Frais d’itinérance : la route sera longue

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Le 10 août 2016, la Cour d’appel du Québec autorisait une action collective visant certains frais de téléphonie mobile internationale, rappelant ainsi, avec des égards marqués pour l’opinion contraire, la facilité à satisfaire le seuil de l’autorisation en vertu du droit québécois ainsi que les paramètres relatifs à l’intérêt du représentant1.

L’action collective proposée

«[D]ésagréablement surprise »2 par le montant des frais d’itinérance engagés lors d’un voyage aux États-Unis, Inga Sibiga, détentrice d’un contrat de téléphonie cellulaire avec Fido (une filiale de Rogers), sollicite l’autorisation d’exercer une action collective contre Bell, Fido, Rogers et Telus, les quatre principaux fournisseurs de services de téléphonie mobile au Canada. En substance, elle allègue que les frais de bande passante en itinérance internationale facturés par ces compagnies aux consommateurs québécois sont abusifs, lésionnaires et excessifs au point de constituer de l’exploitation, et donc contraires aux articles 8 de la Loi sur la protection du consommateur3 et 1437 du Code civil du Québec. Elle demande la réduction de l’obligation des abonnés et l’octroi de dommages exemplaires.

Le mode itinérance internationale de données (le roaming) permet à un consommateur d’utiliser son téléphone mobile hors de la zone de couverture offerte par son fournisseur, ce dernier ayant alors recours au réseau d’un autre fournisseur, moyennant contrepartie. Les défendeurs offrant tous une couverture pancanadienne, la question des frais d’itinérance ne se pose que par rapport à la transmission de données à l’étranger.

Le jugement dont appel

Le 2 juillet 2014, l’honorable Michel Yergeau de la Cour supérieure du Québec rejette la requête en autorisation, avec dépens. Pour l’essentiel, la requête de Mme Sibiga ne lui paraît pas satisfaire aux exigences de l’article 1003b) Cpc alors applicable, en ce que les faits allégués ne lui semblent pas suffisants pour justifier les conclusions recherchées. Il relève qu’aucune allégation ni document n’établit sérieusement le cadre des obligations contractuelles assumées par la requérante et par Fido4. Les admonestations sont particulièrement vigoureuses face au fait qu’aucune copie du contrat de service n’a même été produite, contrat qualifié de « fait essentiel tangible »5. Devant ce cadre lacunaire, la Cour supérieure estime que les allégations d’exploitation relativement aux frais d’itinérance tiennent de la simple hypothèse et ne sauraient constituer des faits suffisants pour justifier l’autorisation d’une action collective; elles relèveraient sans doute mieux d’une « enquête à caractère public » mais des tribunaux, assurément pas6. Pour libérale que puisse être l’approche mise de l’avant par l’arrêt Infineon de la Cour suprême du Canada7, « [o]n ne lance pas une procédure aussi coûteuse pour le système judiciaire qu’un recours collectif sur une base aussi ténue »8.

À cette conclusion pour le moins catégorique, la Cour supérieure ajoute encore qu’à son avis, Mme Sibiga n’est pas dans une position lui permettant de représenter adéquatement les membres du groupe proposé, comme le requiert l’article 1003(d) Cpc. D’une part, elle constate un défaut d’intérêt au sens de l’article 55 Cpc, du moins à l’encontre de Telus et de Bell, puisque Mme Sibiga n’est liée par contrat qu’avec Fido (et donc Rogers). D’autre part, considérant sa faible connaissance du dossier ou du processus, elle lui paraît « à la solde »9 de ses procureurs. Les commentaires de la Cour supérieure à ce sujet ne sont pas une condamnation des avocats au dossier ou de la représentante proposée, mais plutôt une défense du rôle et de l’indépendance du « représentant » dans le cadre d’une action collective.

La requérante se pourvoit en appel et la Cour d’appel, sous la plume du juge Nicholas Kasirer, lui donne raison. C’est en partie eu égard à la « portée sociale »10 de l’action collective renforcée par la jurisprudence récente de la Cour suprême que sera cassée la décision de la Cour supérieure.

L’appel

Si elle acquiesce aux préoccupations exprimées par le juge de première instance selon lesquelles « une approche laxiste peut entraîner l’autorisation d’actions collectives qui ne méritent pas d’aller à procès »11, la Cour d’appel estime néanmoins qu’il a erré : « bien qu’un juge puisse refuser une requête pour autorisation qui repose sur une interprétation trop libérale de la norme d’Infineon, c’est une erreur de droit que de refuser l’autorisation en traitant cette norme comme trop libérale en soi »12.

De l’avis de la Cour d’appel, « en refusant l’autorisation […] à cause de ce qu’il décrit comme une demande imprécise et spéculative, le juge a manqué d’appliquer la norme de l’apparence de droit qui aurait dû prévaloir dans cette affaire d’action collective de consommation »13; il n’a dès lors pas pu constater que les critères de l’autorisation étaient satisfaits.

L’insoutenable légèreté du filtre de l’autorisation

« [L]e recours devrait être autorisé à suivre son cours si le requérant présente une cause défendable »14, « le tribunal, dans sa fonction de filtrage, écarte simplement les demandes frivolesÉ »15 : la facilité à satisfaire les critères posés par l’article 1003 Cpc alors applicable est désormais établie, n’en déplaise aux tenants d’une approche plus scrutatrice.

