Pas d’indemnité lors du retrait préventif d’employées d’entreprises fédérales

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En décembre 2015, la Cour d’appel, dans l’affaire Éthier c. Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada1, a confirmé que l’article 36 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (« LSST »)2 ne s’applique pas aux entreprises fédérales et que, par conséquent, une travailleuse enceinte ou allaitant en retrait préventif en vertu du Code canadien du travail (le « CCT »)3 n’a droit à aucune indemnité de remplacement du revenu.

La Cour d’appel clarifie également la portée de l’évolution de la jurisprudence qui concerne l’application de certaines dispositions de la LSST aux entreprises fédérales depuis l’arrêt de la Cour suprême Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail)4 (l’arrêt « Bell Canada »).

Cette décision présente un intérêt non seulement en ce qui concerne le cas précis de l’indemnisation d’une travailleuse enceinte ou allaitant à l’emploi d’une entreprise fédérale, mais également en raison de son analyse de la jurisprudence récente relative à l’interaction entre les régimes législatifs fédéral et provincial en matière de santé et de sécurité du travail.

La trame factuelle

En août 2011, madame Éthier (« la travailleuse »), une travailleuse enceinte à l’emploi de la Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada (« CN »), une entreprise de compétence fédérale, a présenté une demande à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST »)5 en vertu du programme Pour une maternité sans danger. Au cours de la même période, son médecin a recommandé dans un rapport destiné au CN que les tâches de la travailleuse soient modifiées ou, à défaut, qu’elle bénéficie d’un retrait préventif.

En septembre 2011, un représentant du CN a informé la travailleuse qu’il n’était pas en mesure de la réaffecter à un autre poste tel que son médecin l’avait recommandé. La travailleuse a donc choisi de se prévaloir du retrait préventif prévu par le CCT6.

De manière parallèle, la travailleuse s’est adressée à la CSST pour obtenir l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle la travailleuse enceinte visée par la LSST peut avoir droit, notamment en vertu des articles 36, 40 et 42 de cette loi qui traitent du retrait préventif. L’article 36, qui se situe au coeur du débat soulevé par la travailleuse, prévoit essentiellement que l’indemnité de remplacement du revenu en question est la même que celle versée au travailleur incapable d’exercer son emploi en raison d’une lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles7 (« LATMP »).

Précisons que les articles du CCT applicables au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite, à l’emploi d’une entreprise fédérale, ne prévoient aucun droit à une telle indemnité de remplacement du revenu.

Les procédures

La CSST a déclaré que la travailleuse n’est pas admissible au régime provincial d’indemnisation en cas de retrait préventif puisque la LSST ne s’applique pas aux travailleuses enceintes à l’emploi d’une entreprise de juridiction fédérale. Par conséquent, la travailleuse n’a pas droit aux indemnités de remplacement du revenu prévues à l’article 36 LSST.

La Commission des lésions professionnelles8 et la Cour supérieure9 ont successivement rejeté la demande de la travailleuse, essentiellement pour les mêmes motifs.

Les conclusions de la Cour d’appel

La travailleuse a soumis les arguments suivants à la Cour d’appel :

  1. l’article 131 CCT constitue un renvoi interlégislatif par lequel le parlement du Canada a voulu rendre applicable aux entreprises fédérales l’article 36 LSST;
  2. à défaut d’un tel renvoi, l’article 36 s’applique néanmoins aux entreprises fédérales en raison des modifications législatives apportées au CCT et de l’évolution de la jurisprudence depuis l’arrêt Bell Canada.

À l’instar des instances inférieures, la Cour d’appel a rejeté ces arguments pour les motifs résumés ci-après.

a) L’article 131 du CCT n’est pas un renvoi interlégislatif

L’article 131 CCT prévoit essentiellement qu’un recours formé en vertu d’une disposition de la partie II du CCT n’a pas pour effet de porter atteinte au droit d’un employé de se faire indemniser aux termes d’une loi portant sur l’indemnisation des employés en cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail.

Selon la Cour d’appel, cet article ne constitue pas un renvoi interlégislatif qui permettrait l’application de l’article 36 LSST aux entreprises fédérales, mais plutôt « une réserve de recours dont l’objet est de protéger le droit d’un travailleur d’être indemnisé en vertu d’une loi portant sur l’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles lorsque lui ou son employeur ne s’est pas conformé à ses obligations en matière de santé ou de sécurité du travail.10 » Cette disposition n’a pas la portée que la travailleuse souhaite lui donner.

b) Malgré l’évolution de la jurisprudence depuis l’arrêt Bell Canada, l’article 36 de la LSST est inapplicable aux entreprises fédérales

La travailleuse a également allégué que l’article 36 LSST s’applique aux entreprises fédérales en raison des modifications législatives apportées au CCT depuis l’arrêt Bell Canada et de l’évolution subséquente de la jurisprudence pertinente. Elle soutenait notamment que l’arrêt Bell Canada ne fait plus autorité.

