Au cours des dernières décennies, la publicité en ligne est devenue la méthode la plus efficace et interactive de joindre les consommateurs et d’évaluer leurs comportements. Alors que la télévision et les médias imprimés continuent de voir leur public décroître et que les stratégies globales de marketing qui se concentrent sur ces supports n’arrivent pas à mesurer et à jauger le rendement de manière aussi efficace, la publicité en ligne cible un marché en croissance dont le support technologique permet de mesurer directement le succès d’une campagne de marketing. Ces changements dans le monde du marketing, plus palpitants et nouveaux qu’ils puissent être, posent un ensemble important de risques juridiques. En employant et en affichant des publicités en ligne, les commerçants et les intermédiaires doivent être bien conscients des lois en matière de protection du consommateur et de concurrence, tant au niveau provincial qu’au niveau fédéral, afin d’éviter les mauvaises surprises sous forme de sanctions et de poursuites en justice coûteuses. Le droit n’a peut-être pas évolué autant que les technologies, ses termes généraux peuvent néanmoins s’adapter à la réalité moderne de façon à protéger les destinataires des nouveaux messages des commerçants.
Les deux principales sortes de marketing en ligne sont, d’une part, le marketing des moteurs de recherche et, d’autre part, le marketing des médias sociaux. Les entreprises exploitant un moteur de recherche procèdent à l’indexation du contenu Web afin d’organiser et de présenter l’information disponible sous un format compréhensible. Les commerçants qui offrent des produits au détail peuvent se présenter en tête de ces listes en ciblant des mots-clés précis faisant l’objet de recherches par les consommateurs. Le marketing des médias sociaux est une forme de placardage publicitaire qui permet aux annonceurs de présenter leurs services de manière attrayante sur diverses plateformes en vue dans les médias sociaux. Cette conversation ciblée avec les consommateurs accentue la notoriété de la marque et permet de recueillir commentaires et perspectives. Le marketing des moteurs de recherche et le marketing des médias sociaux sont tous les deux des formats publicitaires régis par la loi.
Législation provinciale
La Loi sur la protection du consommateur1 du Québec (« LPC ») réglemente et régit les activités publicitaires dans la province de Québec. Plus précisément, la LPC interdit la publicité fausse ou trompeuse. Les dispositions de la LPC sont destinées tant aux commerçants qu’aux acteurs de l’industrie publicitaire. La LPC indique qu’« [a]ucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur »2. Cette interdiction s’applique à tous les supports, y compris aux médias imprimés, à la radio et à la télévision, Internet ne faisant aucunement exception à la règle.
La province a également promulgué la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information3 (« LCCJTI »), en vigueur depuis 2001, laquelle prévoit la responsabilité des intermédiaires en ligne tels que les moteurs de recherche et les hébergeurs Web, dans un contexte qui n’est pas propre à la publicité. En effet, le juge Rochon de la Cour d’appel du Québec explique dans l’arrêt Prud’homme c. Rawdon4 que bien qu’« une faute contributoire [puisse] être commise par des tiers qui acheminent, diffusent ou hébergent l’information [...] les articles 22, 26, 36 et 37 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (RLRQ, c. C-1.1) tendent plutôt à diminuer sinon à soustraire certains tiers à toute responsabilité ». L’article 22 prévoit que l’hébergeur qui n’est pas un moteur de recherche échappe à la responsabilité sauf s’il a connaissance que les informations qu’il conserve servent à une activité illégale ou s’il n’agit pas promptement pour empêcher l’accès auxdits documents illégaux. Une entreprise qui gère un moteur de recherche est également responsable si elle est au courant que ses services permettent des activités illégales et si elle n’interdit pas l’accès à ses services aux gens qui prennent pas dans ce type d’activités. Dans un cas comme dans l’autre, la connaissance est un facteur déterminant.
L’article 27 de cette même loi énonce ce qui suit :
Le prestataire de services qui agit à titre d’intermédiaire pour fournir des services sur un réseau de communication ou qui y conserve ou y transporte des documents technologiques n’est pas tenu d’en surveiller l’information, ni de rechercher des circonstances indiquant que les documents permettent la réalisation d’activités à caractère illicite.
Ainsi, la connaissance n’est pas présumée et il y a donc nécessité implicite d’aviser l’intermédiaire de l’existence du contenu illicite en question. Une fois cet avis transmis, l’intermédiaire, comme défini à l’article 22, doit agir promptement pour retirer le contenu ou limiter l’accès à celui-ci.
