Le 3 octobre, 2016, la Table Justice-Québec, une instance de concertation regroupant les principaux acteurs du milieu du droit et de la justice au Québec, rendait public son plan d’action et proposait 22 mesures visant l’administration de la justice au Québec. Un des thèmes abordés par les participants à cette Table est celui de l’opportunité de recourir davantage aux mesures alternatives de résolutions de conflits telles que le traitement non judiciaire de certaines infractions pour adultes et les mesures de rechange pour adolescents. L’heure n’est-elle maintenant pas venue d’appliquer de telles mesures aux personnes morales au moyen de l’implantation d’un programme de poursuites différées pour les entreprises ?
L’accord de poursuites différées, déjà mis sur pied dans certains pays tels les États-Unis et l’Angleterre, se définit comme étant une procédure de négociation utilisée dans le cadre de poursuites pénales et administratives. Ainsi, lorsqu’une personne collabore avec l’autorité poursuivante, soit par la reconnaissance des faits reprochés, soit en payant un dédommagement ou une amende ou en effectuant une remise en état, le procureur poursuivant abandonne les procédures en cours contre cette personne.
Ce type de déjudiciarisation, davantage connu au Québec sous le vocable de mesures de rechange pour les personnes mineures, ou encore de programme de non judiciarisation pour les personnes majeures, faisait dès 1970 l’objet d’un projet pilote. Qui plus est, depuis 1995, un programme de traitement non judiciaire de certaines infractions criminelles s’applique au DPCP (Direction des poursuites criminelles et pénales) et également aux cours municipales. Ce programme de traitement non judiciaire permet au procureur de la poursuite relevant de l’autorité du DPCP de ne pas judiciariser l’affaire (directive NOJ-1 du DPCP).
Ainsi, sont prises en considération pour l’application du programme de non judiciarisation, les circonstances particulières de la commission de l’infraction (degré de préméditation, gravité subjective notamment sur les conséquences de l’infraction à l’égard de la victime, degré de participation de l’auteur présumé et intérêt de la justice, degré de collaboration, risque de récidive). L’envoi d’une lettre d’avertissement (ou d’une mise en demeure utilisée uniquement dans le cas de non respect d’une ordonnance de probation comportant une condition de remboursement) constitue le moyen utilisé pour mettre en application ce programme.
L’application de ce programme de mesures de non judiciarisation a notamment pour effet direct d’éviter d’engorger les tribunaux et de permettre à la cour de traiter avec plus de célérité les autres types de dossiers.
Ce programme ne s’applique pas aux dossiers mettant en cause des personnes morales. Les entreprises (tout comme les individus d’ailleurs) aux prises avec la justice pénale ne bénéficient pas à ce jour de la possibilité de ne pas être poursuivies en justice.
Dans la foulée de l’affaire Jordan1, ne serait-il pas temps d’implanter une telle mesure au bénéfice des entreprises ? Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada rappelait à tous les participants du système de justice criminelle qu’ils devaient faire des efforts et se coordonner afin d’apporter des changements structurels et procéduraux supplémentaires. Ainsi, la plus haute cour au Canada a décrété un arrêt des procédures contre M. Jordan puisqu’il avait dû attendre 49 mois (entre le dépôt de l’accusation et sa condamnation) pour connaître l’issue de sa cause.
La Cour suprême a créé un nouveau cadre d’analyse afin de déterminer ce que constitue un délai raisonnable pour subir son procès au sens où l’entend l’article 11 b) de la Charte des droits et libertés de la personne. Selon la Cour, un changement s’impose. Il est par conséquent de la plus haute importance que le système judiciaire réalise de considérables gains d’efficacité.
Il nous semble qu’à la lumière de ces enseignements, les autorités publiques se doivent de considérer dès maintenant l’implantation de mesures de rechange applicables aux entreprises. D’ailleurs, eu égard au critère de l’opportunité de poursuivre, il importe de noter que la directive ACC-3 du DPCP oblige actuellement le poursuivant à considérer l’existence d’une solution de rechange. Ainsi, à l’obligation faite actuellement au poursuivant de considérer l’application du programme de non judiciarisation à l’égard des personnes physiques ayant commis des infractions criminelles, devrait s’ajouter une obligation de considérer l’application d’un programme similaire à l’endroit des personnes morales.
Il en va de l’efficacité même de notre système judiciaire qui, comme toute autre institution publique, dispose de ressources financières limitées.
Pourquoi alors remettre à demain ?