet ou certaines de ses revendications invalides.
Le cas Apotex v. Pfizer (2011 FCA 236) est un bon exemple. La Cour fédérale d’appel avait statué que le brevet portant sur le collyre contre le glaucome est invalide, sur la base que le mémoire descriptif du brevet « promettait » moins d’irritation des yeux, sans que les données présentes dans le brevet supportent adéquatement cette affirmation. En effet, les données incluses dans le brevet rapportaient des tests basés sur des doses uniques par opposition à des études à long terme. La Cour a jugé que les données fournies étaient insuffisantes en terme de temps puisque le glaucome est une maladie chronique. En d’autres termes, l’irritation des yeux aurait pu apparaître à la suite d’une utilisation à long terme du collyre, ce qui n’avait pas été testé. Suite à cette décision, le Canada commença à développer une la réputation d’avoir des exigences d’utilité plus strictes que les normes communément appliquées ailleurs dans le monde.
Cependant, dès 2012, la même Cour d’appel fédérale adoptait une position plus clémente. Dans Mylan Pharmaceuticals v. Pfizer (2012 FCA 103), le brevet sur la drogue ARICEPT®, contre la maladie d’Alzheimer, fut déclaré valide malgré à une vigoureuse attaque basée sur la notion de « promesse » d’utilité. Mylan, la société de médicaments génériques, avançait que le brevet promettait une plus grande efficacité et une plus faible toxicité du composé breveté par rapport aux autres drogues connues. La Cour ne fut pas d’accord. En se penchant sur le texte des revendications la Cour ne fut pas d’avis que les revendications contenaient une promesse spécifique en ce sens et que les autres déclarations dans le mémoire descriptif constituaient tout simplement des « avantages potentiels », et non pas des promesses.
Cette tendance se confirme en 2013. La décision récente de la Cour d’appel fédérale dans Sanofi-Aventis v. Apotex (2013 FCA 186), démontre que la Cour d’appel trouve peu de faveur aux attaques basées sur des allégations de « promesses » d’utilité. Cette décision constitue le plus récent chapitre dans l’épique bataille juridique entre la puissante compagnie générique Apotex Inc. et la multinationale Sanofi-Aventis en ce qui concerne la vente du médicament à succès (antiplaquettaire) PLAVIX®.
Sanofi avait à l’origine réussi à empêcher l’entrée sur le marché par Apotex en déposant à la Cour fédérale une requête d’ordonnance empêchant l’émission d’un Avis de conformité (AC) par le Ministre de la santé, au motif qu’Apotex serait en contrefaçon du brevet si l’autorisation de commercialiser le médicament lui était accordée. Selon la procédure AC, la cour est appelée à statuer sur un seul point, à savoir, si, selon la prépondérance de la preuve les allégations d’invalidité ou de non contrefaçon avancées par la société de médicaments génériques sont justifiées. Sanofi avait eu gain de cause et Apotex avait fait appel, en vain, jusqu’à la Cour suprême du Canada. La Cour Suprême, dans une décision importante a maintenu le verdict des cours inférieures en donnant encore une fois gain de cause à Sanofi en statuant que le brevet rencontrait les critères d’utilité et de non-évidence.
Dans un recours parallèle, Apotex avait lancé une nouvelle attaque de validité par voie d’action (par opposition à une procédure AC) devant la même Cour fédérale alléguant à nouveau un manque d’utilité et l’évidence du brevet. Dans une décision surprise, la Cour fédérale déclara le brevet invalide pour manque d’utilité et pour évidence (2012 FC 1486). Le juge considérait que la preuve devant lui était différente de celle présentée lors de la procédure AC, et que par conséquent il n’était pas lié par les décisions précédentes incluant celle de la Cour suprême.
Le brevet ayant été écarté, Apotex obtint sans tarder l’autorisation de commercialiser sa version générique de PLAVIX®. Sanofi a cependant porté la décision en appel.
Dans une décision unanime, la Cour d’appel fédérale renversa la décision de la Cour fédérale (2013 FCA 186), en prenant soin de clarifier le concept de « promesse du brevet ».
La Cour a commencé en notant qu’un inventeur n’est pas obligé de divulguer dans le mémoire descriptif ses données relatives à l’utilité. Ces données doivent cependant avoir étées disponibles à la date de dépôt de la demande, sinon l’utilité aurait étée spéculative.
La Cour poursuivit en émettant une mise en garde, à savoir, que si le breveté choisit d’inclure dans le mémoire descriptif la promesse d’un résultat particulier, il en sera tenu à cette promesse. Cependant la Cour a constaté qu’il ne faut pas chercher des « promesses » dans tous les brevets et que « [l]es cours ne devraient pas s’efforcer de trouver des moyens d’invalider des brevets autrement valides ».
Le brevet en question incluait des données obtenues dans un modèle animal, par opposition à des données obtenues par des études cliniques chez les humains. Le juge de la Cour fédérale avait déterminé que le brevet contenait une promesse implicite d’utilité chez les humains et qu’ainsi la promesse n’était pas rencontrée. La Cour d’appel fédérale a rejeté cette interprétation puisque le brevet n’établissait pas de promesse claire. Cette décision nous rappelle que les déclarations relatives aux objectifs et avantages de l’invention que l’on rencontre généralement dans les brevets, ne sont pas automatiquement des « promesses » au sens de « promesse d’utilité ». Une « promesse » ne sera trouvée que dans les cas de déclarations claires et non ambigües.
Finalement, la Cour fédérale d’appel a statué que la question d’évidence avait déjà été considérée par la Cour suprême et qu’en prenant une position contraire, le juge de la Cour fédérale avait erré.
Malgré ces développements encourageants pour les détenteurs de brevets, ces derniers doivent rester vigilants. Il demeure important d’éviter d’inclure dans le mémoire descriptif ou les revendications des déclarations surestimant les avantages de l’invention car il se peut que les données ne soient pas suffisantes pour supporter de telles déclarations. Par ailleurs si le critère d’utilité est appuyé par une « prédiction valable », soit par tests indirects ou modèles mathématiques, cette prédiction valable devra être bien ancrée et explicitée par des données disponibles au moment du dépôt de la demande de brevet canadien. Suite au dépôt, il sera trop tard pour générer des données corroboratives.
Au moment d’aller sous presse, Apotex a déposé une demande de porter appel en Cour Suprême du Canada. Il demeure à voir si la Cour Suprême, si elle décide d’entendre l’appel, donnera raison à la Cour fédérale d’appel et si elle jettera plus de lumière sur les exigences d’utilité.
Note de l’auteur : Cet article de revue ne constitue pas un avis légal et ne devrait pas s’y substituer. Les points de vue exprimés sont uniquement ceux de l’auteur.