Il suffit presque à ce stade que les allégations, même les plus légères, paraissent soutenables; c’est lors du procès au fond qu’elles devront être établies, étoffées par la preuve. Le juge de première instance, indique la Cour d’appel, a eu tort de demander davantage. Paradoxalement peut-être, à d’autres égards, elle lui reprochera d’avoir cédé à la tentation de l’examen de certains éléments du dossier comme s’il était saisi du fond16, ce qui, au stade de l’autorisation, était « imprudent et en effet erroné »17.

D’autre part, la Cour d’appel n’accorde pas la même importance que la Cour supérieure à la production du contrat de la requérante avec son fournisseur de services de téléphonie mobile. L’existence du contrat n’est pas disputée et certaines de ses modalités peuvent être déduites des factures ou des documents d’information des fournisseurs, qui eux, ont été produits en preuve. Au stade de l’autorisation, cela suffit18.

Le représentant : ni fer de lance ni marionnette

Restent les commentaires sur la capacité de représentation de la requérante. Suivant en cela l’arrêt Marcotte19 de la Cour suprême (arrêt rendu après le jugement de la Cour supérieure et dont elle ne pouvait donc bénéficier), la Cour d’appel conclut que l’absence de cause d’action (contractuelle) directe entre la requérante et deux des défendeurs proposés ne constitue pas un obstacle dirimant à l’action collective envisagée20. La question du rôle du représentant proposé et de sa capacité à travailler avec - et non pour - ses avocats est plus délicate : que certains avocats puissent faire preuve d’un esprit d’entreprise excessif ne permet pas d’éclipser certains mérites de ce genre de pratique21. Que l’empreinte des avocats y soit forte ne sape pas nécessairement l’authenticité d’une demande22.

Encore ici, de l’avis de la Cour d’appel, la Cour supérieure s’est fait l’apôtre d’une approche plus rigoureuse que ne le commande la Cour suprême.

La composition du groupe : le fardeau de la preuve appartient aux audacieux

S’appuyant sur un commentaire de la Cour supérieure selon lequel, en l’absence de quelque précision quant aux pays où des frais d’itinérance auraient été engagés et à la variété des forfaits23, le groupe proposé était indûment inclusif, les défenderesses Bell et Telus demandaient à la Cour d’appel, advenant que l’appel soit accueilli, de restreindre celui-ci. La Cour d’appel s’y refuse. Si tenté puisse-t-on être de donner au groupe proposé une échelle plus habituelle, ce serait là préjuger de la capacité de la demande à mener sa preuve24. Or, au stade de l’autorisation, il suffit d’établir le caractère a priori raisonnable ou défendable de la composition du groupe, ce qui, en l’espèce, a été fait25. Quoi qu’il en soit, la description du groupe n’est pas immuable et peut être révisée pendant l’audience26.

Au final

L’arrêt de la Cour d’appel du Québec s’inscrit dans la droite ligne des enseignements récents de la Cour suprême du Canada en matière d’action collective. S’il n’opère aucun renversement jurisprudentiel, il est cependant révélateur de la force avec laquelle le plus haut tribunal du pays a consacré la générosité du régime québécois au stade de l’autorisation27. L’autorisation n’est évidemment pas acquise par le seul dépôt d’une demande, mais le caractère approximatif ou inachevé de la preuve présentée à ce stade préliminaire n’est pas fatal. La réforme de la procédure civile québécoise n’ayant pas reformulé les critères applicables, il y a tout lieu de penser que la tendance se maintiendra, libérale.


  1. Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299 [CA], inf. Sibiga c. Fido Solutions inc., 2014 QCCS 3235 [CS].
  2. CS, au para. 16.
  3. Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c P-40.1.
  4. CS, au para. 113.
  5. CS, au para. 109.
  6. CS, au para. 121.
  7. CS, au para. 147; référence à Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 RCS 600, 2013 CSC 59.
  8. CS, au para. 98.
  9. CS, au para. 150.
  10. CA, au para. 51, référence à Bisaillon c. Université Concordia, [2006] 1 RCS 666, 2006 CSC 19, au para. 16.
  11. CA, 14 [notre traduction].
  12. CA, au para. 15 [notre traduction].
  13. CA, au para. 15 [notre traduction].
  14. Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 RCS 600, 2013 CSC 59, au para. 65.
  15. Ibid., au para. 61.
  16. CA, aux para. 69-96.
  17. CA, au para. 96.
  18. CA, aux para. 56-68.
  19. Banque de Montréal c. Marcotte, [2014] 2 RCS 725, 2014 CSC 55.
  20. CA, aux para. 39, 98, 115.
  21. CA, aux para. 102-103.
  22. CA, au para. 104.
  23. CS, au para. 122.
  24. CA, aux para. 140-141.
  25. CA, aux para. 137-138.
  26. CA, au para. 150.
  27. V. p.ex., Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 RCS 600, 2013 CSC 59; Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, [2014] 1 RCS 3, 2014 CSC 1, Banque de Montréal c. Marcotte, [2014] 2 RCS 725, 2014 CSC 55, Theratechnologies Inc. c. 121851 Canada Inc., [2015] 2 RCS 106, 2015 CSC 18.
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