Dans un arrêt unanime daté du 17 novembre 20141, la Cour d’appel a déterminé que l’enquête d’un employeur en matière de harcèlement psychologique n’est pas assujettie aux règles d’équité procédurale applicables en droit administratif et public. La Cour a donc infirmé le jugement de la Cour du Québec qui avait condamné l’avocate qui avait mené l’enquête à verser 3 000 $ à titre de dommages-intérêts2.
En première instance, la Cour du Québec avait conclu que l’enquêteuse externe mandatée par l’employeur avait commis une faute en manquant aux obligations découlant de la politique de l’employeur et de ses contrats de service, qui lui imposaient notamment le devoir d’assurer « l’équité du processus » d’enquête. Dans son jugement, la Cour du Québec avait relevé les manquements suivants : refus de transmettre à l’employé les plaintes formulées contre lui, refus de lui remettre une copie de la politique, refus de lui transmettre la version des faits des témoins et des plaignants, défaut de s'assurer que l'enquête soit menée par les mêmes personnes du début à la fin, demande indue d'un engagement de confidentialité écrit, avis de convocation tardifs et insuffisance du rapport relatif aux plaintes formulées contre l'appelant.
Après avoir rejeté l’appel principal de l’employé, la Cour d’appel a fait droit à l’appel incident de l’enquêteuse externe. De l’avis de la Cour, la seule question que devait se poser le juge de première instance était celle de savoir si, dans l’exécution de la mission d’enquête confiée par l’employeur, l’enquêteuse externe avait manqué à ses obligations et commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile extracontractuelle à l’égard de l’employé visé par cette enquête.
Cette question ne peut trouver réponse en référant simplement aux règles de l’équité procédurale applicables en matière de droit administratif et public. Selon la Cour, de telles règles d’équité procédurale ne s’appliquent pas à un employeur (même public) qui fait enquête en vue de décider s'il y a harcèlement psychologique et, le cas échéant, y remédie en imposant une sanction disciplinaire à l’auteur de ce harcèlement3. La Cour ajoute qu’une telle enquête, même menée par un tiers mandaté, est intrinsèquement reliée à l'exercice du pouvoir patronal de gestion et de discipline et n’a pas à être soumise à des exigences procédurales comparables à celles qui s’imposent notamment devant les tribunaux administratifs ou judiciaires ni au processus contradictoire applicable devant ceux ci.
Il est donc loisible à un employeur de se doter d’une politique qui renvoie aux règles de justice naturelle ou d’équité procédurale, mais les règles applicables demeurent celles de la responsabilité civile. Ainsi, même en l’absence d’une politique de l’employeur, dans le cas d’une enquête bâclée qui mènerait à une sanction imposée à un employé de manière imméritée et préjudiciable, la responsabilité de l’employeur ou de l’enquêteur pourrait être engagée dans la mesure où il y a faute.
Dans l’affaire Ditomene, la Cour d’appel a jugé que le langage utilisé dans la politique de l’employeur (soit notamment l’obligation de voir à l’« équité du processus ») n’imposait pas pour autant le respect intégral du concept d’équité procédurale tel que développé en droit public, non plus que le respect des règles qui seraient de mise devant un organisme exerçant des fonctions juridictionnelles ou encore de transformer l’enquête en processus contradictoire. La Cour d’appel conclut donc qu’il se pourrait que la conduite ou la manière de procéder d’un enquêteur constitue une faute de nature à engager sa responsabilité civile, mais tel n’était pas le cas dans les circonstances de l’affaire Ditomene.
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1 2014 QCCA 2108 (« l’affaire Ditomene »).
2 2013 QCCQ 842.
3 À ce sujet, la Cour d’appel cite notamment l’arrêt Université de Sherbrooke c. Patenaude, 2010 QCCA 2358 (nous vous référons plus particulièrement au paragraphe 39 de cet arrêt).