La Cour d’appel a concédé que l’état du droit a beaucoup évolué depuis l’arrêt Bell Canada11. Ceci étant dit, les principes de cet arrêt demeurent pertinents.

Rappelons que, dans l’arrêt Bell Canada, la Cour suprême avait conclu que les articles de la LSST concernant notamment le droit de la travailleuse enceinte de refuser de travailler et le retrait préventif de celle-ci étaient inapplicables aux entreprises fédérales, puisqu’ils portent directement sur les relations de travail, les conditions de travail ainsi que la gestion et les opérations de telles entreprises fédérales12. Or, même à la lumière de l’évolution de la jurisprudence en la matière, une loi provinciale qui « entrave » une entreprise fédérale sur tels sujets considérés « vitaux » ou « essentiels » à celle-ci, ou qui lui cause un préjudice certain, lui est inapplicable13.

En l’espèce, bien que le régime de prévention de la LSST puisse être distingué du régime d’indemnisation en matière d’accidents du travail prévu par la LATMP, qui s’applique aux entreprises fédérales, l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse enceinte bénéficiant d’un retrait préventif en vertu de la LSST ne peut être assimilée à celle versée à un travailleur incapable de travailler en raison d’une lésion professionnelle en vertu de la LATMP.

En effet, la Cour d’appel considère que l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse enceinte doit être qualifiée de « condition de travail » et constitue donc un élément vital et essentiel de toute entreprise. Par conséquent, l’article 36 LSST, qui prévoit le versement d’une telle indemnité, est inapplicable aux entreprises fédérales, puisque le contraire aurait pour effet d’« entraver » celle-ci dans une de ses composantes essentielles14.

Conclusion

Cette décision apporte un développement intéressant à la jurisprudence sur la question de l’application aux entreprises de compétence fédérale de lois provinciales en matière de santé et de sécurité du travail.

Nous décelons notamment un parallèle avec l’affaire Purolator Courrier ltée c. Hamelin15, où la Cour d’appel conclut que l’article 32 LATMP ne s’applique pas aux entreprises de juridiction fédérale. Dans cette affaire, la Cour d’appel précise que la compétence générale du législateur provincial sur l’objet d’une loi en particulier ne signifie pas nécessairement que toutes les dispositions de cette loi recevront une application directe et intégrale au sein d’une entreprise fédérale. Il est important d’analyser chaque disposition de la loi provinciale afin de déterminer quels sont ses effets sur la relation d’un employeur avec ses employés. Dans la mesure où cet examen permet de conclure que l’article en question affecte les relations de travail de l’entreprise fédérale, il lui sera inapplicable.

La travailleuse ayant déposé une demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada, nous suivrons avec intérêt l’évolution de l’affaire Éthier.

 

  1. 2015 QCCA 1996 (l’arrêt « Éthier »).
  2. RLRQ, c. S-2.1.
  3. L.R.C., (1985) ch. L-2.
  4. [1988] R.C.S. 749.
  5. Depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, de la Loi regroupant la Commission de l’équité salariale, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail et instituant le Tribunal administratif du Québec, L.Q. 2015, c. 15, la CSST a été remplacée par la « Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail » et la CLP est désormais remplacée par le « Tribunal administratif du travail ». Pour plus de détails concernant cette réorganisation des organismes, veuillez consulter le bulletin Droit de savoir, juillet 2015, suivant : « Le projet de loi 42 et la réorganisation des institutions québécoises en matière de travail ».
  6. Articles 132, 205 (6) et 205.1.
  7. RLRQ, c. A-3.001.
  8. Éthier et Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada, 2013 QCCLP 4672.
  9. Éthier c. Commission des lésions professionnelles, 2014 QCCS 1092.
  10. Notons que la Cour d’appel fait une distinction claire entre le libellé de l’article 131 CCT et celui de l’article 4 de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. 1985, ch. G-5, qui a fait l’objet d’une décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Martin c. Alberta (Worker’s Compensation Board), 2014 CSC 25, et était invoqué par la travailleuse au soutien de ses prétentions.
  11. Notamment, les articles 204 à 205.2 CCT, concernant le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite, n’existaient pas lorsque cet arrêt a été rendu. Par ailleurs, de récents arrêts de la Cour suprême ont modifié le cadre d’analyse applicable aux situations où l’on cherche à appliquer une loi provinciale à une entreprise fédérale. La Cour réfère entre autres à l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3.
  12. Arrêt Éthier, paragraphe 26.
  13. Id., paragraphe 29. Voir également l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, précitée.
  14. Arrêt Éthier, paragraphes 36 et 37.
  15. D.T.E. 2002T-197 (C.A.). Sur le même sujet : Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, D.T.E. 2002T-189 (C.A.).
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