Le 30 janvier 2017, le juge Stephen W. Hamilton a rendu une décision interlocutoire1 dans le contexte d’une requête pour directives dont il sera très intéressant de connaître l’issue.
Le 19 mai 2015, les débitrices, Wabush Iron Co. Limited, Les Ressources Wabush Inc., Mines Wabush, Compagnie de chemins de fer Arnaud et Wabush Lake Railway Company Limited (les « parties Wabush ») ont présenté une requête pour ordonnance initiale en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, qui a été accordée par la Cour supérieure du Québec le jour suivant.
Les parties Wabush avaient deux régimes de retraite pour leurs employés. Ces régimes prévoyaient des prestations déterminées. Le premier régime était un régime hybride pour les employés salariés (le « Régime des salariés ») enregistré auprès de l’organisme de réglementation des régimes de retraite de Terre-Neuve-et-Labrador (« TNL »). Le deuxième régime visait les employés syndiqués travaillant à l’heure (le « Régime des syndiqués ») et était enregistré auprès de deux organismes de réglementation des régimes de retraite, soit celui de TNL et celui du gouvernement fédéral.
Les parties Wabush employaient des travailleurs à TNL de même qu’au Québec. De plus, certaines des installations des parties Wabush relevaient de la compétence fédérale, de sorte que la législation fédérale s’appliquait aux employés de ces installations. Par conséquent, le Régime des salariés était régi par la Pension Benefit Act de Terre-Neuve-et- Labrador (la « NLPBA ») et par la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (la « LRCR ») du Québec, tandis que le Régime des syndiqués était régi par la NLPBA, la LRCR et la Loi sur les normes de prestation de pension (la « LNPP ») fédérale.
Le 16 décembre 2015, l’organisme de réglementation des régimes de retraite de TNL a terminé le Régime des salariés et le Régime des syndiqués (les « Régimes ») pour les raisons suivantes :
- les Régimes ne satisfaisaient pas aux exigences de solvabilité applicables ;
- les parties Wabush avaient mis fin ou étaient en voie de mettre fin à leurs activités commerciales ;
- il était très improbable qu’un acheteur potentiel accepte de prendre en charge les Régimes.
À la même date, l’organisme fédéral de réglementation des régimes de retraite a terminé le Régime des syndiqués pour des raisons similaires.
Dans leurs avis de terminaison, les organismes de réglementation en question ont indiqué que les parties Wabush devaient verser aux caisses de retraite tous les montants qu’ils auraient dû verser pour satisfaire aux exigences de solvabilité prescrites de même que les montants nécessaires pour financer les prestations prévues par les Régimes. Les deux organismes de réglementation ont aussi adopté la position voulant qu’une fiducie présumée ait été créée à l’égard de ces montants.
Les parties Wabush ont versé les paiements mensuels relatifs à la cotisation d’exercice des Régimes jusqu’à la date de terminaison (c.-à-d. le 16 décembre 2015), mais des cotisations d’équilibre restaient impayées pour les Régimes. De plus, les Régimes étaient en situation de déficit à la date de terminaison.
L’administrateur des régimes a déposé des preuves de réclamation pour les montants suivants :
Régime des salariés | Régime des syndiqués |
---|---|
Réclamation garantie : 24 000 000 $ |
Réclamation garantie : 29 000 000 $ |
Réclamation de restructuration : 1 932 940 $ |
Réclamation de restructuration : 6 059 238 $ |
Dans ce contexte, le contrôleur a présenté une requête pour directives à la Cour supérieure du Québec à l’égard du rang prioritaire de ces réclamations en matière de régimes de retraite, de l’application et de la portée des fiducies présumées, le cas échéant, en vertu de la NLPBA, de la LNPP et de la LRCR. Plus particulièrement, le contrôleur a sollicité une ordonnance établissant de la façon suivante l’ordre de priorité des divers éléments des réclamations en matière de régimes de retraite :
- que les cotisations d’équilibre impayées à la date de l’ordonnance initiale font l’objet d’une fiducie présumée limitée ;
- que les cotisations d’équilibre payables après la date de l’ordonnance initiale constituent des réclamations non garanties ;
- que les déficits à la terminaison des Régimes constituent des réclamations non garanties ;
- que toute fiducie présumée créée en vertu de la NLPBA ne puisse grever que des immeubles situés à
Terre-Neuve-et-Labrador.
