L’enregistrement audio sur ruban magnétique est-il un document technologique ?

Cette publication a été coécrite par Luc Thibaudeau, ex-associé de Lavery maintenant juge à la Chambre civile de la Cour du Québec, district de Longueuil.

Malgré son entrée en vigueur en 2001, les tribunaux ont fréquemment évité de se prononcer sur l’application et l’interprétation de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information1 (ci-après « LCCJTI »), préférant s’en remettre aux dispositions du Code civil du Québec2.

Dans la décision Benisty c. Kloda3, le juge Jacques J. Levesque, rendant le jugement de la Cour d’appel, renvoie à la LCCJIT pour conclure qu’un enregistrement audio sur bande magnétique est un document technologique.

La qualification du document technologique

Après avoir révisé la doctrine et la jurisprudence, le juge Dufresne conclut qu’il s’agit d’une erreur que d’affirmer que l’enregistrement audio sur bande magnétique ne constitue pas un document technologique4, tel que cette expression est définie aux articles 1 et 3 al. 4 de la LCCJTI. Ainsi, le témoignage sur un support magnétique est un document technologique5.

En dépit de l’article 2874 C.c.Q. qui semble suggérer que la déclaration sur ruban magnétique puisse être autre chose qu’un document technologique, il faut plutôt retenir l’interprétation de document technologique tel que proposée par la LCCJTI qui est plus récente, incidemment plus détaillée en terme de gestion des technologies et de surcroît, « précisément dédiée à la cohérence du traitement des différents supports »6.

Soulignons que le tribunal est aussi d’avis que la LCCJTI vise « tous les supports, sauf le papier et ses équivalents physiques »7.

Présomption d’intégrité : intégrité du support ou du contenu ?

Une controverse doctrinale subsistait sur la portée de la présomption d’intégrité de l’article 7 de la LCCJTI. Au terme d’une lecture croisée des articles du C.c.Q. avec les dispositions de la LCCJTI, les juges confirment que la dispense de preuve de l’intégrité d’un document technologique ne vaut que pour le support, la technologie, le système ou le procédé utilisé8.

Le contenu d’un document technologique ne bénéficie pas de la présomption d’intégrité. En effet, selon la cour, un support ou un procédé ne permettent pas d’inférer de facto que son contenu est intègre. La présomption d’intégrité est la présomption que « la technologie utilisée par son support permet d’assurer son intégrité »9.Dès lors, la dispense de prouver l’authenticité s’applique « lorsque le support ou la technologie employée permet de constater que l’intégrité du document est assurée »10. La présomption d’intégrité ne s’applique pas au contenu.

Sans la preuve intrinsèque de l’intégrité du document technologique par la démonstration  des métadonnées ou d’une documentation convaincante, la partie voulant introduire en preuve ce document devra faire la preuve distincte de son authenticité, tel qu’il est prévu aux articles articles 2855 et 2874 CCQ, et article 5 alinéa 3 de la LCCJTI.

Preuve d’authenticité

La décision de la Cour d’appel confirme également que les documents technologiques ne jouissent pas d’une présomption d’authenticité11. Par ailleurs, lorsqu’ils sont accompagnés de leurs métadonnées, celles-ci permettront de satisfaire l’exigence d’authenticité. Ce jugement énonce également que l’authenticité comprend deux volets, « soit (1) les qualités liées aux modalités de confection et (2) les qualités liées à l’information »12.

En l’espèce, puisque les documents technologiques de l’Appelant ne possédaient pas de documentation intrinsèque permettant d’assurer l’intégrité du support des documents technologiques, la preuve d’authenticité était requise.

Copie  Transfert

Ce jugement rappelle13 la distinction entre la copie qui fait appel au même support (art. 12 à 15 LCCJTI) et le transfert faisant en sorte que le support fait appel à une technologie différente (art. 17 et 18 LCCJTI). L’Appelant ayant en l’espèce procédé à un transfert de l’information lors du passage de la cassette audio vers le CD, devait documenter le transfert « de sorte qu’il puisse être démontré, au besoin, que le document résultant du transfert comporte la même information que le document source »14. Puisqu’aucun élément ne permettait de démontrer que les enregistrements résultant du transfert comportaient la même information, le cour conclut que les enregistrements sur CD n’avaient pas la même valeur juridique que ceux contenus sur les cassettes. Le rejet de l’admission en preuve des enregistrements est donc confirmé par la Cour d’appel.

Synthèse des principes :

  • L’enregistrement audio sur bande magnétique est un document technologique;
  • Celui-ci peut être un élément matériel de preuve ou un témoignage, selon le contenu de l’enregistrement;
  • Le document technologique « doit être vu comme un document dont le support utilise les technologies de l’information, que ce support soit analogique ou numérique »15;
  • La présomption d’intégrité s’applique au support du document technologique;
  • Par ailleurs, le contenu d’un document technologique ne bénéficie pas de la présomption d’intégrité;
  • Lors de la présentation d’un enregistrement audio à titre de témoignage ou d’élément matériel, la preuve distincte de l’authenticité sera requise lorsque le support ou la technologie employée ne permet pas d’affirmer que l’intégrité du support est assurée;
  • Afin de faire une preuve d’authenticité, une partie doit démontrer les modalités liées à la confection et au contenu d’un document technologique; et
  • La reproduction d’un document peut être faite par copie (sur le même support ou sur un support qui ne fait pas appel à une technologie différente) ou par transfert (sur un support faisant appel à une technologie différente) en autant qu’il est prouvé que la méthode de transfert n’en affecte pas l’intégrité.

 

  1. Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, RLRQ., c. C-1.1
  2. Code Civil du Québec, L.Q. 1991, c.64 (le « C.c.Q. »)
  3. Benisty c. Kloda, 2018 QCCA 608
  4. Ibid., par. 126
  5. Le tribunal reprend essentiellement la thèse défendue par les auteurs Vincent Gautrais et Patrick Gingras : Vincent GAUTRAIS et Patrick GINGRAS, « La preuve des documents technologiques », dans Barreau du Québec - Service de la Formation continue, Congrès annuel du Barreau du Québec, Montréal, 2012, en ligne : https://edoctrine.caij.qc.ca/congres-du-barreau/2012/1755866973 (page consultée le 24 avril 2018), p. 41.
  6. Vincent GAUTRAIS et Patrick GINGRAS, « La preuve des documents technologiques », dans Barreau du Québec - Service de la Formation continue, Congrès annuel du Barreau du Québec, Montréal, 2012, en ligne : https://edoctrine.caij.qc.ca/congres-du-barreau/2012/1755866973 (page consultée le 24 avril 2018), p. 41.
  7. Benisty c. Kloda, 2018 QCCA 608, par. 80.
  8. Ibid., par 93.
  9. Ibid., par. 100.
  10. Ibid., par. 103.
  11. Ibid., par. 95.
  12. Ibid., par. 106.
  13. Voir par exemple : Directeur des poursuites criminelles et pénales c. 3341003 Canada inc. (Restaurant Pizzédélic), 2015 QCCQ 8159; Tabet c. Equityfeed Corporation, 2017 QCCS 3303, B.L. c. Maison sous les arbres, 2013 QCCAI 150; Lefebvre Frères ltée c. Giraldeau, 2009 QCCS 404.
  14. Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, LRQ., c. C-1.1., Art. 17.
  15. Benisty c. Kloda, 2018 QCCA 608, par. 119.
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