Législation fédérale
La Loi sur la concurrence5 réglemente la plupart des pratiques commerciales au Canada, son objet principal étant d’empêcher les pratiques anti-concurrentielles dans le marché. La Loi sur la concurrence interdit les indications fausses ou trompeuses et les pratiques commerciales trompeuses dans la promotion de la fourniture d’un produit ou de tout intérêt commercial. En outre, les personnes qui sont « à l’origine de l’indication » sont tenues responsables d’indications fausses ou trompeuses ou de pratiques trompeuses. Il s’ensuit que la responsabilité est non seulement imposée à la personne qui crée la publicité trompeuse ou fausse, mais également à la personne qui permet que l’indication soit faite ou transmise.
Les « Lignes directrices – Application de la Loi sur la concurrence aux indications dans Internet » mentionnent que, dans l’environnement en ligne, le Bureau de la concurrence est appelé à considérer les rôles respectifs des divers intermédiaires participant à la publicité sur Internet. On y explique en outre que :
[l]e Bureau axe principalement ses activités d’application de la loi sur la partie qui est « à l’origine » des indications. En déterminant la causalité qu’exige l’analyse des faits pour déterminer qui exerce le pouvoir de décision ou qui exerce le contrôle sur le contenu; il faut également évaluer la nature et le degré du pouvoir ou du contrôle6.
[Nos soulignements]
Ainsi, le degré de la responsabilité attribuée à une partie donnée dépendra, dans une forte mesure, du degré de contrôle qu’exerce cette dernière sur le contenu et de la question de savoir si elle a joué un rôle dans la décision de présenter ou non la publicité.
En vertu de la Loi sur la concurrence, il existe deux régimes d’application pour sanctionner les indications fausses ou trompeuses : le régime civil ou le régime criminel. Le régime civil s’applique à la plupart des cas d’indications trompeuses et de pratiques commerciales trompeuses puisque le fardeau de la preuve y est moins onéreux. Le processus criminel général s’applique toutefois aux « cas les plus graves » et exige la preuve d’une composante d’intention criminelle7.
Responsabilité éventuelle des générateurs de publicité
Le commerçant
Le commerçant est la partie ayant le pouvoir de décider si une publicité est montrée ou non. Par conséquent, il s’agit de la partie à laquelle on peut normalement le plus facilement attribuer la responsabilité, laquelle est d’ailleurs le plus souvent tenue responsable de pratiques commerciales trompeuses, que ce soit relativement à la LPC ou à la Loi sur la concurrence.
L’agence responsable du plan médias
L’agence responsable du plan médias peut jouer un rôle double; c’est-à-dire qu’elle peut agir à titre d’agence de création qui crée la publicité (responsable en vertu de la Loi sur la concurrence) ou offrir son appui à un annonceur dans le choix du support à employer, que ce soit la télévision, les journaux, les affiches aux arrêts d’autobus, les étalages en magasin, les bannières publicitaires sur le Web ou une publicité sur Facebook.
La responsabilité d’une agence responsable du plan médias dans Internet dépendra bien entendu du rôle exact que joue celle-ci vis-à-vis de la publicité. En ce qui a trait au critère du pouvoir de décision et de contrôle, si l’agence agit à titre « créatif » et qu’elle est à l’origine du contenu de la publicité, il y a de bonnes chances qu’on la tienne responsable de l’indication fausse ou trompeuse. Si, au contraire, l’agence responsable du plan médias n’est responsable que de faire des projections sur les données démographiques du public cible et de mettre au point des stratégies correspondantes concernant les médias les plus efficaces à utiliser, elle a alors peu de chances d’être tenue responsable de pratiques commerciales trompeuses. Le devoir de diligence de l’agence augmente à mesure qu’augmente sa participation8. La participation, aux yeux de la FTC (« Federal Trade Commission ») et des tribunaux, s’entend des cas où l’agence met en oeuvre la volonté de l’annonceur9. En dernière analyse, la question de savoir si la participation de l’agence est « active » dépend d’une analyse au cas par cas10. Pourraient aussi se présenter des situations où l’agence serait responsable à l’égard du commerçant.
