L’importance de l’indépendance des organisations mondiales jouant un rôle actif en matière de répression de la corruption transfrontalière

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La corruption est un fléau qui transcende les frontières. Face à cette situation, le Canada a choisi d’adopter la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (ci-après la « LCAPÉ ») en 1998, puis en a renforcé le régime plus récemment. La difficulté de cette loi repose dans le fait que l’acte condamnable doit avoir été commis à l’étranger. La coopération internationale demeure donc essentielle à son application.

Les difficultés liées au caractère transfrontalier de la corruption sont réelles. La construction d’un pont traversant le fleuve de Padma au Bangladesh, projet estimé à 2,9 milliards de dollars américains, constitue l’illustration caractéristique d’une collaboration transnationale efficace qui a mené à l’accusation de quatre individus en vertu de la LCAPÉ.

Dans le cadre de ce dossier, la Cour suprême du Canada (ci-après la « Cour suprême »), sous la plume des juges Moldaver et Côté, confirmait unanimement au printemps dernier l’applicabilité d’immunités et de privilèges prévus en faveur du Groupe de la Banque mondiale (ci-après la « Banque mondiale ») et de son personnel qui refusaient depuis plusieurs mois de communiquer aux quatre individus accusés certains documents relatifs à leurs informateurs.1

En effet, après avoir reçu des courriels de différents dénonciateurs suggérant qu’un important contrat qu’elle finançait avait fait l’objet de promesses de pots-de-vin à des fonctionnaires responsables du processus d’attribution, le secteur intégrité de la Banque mondiale (ci-après l’« INT »), chargé d’examiner les allégations de fraude, de corruption et de collusion, avait décidé de faire enquête. Compte tenu de ses découvertes, INT avait transmis une partie desdits courriels, de ses rapports d’enquête et d’autres documents à la Gendarmerie royale du Canada (ci-après « GRC »).

Sur le fondement de ces renseignements, la GRC avait obtenu l’autorisation de la Cour d’intercepter des communications privées qui s’avérèrent compromettantes pour les quatre individus. Des accusations pour des infractions commises en vertu de la LCAPÉ par les quatre hommes furent ensuite déposées par la Couronne.

Le jugement de la Cour suprême intervient donc au stade où ces derniers contestent les demandes d’autorisations d’écoute et demandent à la Cour d’émettre une ordonnance de communication de l’entièreté des dossiers de l’INT. Ils cherchent, par le fait même, à obtenir la confirmation de la validité d’assignations à comparaître qu’ils ont émises afin de forcer la déposition de deux représentants de l’INT.

D’entrée de jeu, la Cour suprême rappelle qu’il est essentiel de protéger contre l’ingérence étatique les organisations internationales jouant un rôle actif en matière de répression de la corruption transfrontalière.

En l’instance, les intimés souhaitent que les enquêteurs seniors de la Banque mondiale, ayant travaillé en collaboration avec les différents informateurs, comparaissent devant les tribunaux canadiens et transmettent l’ensemble de leurs notes, mémos, courriels, documents en provenance des dénonciateurs et communications quelles qu’elles soient.

Or, l’Accord relatif à la Banque mondiale ainsi que ses statuts prévoient que l’ensemble de ses dossiers et documents ne peuvent faire l’objet d’une ordonnance de communication d’un organisme judiciaire d’un pays membre, puisque ceux-ci sont qualifiés d’inviolables. Le terme « inviolable », employé dans l’Accord et les statuts, sous-entend l’absence d’ingérence unilatérale. En l’occurrence, c’est expressément ce qui est demandé par les accusés.

Le Canada étant un état membre signataire de l’Accord et des statuts de la Banque mondiale, la Cour suprême confirme l’applicabilité de ce privilège. Ce faisant, elle souligne que c’est par le respect et la reconnaissance de celui-ci que les organisations internationales sont en mesure de conserver leur liberté et leur indépendance.

Par ailleurs, à l’encontre des assignations à comparaître émises contre ses employés qui ont été chargés de l’enquête, la Banque mondiale soulève l’immunité prévue en faveur de son personnel. Les assignations dont il est question forceraient non seulement la communication de documents, mais également le témoignage des enquêteurs.

Il est incontesté, de part et d’autre, que ces derniers agissaient dans le cadre de leur fonction lorsqu’ils ont récolté l’ensemble des informations menant à l’inculpation des quatre individus. Il n’est pas non plus contesté que l’immunité prévue à l’Accord et aux statuts dont jouissent les employés de la Banque mondiale les protège contre les poursuites civiles et pénales, et au surplus les sommations à comparaître. Cependant, les quatre inculpés prétendent qu’en ayant déjà communiqué une partie de ses documents d’enquête, la Banque mondiale a levé implicitement cette immunité.

La Cour suprême conclut que l’objet et le but du traité exigent plutôt une renonciation impérativement expresse de la Banque mondiale à cette immunité. En l’espèce, cette dernière n’y a pas renoncé. Ce type de privilège constitue une protection accordée aux organisations internationales contre l’immixtion de ses États membres. La légitimation par les États membres de ces immunités internationales est essentielle, puisque les organisations telles que la Banque mondiale ne peuvent en appeler à des organes de surveillance fédérale étant donné leur inexistence.

En l’occurrence, la Cour suprême sous-entend que c’est fondamentalement ce caractère supranational de la Banque mondiale qui lui permet de lutter plus efficacement que ses États membres contre le problème universel que constitue la corruption d’agents publics. Il faut donc favoriser une interprétation de ses Accord et statuts qui militent en ce sens, d’autant plus que ceux-ci ont obtenu l’approbation du Canada.

La corruption d’agents publics semble plus à risque dans certains territoires que d’autres. Pensons aux pays en développement ou ceux dont les institutions démocratiques sont plus faibles. Le danger n’est toutefois pas limité à ces endroits; il demeure présent même dans les pays les plus développés.

Les conséquences d’une condamnation pour avoir participé à la perpétration d’un acte de corruption sont graves tant sur le plan juridique que sur celui de l’opinion publique.

La prévention et la sensibilisation de l’ensemble du personnel à cet égard favorisent le développement d’une culture d’intégrité au sein de votre entreprise. L’élaboration de programmes de diligence interne ainsi que de formation pour démystifier les enjeux relatifs aux pays étrangers avec lesquels votre société traite représentent également des solutions à privilégier.


  1. Référence complète : Groupe de la Banque mondiale c. Wallace, 2016 CSC 15.
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