Les faits de l’arrêt Roy c. Lefebvre
Le 25 juin 2014, la Cour supérieure1 a accueilli le recours d’un assuré contre un courtier d’assurance vie et son cabinet. Le contexte de la souscription de la police d’assurance vie est singulier et mérite qu’on s’y attarde. Lors de la vente d’un immeuble intervenue en 1992, l’acheteur s’était engagé à payer une partie du prix de vente en souscrivant une police d’assurance (« la Police ») sur la vie du vendeur au bénéfice de la succession de ce dernier. L’acheteur s’était engagé à payer les primes en souscrivant un contrat de rente auprès de l’assureur, qui devait comprendre le versement des primes pour la première année. Le courtier a déclaré à son client et au vendeur que le contrat de rente permettrait de payer complètement les primes puisque celles-ci seraient acquittées pour les années subséquentes à même le fonds d’accumulation de la Police, sur le fondement d’un rendement annuel estimatif de 7,8 %.
Le 19 août 2008, l’acheteur a avisé le vendeur que les fonds d’accumulation de la Police étaient insuffisants pour permettre le prélèvement des primes. Le 3 juin 2009, l’acheteur a avisé le vendeur que si les primes d’assurance n’étaient pas acquittées pour les trois prochaines années, la Police pourrait tomber en déchéance. Bien que mis en demeure, l’acheteur de l’immeuble et le courtier ont négligé de prendre les moyens nécessaires pour assurer le paiement des primes. Le 19 août 2011, le vendeur a institué des procédures en responsabilité contre son acheteur, le courtier d’assurances et le cabinet de courtage. L’acheteur a appelé en garantie le courtier et son cabinet. À compter du 25 juin 2013, le vendeur a été contraint d’assumer personnellement le paiement des primes afin de maintenir la Police en vigueur.
La décision de première instance
La Cour supérieure a retenu que le produit d’assurance proposé par le courtier ne répondait pas aux besoins de son client. En effet, le courtier avait vendu une Police « prépayée » et non une police entièrement « libérée » du paiement de toute prime. La Police prépayée comportait des risques puisque le paiement des primes à même le rendement annuel estimé du fonds d’accumulation de la Police n’a pas été adéquatement expliqué au client. La responsabilité contractuelle du courtier était engagée envers son client, l’acheteur de l’immeuble, puisqu’il lui avait erronément déclaré que seules les primes de la première année devaient être versées au moment de la souscription de l’assurance et que toutes les primes subséquentes seraient payées grâce au contrat de rente. Le courtier a ainsi manqué à ses devoirs de renseignement et de conseil envers son client.
Quant à la responsabilité extracontractuelle du courtier envers le tiersassuré, le premier juge s’est appuyé sur les principes dégagés dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Banque de Montréal c. Bail Ltée2, pour conclure que le courtier avait manqué à son obligation d’agir de bonne foi et de renseigner adéquatement un tiers. En effet, le courtier savait pertinemment quels étaient les objectifs de protection recherchés par le tiers, vendeur de l’immeuble. Le courtier était pleinement conscient de l’entente d’affaires intervenue entre le tiers et son client, a manqué à son obligation de renseignement et ce faisant, a commis une faute extracontractuelle envers le tiers.
L’acheteur de l’immeuble, le courtier et son cabinet ont été condamnés à payer au demandeur la somme de 1 200 010 $ représentant la valeur de la couverture d’assurance sur sa vie. Le courtier et son cabinet ont été condamnés à indemniser l’acheteur de l’immeuble pour toute somme due dans l’instance principale.
L’arrêt de la Cour d’appel : la responsabilité extracontractuelle du courtier d’assurance
La Cour d’appel a maintenu le jugement de première instance sur la question de la responsabilité extracontractuelle du courtier et de son cabinet envers le tiers. Elle a semblé vouloir signifier clairement aux courtiers en assurance de personnes qu’ils ont un devoir de renseignement et de bonne foi qui dépasse le cadre de la relation contractuelle et qui doit nécessairement influer sur le produit d’assurance vendu pouvant affecter les droits d’un tiers.