Le 4 octobre 2017, le juge Pierre-C. Gagnon de la Cour supérieure du Québec, siégeant en révision judiciaire d’une sentence arbitrale, a rendu une décision1 importante relativement aux critères jurisprudentiels à considérer afin qu’un congédiement administratif soit maintenu.
Les faits
Dans cette affaire, un salarié qui occupe un poste de technicien en administration est congédié pour cause d’insuffisance de son rendement. Préalablement à l’imposition de cette mesure, l’employeur convient avec le salarié d’un plan d’amélioration personnelle d’une durée de trois mois. Durant cette période, malgré les nombreuses rencontres du salarié avec sa supérieure, aucun progrès n’est noté dans la performance du salarié. Celui-ci commet toujours des erreurs dans l’exécution de ses fonctions et décline systématiquement les offres d’aide de l’employeur.
Devant l’incapacité du salarié à se conformer aux exigences du plan, l’employeur lui offre d’occuper un poste de réceptionniste, dont les tâches sont moins exigeantes que celles du poste de technicien en administration. L’employeur lui impose un délai de trois jours pour accepter cette offre.
Au terme de ce délai, le plaignant refuse l’affectation proposée, préférant poursuivre le plan d’amélioration. Quelques semaines plus tard, devant l’absence continuelle de progrès, l’employeur met fin à son emploi pour des raisons administratives.
L’arbitre Jean Ménard, saisi du grief contestant le congédiement2, est d’avis que le congédiement constitue une mesure abusive, considérant qu’il était déraisonnable d’exiger du salarié une réponse dans un délai de trois jours quant à son intérêt pour le poste. Ce poste faisait également l’objet d’un affichage dont la date limite était postérieure au délai accordé au salarié. L’arbitre ajoute que l’employeur a failli à son obligation de réaffecter le salarié à des tâches moins exigeantes et ainsi de trouver une solution de rechange au congédiement administratif.
L’employeur conteste cette décision par voie de pourvoi en contrôle judiciaire, invoquant notamment que l’arbitre impose à l’employeur une obligation inexistante en droit du travail québécois, à savoir celle de réaffecter le salarié à des tâches moins exigeantes au lieu de le congédier.
La décision
Le juge Pierre-C. Gagnon de la Cour supérieure rejette le pourvoi en contrôle judiciaire, jugeant les conclusions de l’arbitre raisonnables.
Relativement à l’obligation de l’employeur de déployer les efforts raisonnables afin de réaffecter le salarié dans un autre poste compatible, le juge Gagnon est d’avis que cette obligation trouve application en droit québécois. Ainsi, même si cette obligation n’est pas expressément mentionnée dans l’arrêt de principe Costco3, le test « Edith Cavell »4 demeure applicable au Québec5.
Dans cette dernière décision, provenant d’un tribunal d’arbitrage de la Colombie-Britannique, l’arbitre énonce cinq critères similaires à ceux qui ont été élaborés dans l’arrêt Costco au Québec en matière de congédiement administratif.
Bien que, dans Costco, le juge Delisle reconnaisse que les critères élaborés par les tribunaux québécois s’inspirent de la décision Edith Cavell, le critère imposant à l’employeur, dans un tel contexte, de déployer les efforts raisonnables pour réaffecter le salarié incompétent à un autre poste compatible avec ses capacités n’a pas été appliqué par le juge Delisle, ni nommément repris par les tribunaux québécois.
Le juge Gagnon conclut que cette obligation de moyens ne trouve pas application dans tous les cas au Québec, mais que l’arbitre Ménard avait statué de façon raisonnable en concluant que l’employeur avait failli à son obligation de réaffecter le salarié en l’espèce.
Conclusion
Il sera intéressant de suivre l’évolution de ce dossier et de la jurisprudence en matière de congédiement administratif pour incompétence dans l’éventualité où cette décision n’est pas renversée par les tribunaux d’appel6.
Cette obligation nouvellement intégrée en droit québécois pourrait avoir pour effet de modifier le processus habituel de congédiement administratif. L’employeur pourrait ainsi être tenu d’évaluer la possibilité de réaffecter l’employé incompétent à un autre poste compatible avant de le congédier pour des motifs administratifs et de lui donner un délai suffisant pour accepter ce nouveau poste.
Cependant, dans l’éventualité où le nouveau poste aurait pour effet d’engendrer une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail (par exemple, le salaire et le niveau de responsabilité), cette situation pourrait-elle être qualifiée par les tribunaux de « congédiement déguisé » ? À suivre…
- Commission scolaire Kativik c. Ménard, 2017 QCCS 4686.
- Association des employés du Nord québécois et Commission scolaire Kativik (Harry Adams), 2015 QCTA 247.
- Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante, 2005 QCCA 788 : cette décision de principe en droit québécois énonce les cinq critères utilisés par les tribunaux québécois afin qu’un congédiement administratif pour rendement insatisfaisant soit maintenu, soit : a) le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard, b) ses lacunes lui ont été signalées, c) il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs, d) il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster et, e) il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.
- Re Edith Cavell Private Hospital and Hospital Employees’ Union, Local 180, (1982), 6 L.A.C. (3d) 229 (C.-B.).
- Surtout, écrit le juge, depuis la décision de la Cour suprême dans Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28 qui est venue avaliser l’approche préconisée dans Edith Cavell.
- Une requête pour permission d’en appeler a été déposée à l’égard du jugement de la Cour supérieure.