Dans un arrêt daté du 1er février 2018, la Cour suprême du Canada a rendu un important jugement dans l’affaire Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») c. Caron1 (« Caron ») qui confirme la position prise par la Cour d’appel en 20152 ainsi que l’état du droit concernant l’application de l’obligation d’accommodement d’un employeur dans le contexte d’une lésion professionnelle.
Les employeurs québécois doivent donc, dans le cadre de l’exercice du droit de retour au travail d’un travailleur ou dans la recherche d’un emploi convenable suite à une lésion professionnelle, procéder à un exercice d’accommodement raisonnable conforme aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne3 (la « Charte ») et ce, sans créer de contrainte excessive.
QUELS SONT LES PRINCIPAUX CHANGEMENTS APPORTÉS PAR CET ARRÊT ?
Telle que rédigée, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles4(« LATMP ») ne prévoit explicitement aucune obligation d’accommodement à l’employeur d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle dans son entreprise.
Cependant, la jurisprudence développée en matière d’accommodement aux cours des dernières années impose à tous les employeurs le devoir de prendre l’initiative de la recherche d’une solution d’accommodement raisonnable pour un travailleur affecté d’un handicap au sens de la Charte, ce qui est manifestement le cas d’un travailleur qui conserve des limitations fonctionnelles à la suite d’une lésion professionnelle.
Avant l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans cette affaire en juin 2015, la jurisprudence était à l’effet que les mesures de réadaptation prévues par la LATMP constituaient en soi une mesure d’accommodement et la Commission de la santé et de la sécurité du travail (maintenant la CNESST) et la Commission des lésions professionnelles (maintenant le Tribunal administratif du travail (« TAT »)) n’estimaient pas avoir le pouvoir d’imposer, de recommander ou de suggérer quelque forme d’accommodement que ce soit à un employeur. Par conséquent, elles refusaient d’appliquer les dispositions de la LATMP à la lumière des dispositions de la Charte.
Afin d’éviter qu’un travailleur dont le handicap résulte d’une lésion professionnelle ne soit désavantagé par rapport à celui dont le handicap résulte d’une condition personnelle, la Cour suprême du Canada a confirmé que la mise en œuvre du devoir d’accommodement d’un employeur doit aller au-delà de la simple application des dispositions de la LATMP et tenir compte des obligations qui lui sont imposées par la Charte.
QUELS IMPACTS POUR LES EMPLOYEURS ?
L’arrêt Caron aura fort probablement pour effet de modifier la manière dont tous les intervenants (y compris la CNESST, les employeurs, les travailleurs et leurs syndicats) aborderont le processus de détermination d’un emploi convenable. Pour les employeurs qui n’auraient pas déjà modifié leurs pratiques suite à l’arrêt de la Cour d’appel, les principales conséquences de l’arrêt de la Cour suprême du Canada peuvent être résumées ainsi :
- L’employeur doit tenter de trouver une solution d’accommodement raisonnable pour le travailleur dont la lésion professionnelle a entraîné des limitations fonctionnelles et ne peut pas se limiter à affirmer qu’il ne possède aucun emploi convenable au sein de son entreprise.
- La CNESST et le TAT ont le pouvoir de vérifier si cet exercice d’accommodement a été réalisé par l’employeur, avant ou après l’identification d’un emploi convenable, dans le contexte de l’application des dispositions de la LATMP.
- L’exercice d’accommodement exigé de l’employeur ne lui impose pas l’obligation de modifier fondamentalement les conditions de travail d’un travailleur ni de créer un poste sur mesure; toutefois, l’employeur doit réellement participer à l’effort de réintégration du travailleur au sein de son entreprise et, le cas échéant, rechercher un accommodement raisonnable, voire aménager ses tâches afin de lui permettre de fournir sa prestation de travail, sous réserve d’une contrainte excessive.
- Puisque l’obligation d’accommodement doit faire l’objet d’une évaluation globale de la situation , le délai d’une ou deux années, selon le cas, au cours duquel un travailleur peut exercer son droit de retour au travail prévu par l’article 240 de la LATMP constitue tout au plus un facteur à considérer, sans toutefois être déterminant. Selon les enseignements de la Cour suprême du Canada en matière d’accommodement, les employeurs ne peuvent pas refuser qu’un travailleur occupe un emploi convenable au sein de leurs établissements en se fondant uniquement sur une application automatique de cet article 240, invoquant l’expiration du délai applicable au travailleur dans l’exercice de son droit de retour au travail. Les employeurs doivent plutôt, dans tous les cas, être en mesure de démontrer qu’ils ont tenté d’accommoder le travailleur affecté de limitations fonctionnelles.
- Dans l’éventualité où le TAT conclurait que l’affirmation d’un employeur selon laquelle il n’a aucun emploi convenable à offrir à un travailleur entraîne une atteinte illicite à un droit protégé par la Charte, le Tribunal pourra exercer les pouvoirs de réparation dont il dispose en vertu de cette loi, ce qui inclut notamment le pouvoir d’imposer à l’employeur des mesures d’accommodement ou de le condamner à verser des dommages moraux ou punitifs au travailleur.
NOS COMMENTAIRES
La Cour suprême du Canada définit clairement les obligations des employeurs suivant la LATMP appliquée en conformité avec la Charte, ainsi appelés à réviser leurs pratiques de gestion de dossiers de lésions professionnelles .
De la même façon, le processus de recherche d’un emploi convenable peut devenir plus complexe et délicat et ce, pour toutes les parties impliquées parce que requises de faire un exercice complet. Il demeure notamment opportun pour les employeurs d’être en mesure de démontrer qu’ils ont procédé à la recherche active d’un accommodement raisonnable avant de pouvoir affirmer qu’ils ne disposent d’aucun emploi convenable au sein de leur entreprise pour un de leurs travailleurs ayant des limitations fonctionnelles. La tenue d’une documentation soignée de telles démarches sera donc grandement utile, voire essentielle.
Pour leur part, les travailleurs et leurs syndicats auront l’obligation de collaborer au processus de recherche d’emploi convenable. En effet, si l’employeur a une obligation d’accommodement, le travailleur a l’obligation corollaire d’accepter l’accommodement proposé, lorsque celui-ci est raisonnable.
Il sera également intéressant de suivre la manière dont la CNESST et le TAT appliqueront cet arrêt. Lavery vous tiendra informés de tout développement significatif à cet égard.
- 2018 CSC 3.
- 2015 QCCA 1048.
- RLRQ c C-12.
- RLRQ c A-3.001.