L’assurance « pair à pair » : un retour aux sources… révolutionnaire ?

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Après l’hôtellerie, le transport de personnes et le financement de sociétés, le domaine de l’assurance pourrait être le prochain à voir son modèle d’affaires influencé par l’économie de partage. Dans les dernières années, de nombreuses jeunes entreprises se sont lancées dans l’assurance « pair à pair » (ci-après « P2P ») et dans les plateformes de partage de risques, alléguant réduire bureaucratie et coûts et assurer des risques que les marchés traditionnels ne couvrent pas. Bref survol de ce modèle d’affaires toujours discret au Québec et qui fait l’objet d’une mise en garde de l’Autorité des marchés financiers (« AMF »).

Qu’est-ce que l’assurance P2P ?

L’idée derrière les entreprises d’assurance P2P est simple : il s’agit de former des communautés d’utilisateurs ayant comme but d’assurer des biens semblables. Ce sont les utilisateurs qui déterminent quels risques associés à leurs biens seront couverts et c’est collectivement que la communauté décide de la recevabilité des réclamations.

L’idée n’est pourtant pas si nouvelle. Après tout, il s’agit là d’un retour aux sources pour le milieu de l’assurance. Déjà, entre 1000 et 600 av. J-C, la Lex Rhodia — précurseur du droit maritime contemporain — prévoyait un mécanisme d’indemnisation pour avaries communes en vertu duquel un groupe de marchands expédiant leurs biens ensemble versaient chacun une somme avant le voyage servant à indemniser celui dont la cargaison se voyait larguée en mer pendant le transport afin d’assurer l’arrivée du navire — et du reste du chargement — à bon port1. Tel principe existe toujours dans le domaine de l’assurance maritime, mais le modèle d’affaires du domaine de l’assurance de biens et de l’assurance de personnes s’en est, depuis, quelque peu éloigné.

Deux types d’entreprises P2P ont vu le jour dans les dernières années : celles qui agissent comme courtier auprès de compagnies d’assurance existantes et celles qui offrent une couverture indépendamment de toute autre compagnie. Les entreprises P2P allèguent que le processus simplifié qu’elles proposent permettrait de réduire le nombre d’intermédiaires entre l’utilisateur et le produit d’assurance et par ce fait même réduire les coûts, notamment ceux liés aux commissions des courtiers, aux frais administratifs et aux honoraires des experts en sinistres. Les entreprises P2P allèguent également qu’elles redonneraient aussi le contrôle des risques, des réclamations et même de l’indemnisation aux assurés. À cet égard, certaines plateformes ont créé des « tribunaux communautaires » constitués de « jurés » volontaires puisés au sein des membres qui décideront du bienfondé des réclamations et de l’indemnisation qui sera versée. C’est notamment le fonctionnement de l’entreprise P2P canadienne Besure2.

Mise en garde de l’AMF

Les consommateurs doivent néanmoins être vigilants. Au Québec, l’AMF a récemment mis en garde les utilisateurs potentiels de ces plateformes3. Elle rappelle que l’offre de services ou de produits d’assurance est une activité réglementée qui nécessite l’obtention d’un permis. De plus, les produits offerts doivent l’être conformément à la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

L’AMF en est encore à analyser les similitudes et les différences entre ces plateformes et les compagnies d’assurance. En attendant que l’AMF statue sur la conformité des plateformes P2P à la réglementation québécoise, des risques guettent les utilisateurs. Ces derniers pourraient, notamment, s’exposer à des pertes potentielles advenant le cas où le fonds d’indemnisation recueilli par les utilisateurs ne serait pas assez important pour couvrir l’entièreté de leurs dommages ou si la communauté refusait de les indemniser raisonnablement à la suite d’une perte. De plus, l’AMF recommande aux particuliers de vérifier si l’entreprise de partage des risques possède bel et bien un permis avant d’effectuer une transaction par l’entremise de celle-ci, puisqu’en cas d’insolvabilité de la communauté, les pertes des assurés pourraient ne pas être couvertes par le Fonds d’indemnisation des services financiers, qui ne protège que les consommateurs ayant souscrit à une assurance auprès d’un titulaire de permis.

Quelques exemples hors Québec

Bien que le phénomène de l’assurance P2P soit actuellement en vogue à l’étranger, il demeure pour l’instant discret au Québec. La plateforme canadienne Besure4, lancée en janvier 2016, reste un acteur marginal5. Celle-ci permet à ses utilisateurs de se rassembler en petits groupes afin de souscrire à diverses assurances et bénéficier d’une ristourne en l’absence de réclamations.

Le fonctionnement de Besure est similaire à l’entreprise P2P allemande Friendsurance6. Ces deux entreprises, tout comme l’entreprise française Inspeer7 l’entreprise anglaise Guevara8, s’éloignent des données actuarielles et s’en remettent plutôt aux études comportementales pour fixer les primes d’assurance. En effet, leur concept repose sur une hypothèse : le caractère dissuasif du système communautaire, où tout le monde gagne à adopter un comportement prudent. Puisque le coût de la prime à payer pour faire partie d’un groupe dépend du comportement de ses membres, les entreprises P2P prétendent que les comportements plus risqués et les réclamations frauduleuses seraient découragés9.

Malgré que le modèle P2P n’en soit qu’à ses balbutiements, la jeune entreprise new-yorkaise P2P en assurance de dommages Lemonade10 a pu amasser plus de treize (13) millions de dollars au cours de la dernière année, et ce, avant même de dévoiler son modèle d’affaires11.

Plus loin, en Chine, les assurés de la compagnie TongJuBao12 contribuent à un bassin d’indemnisation et en obtiennent, au besoin suite à un sinistre, une somme aux termes de l’assurance qu’ils ont souscrite.

Conclusion

Les entreprises P2P promettent aux utilisateurs un système simplifié. Or, l’assurance P2P comporte également son lot d’inconvénients, notamment l’incertitude quant à la suffisance de fonds afin d’indemniser toute réclamation éventuelle, tant les petites que les plus importantes. L’objectif premier de l’assurance n’est-il pas, après tout, d’assurer l’indemnisation de toute perte couverte ?

Bien que le phénomène demeure pour l’instant marginal et bien qu’aucune plateforme de partage des risques P2P n’ait encore reçu l’aval des autorités réglementaires québécoises à notre connaissance, le marché de l’assurance doit s’assurer de bien comprendre ces nouveaux joueurs et leur modèle d’affaires.


  1. Hudson, N. Geoffrey. The York-Antwerp Rules – The Principles and Practice of General Average Adjustment, 2e Ed., 1996, London, pp.1-2.
  2. https://www.besure.com/Home/HowItWorks
  3. Autorité des marchés financiers, « Prudence à l’égard des plateformes de partage de risques entre particuliers (« peer to peer risk sharing ») », 19 avril 2016.
  4. https://www.besure.com
  5. À notre connaissance, Besure ne possède pas encore de permis émis par l’AMF.
  6. http://friendsurance.com
  7. https://www.inspeer.me
  8. https://heyguevara.com
  9. Zack Guzman, « The social(ist) revolution coming for insurance », CNBC, 18 juillet 2015.
  10. http://lemonade.com
  11. Jacqueline Nelson, « Regulator eyes peer-to-peer insurance start-ups, warns of potential risk », The Globe and Mail, 24 avril 2016.
  12. http://www.tongjubao.com/en
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