La décision du 30 janvier portait sur une question préliminaire. Bien que toutes les parties aient convenu que la
Cour supérieure du Québec avait compétence pour être saisie de toutes les questions en litige, l’administrateur des régimes, l’organisme de réglementation des régimes de retraite de TNL et les représentants des employés salariés et des retraités ont demandé à la Cour supérieure du Québec de solliciter l’aide de la Cour suprême de
Terre-Neuve-et-Labrador (la « Cour de TNL ») à l’égard de plusieurs questions, dont les suivantes :
[TRADUCTION]
« 1. La Cour suprême du Canada a confirmé dans Indalex que la législation provinciale s’applique aux procédures intentées en vertu de la LACC, sous réserve seulement de la doctrine de la prépondérance. Si on présume qu’aucune question de prépondérance ne se pose, quelle est la portée des fiducies présumées visées par l’article 32 de la NPBA [NLPBA] à l’égard de ce qui suit :
(…)
b) les cotisations d’équilibre impayées ;
c) les déficits à la terminaison impayés.
2. Le régime des salariés est enregistré à Terre-Neuve et est assujetti à la NPBA.
a) (i) La fiducie présumée de la LNPP s’applique-t-elle également aux participants du régime des
salariés qui ont travaillé sur le chemin de fer (c.-à-d. une entreprise fédérale) ?
(ii) Dans l’affirmative, y a-t-il conflit entre la NPBA et la LNPP et, s’il y a lieu, comment les
concilier ?
b) (i) La LRCR s’applique-t-elle également aux participants du régime des salariés qui se sont
présentés au travail au Québec ?
(ii) Dans l’affirmative, y a-t-il conflit entre la NPBA et la LRCR et, dans l’affirmative, comment
les concilier ?
(iii) Les fiducies présumées de la LRCR du Québec s’appliquent-elles également aux participants
québécois du régime des salariés ? »
Pour divers motifs juridiques et factuels, ainsi que pour des raisons pratiques, le juge Hamilton a décidé de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire de la Cour lui permettant de solliciter l’aide de la Cour de TNL.
Plus particulièrement, le juge Hamilton était d’avis que la disposition sur les fiducies présumées prévue à l’article 32 de la NLPBA n’est pas particulièrement unique, puisqu’il existe des dispositions similaires sur les fiducies présumées dans la LNPP et dans d’autres lois provinciales sur les régimes de retraite. Il a en outre fait remarquer qu’il n’existe pas de jurisprudence interprétant l’article 32 de la NLPBA.
Tout en reconnaissant que la Cour de TNL a davantage d’expertise dans l’interprétation de la NLPBA dans son ensemble, le juge Hamilton a déclaré que tel n’était pas le cas pour l’article 32 relatif aux fiducies présumées. Il a également ajouté qu’en raison des similitudes entre la NLPBA, la LNPP et d’autres lois provinciales sur les régimes de retraite, le juge qui interprétera la NLPBA fera probablement référence aux décisions des tribunaux d’autres provinces qui ont interprété leur propre législation ou la LNPP. Dans ce contexte, la Cour supérieure du Québec est aussi bien placée que la Cour de TNL pour ce faire.
De plus, puisque la présente affaire soulève également des questions concernant la LNPP et la LRCR, le juge Hamilton ne voyait pas pour quel motif il devait conclure que la Cour de TNL serait mieux placée pour trancher ces questions. Il s’est exprimé ainsi :
[TRADUCTION]
« La Cour ne renverra pas des questions de droit québécois ou de droit fédéral à la Cour de TNL, et si ces questions sont trop étroitement liées aux questions relatives à la NLPBA, ou si aux fins de simplicité et de commodité elles doivent toutes être tranchées par le même tribunal, la solution consiste à ne renvoyer aucune question à la Cour de TNL. »
En outre, même s’il est vrai qu’il existe d’importants liens factuels entre les questions et TNL, il est tout aussi vrai qu’il y existe de solides liens factuels avec le Québec. D’ailleurs, l’une des installations des parties Wabush et la plupart des chemins de fer des organisations se trouvent au Québec. Le juge Hamilton a également déclaré qu’il y a presque autant d’employés et de retraités au Québec qu’il y en a à TNL. Enfin, il craignait également que solliciter l’aide de la Cour de TNL entraîne des délais supplémentaires.
Commentaires
La Cour supérieure du Québec examinera donc les questions de fiducie présumée en matière de régimes de retraite et analysera probablement les dispositions relatives aux fiducies présumées de la NLPBA, de la LNPP et de la LRCR. Il semble que, pour la première fois, ces dispositions seront comparées et interprétées dans le contexte de la même affaire. Nous comprenons que l’audience sur ces questions a eu lieu les 28 et 29 juin 2017.
Demeurez à l’affût du prochain bulletin pour connaître l’issue de cette affaire.