Le 20 juillet 2017, la Cour supérieure du Québec a accueilli les prétentions des cadres du réseau de la santé et des services sociaux, pour conclure que les modifications apportées à certaines de leurs conditions de travail par le ministre de la Santé étaient invalides et nulles1.
Contexte
L’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux (« AGESSS ») est un syndicat professionnel et représente des cadres supérieurs et intermédiaires employés du réseau.
Par son recours en jugement déclaratoire et nullité, l’AGESSS ne contestait pas la validité des abolitions effectuées suivant la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau et que tous dénomment plus simplement la Loi 102.
L’AGESSS alléguait toutefois que les modifications apportées par un arrêté du ministre Gaétan Barrette, visant à modifier certaines dispositions de la réglementation fixant les conditions de travail des cadres du réseau3, étaient invalides et nulles.
Sanctionnée en février 2015, la Loi 10 stipulait que certaines de ses dispositions entraient en vigueur le 9 février 2015, dont son article 189 qui prévoyait des abolitions de postes de cadres qui prenaient effet plus tard, soit le 31 mars 2015.
Suivant cet article 189 de la Loi 10, toute personne visée par le présent article dont le poste est aboli n’a alors droit à aucune autre indemnité que celles qui sont prévues à ses conditions de travail4.
Les autres dispositions de la Loi 10 entraient en vigueur le 1er avril 2015 et comprenaient notamment les articles 135 et 136. Or, cet article 136 mentionnait que lorsqu’un poste est aboli à la suite d’une réorganisation résultant de l’application de la présente loi, le maximum de l’indemnité de fin d’emploi prévue aux articles 116 et 124 de ce règlement ne peut excéder 12 mois.
Cet article 136 réduisait ainsi le montant de l’indemnité de fin d’emploi de 24 à 12 mois de salaire.
Par l’arrêté ministériel du 23 mars 2015, les conditions de travail étaient modifiées rétroactivement de sorte que non seulement l’indemnité de fin d’emploi était réduite, mais la valeur totale des montants à recevoir dans le cas d’un congé de préretraite ne pouvait pas dépasser 12 mois de salaire (en congé de préretraite et en indemnité si le cadre optait pour celle-ci en cours de congé).
Or, cette modification entrait en vigueur le 23 mars 2015, soit avant les abolitions de postes, pourtant imposées par la Loi 10 pour survenir le 31 mars 2015. Ce changement apporté par un règlement du ministre modifiait en outre la Loi 10 adoptée par le gouvernement.
Principe de protection des droits acquis
Le ministre a expliqué que le but de cette modification était de corriger une erreur d’écriture. La Cour rejette cet argument, statuant que la loi était claire et qu’elle ne contenait pas une telle erreur.
La Cour supérieure retient par ailleurs les arguments de l’AGESSS et affirme que la Loi 10 respecte le principe d’interprétation visant la protection des droits acquis des personnes affectées par cette loi alors qu’elle porte atteinte à leurs droits, mais non de manière rétroactive.
En effet, les conditions applicables aux cadres dont les postes sont abolis par la Loi 10 sont celles prévues au Règlement sur les conditions de travail des cadres telles qu’elles existaient en date du 31 mars 2015, puisque l’article 136 de la Loi 10 (réduisant à 12 mois l’indemnité de fin d’emploi) n’entrait en vigueur que le 1er avril 20155.
Les modifications rétroactives apportées par le ministre au Règlement sur les conditions de travail en date du 23 mars 2015 modifiaient ainsi la Loi 10 et n’étaient autorisées par aucune disposition de la Loi 10 ou de la Loi sur les services de santé et les services sociaux.
De plus, ces modifications ne pouvaient être valables alors que la loi n’octroyait pas au ministre le pouvoir de modifier une loi du gouvernement, de surcroît de manière rétroactive.
Obligation de consultation
S’appuyant sur un décret gouvernemental de 1984, qui reconnaissait le statut de représentante de l’AGESSS, la Cour supérieure confirme l’obligation du ministre de la Santé et de ses représentants de consulter cette association avant toute modification des conditions de travail des cadres du réseau.
En l’absence de consultation, la Cour conclut à un autre motif de nullité des modifications au Règlement sur les conditions de travail en raison de la protection de la liberté d’association garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Il faut noter que la Cour note que l’AGESSS ne conteste pas la validité de la Loi 10 et pas davantage sur le fondement de cet argument relatif à la consultation obligatoire6.
Conclusions et recommandations
Par conséquent, la Cour déclare invalide et nul l’arrêté ministériel et conclut que les conditions des indemnités de fin d’emploi et des congés de préretraite des cadres dont les postes ont été abolis en date du 31 mars 2015 par la Loi 10 doivent être déterminées suivant le Règlement sur les conditions de travail tel qu’il existait avant l’arrêté.
Suivant la situation factuelle de chaque cadre concerné, des ajustements pourraient donc être réclamés.
Toutefois, le ministre et le gouvernement peuvent décider de demander la permission d’en appeler devant la Cour d’appel du Québec dans les 30 jours suivant le jugement.
Nous suivrons de près cette affaire et vous en tiendrons informés.
- AGESSS c. Gaétan Barrette, es qualités de ministre de la Santé et des Services sociaux et P.G. du Québec, C.S. 200-17-022087-159, 20 juillet 2017 (Honorable Suzanne Ouellet, j.c.s.).
- Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales, RLRQ, c. O-7.2.
- Règlement sur certaines conditions de travail applicables aux cadres des agences et des établissements de santé et de services sociaux, RLRQ, c. S-4.2, r. 5.1, ci-après Règlement sur les conditions de travail.
- Dernier alinéa de l’article 189 de la Loi 10.
- Paragraphes 22, 68, 69, 74-82, 107 et 109 du jugement.
- Paragraphes 132-133 et 135 du jugement.