Responsabilité éventuelle des diffuseurs de publicité
L’agence responsable du placement dans les médias
L’agence responsable du placement dans les médias, aussi connue sous le nom d’acheteuse de médias, est responsable de négocier et de placer la campagne médiatique. Son rôle comprend l’optimisation et l’évaluation de l’efficacité de la publicité tant pendant la campagne publicitaire qu’après que celle-ci prenne fin. De plus, l’agence responsable du placement dans les médias crée une valeur ajoutée soit en négociant des tarifs plus avantageux auprès de l’hébergeur, soit en améliorant la détermination géographique ou comportementale du public cible par l’entremise des plateformes publicitaires (généralement non responsable).
Le site Web ou l’hébergeur de page Web
L’hébergeur, aussi connu sous le nom de diffuseur, est une entité propriétaire d’une page Web ou d’un site Web qui, moyennant une contrepartie économique, est prête à publier des publicités d’autres parties dans certaines sections de sa page ou de son site. La LCCJTI prévoit que l’hébergeur qui n’est pas un moteur de recherche échappe à la responsabilité sauf s’il a connaissance que les informations qu’il conserve servent à une activité illégale ou s’il n’agit pas promptement pour empêcher l’accès auxdits documents illégaux. Un moteur de recherche est également responsable s’il a connaissance que le service qu’il offre permet des activités illégales et s’il ne cesse pas promptement d’offrir le service en question aux personnes dont il sait qu’elles participent à ladite activité. Dans un cas comme dans l’autre, la connaissance constitue le facteur décisif. En ce qui concerne la Loi sur la concurrence, un hébergeur peut profiter du moyen de défense du diffuseur et échapper à la responsabilité dans une action au civil pour autant qu’il n’a pas, sciemment ou sans se soucier des conséquences, participé à la publicité fausse ou trompeuse ou permis celle-ci.
Leçons à tirer
En cherchant à faire la part des choses parmi les nouvelles stratégies de marketing en ligne, on doit garder à l’esprit que, tout en étant très efficace, la publicité en ligne a aussi contribué de manière importante à une augmentation du risque d’indications fausses ou trompeuses. Le seuil d’évaluation de ce qui constitue une indication fausse ou trompeuse est particulièrement bas, puisque l’évaluation se fait du point de vue du consommateur moyen, c’est-à-dire d’un consommateur « crédule et inexpérimenté »11. Bien que les divers acteurs du monde du marketing sont bien au fait du concept de publicité fausse ou trompeuse, ceuxci doivent se montrer vigilants en recourant aux nouvelles formes de marketing de manière à ne pas franchir ce bas seuil. En effet, certaines considérations sont propres au support Internet, notamment la vitesse et l’efficacité de perception des publicités par les consommateurs.
L’on doit aussi être bien conscient des modifications législatives touchant la protection du consommateur et le droit de la concurrence. Par exemple, le projet de loi 13412 a récemment entrepris de modifier la LPC de manière à interdire aux commerçants de « faire une représentation fausse ou trompeuse selon laquelle le crédit peut améliorer la situation financière du consommateur ou selon laquelle un rapport de crédit fait à son sujet sera amélioré »13. Il se trouve dans le marketing des moteurs de recherche et le marketing des médias sociaux un volume considérable de publicité portant sur des offres de crédit. Les annonceurs doivent prendre garde et s’assurer de respecter ces mesures lorsqu’elles sont promulguées, de même que les autres outils législatifs mentionnés dans la présente publication.
- RLRQ, c. P-40.1.
- Ibid., art. 219.
- RLRQ, c. C-1.1.
- 2010 QCC A 584, paragr. 75.
- S.L.R.C. 1985, c. C-34.
- Innovation Gouvernement du Canada, « Application de la Loi sur la concurrence aux indications dans Internet », (16 octobre 2009).
- Innovation Gouvernement du Canada, « Indications et pratiques commerciales trompeuses : Choix entre le régime criminel ou civil de la Loi sur la concurrence », (22 septembre 1999).
- Kelley Drye et Collier Shannon, « Ad Agency Liability » (2005) Ad Law Advisory.
- Ibid.
- Ibid.
- Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 RCS 265, paragr. 78.
- Loi visant principalement à moderniser des règles relatives au crédit à la consommation et à encadrer les contrats de service de règlement de dettes, les contrats de crédit à coût élevé et les programmes de fidélisation, Projet de loi no 134 (Présentation le 2 mai 2017), 1re sess., 41e lég. (Québec).
- Ibid., Notes explicatives.