La décision de la Cour supérieure du Québec Éthier c. Commission des lésions professionnelles1 traite du droit de retrait préventif de la travailleuse enceinte dans le contexte d’une travailleuse à l’emploi d’une entreprise de juridiction fédérale. Dans cette affaire, des questions de compétence constitutionnelle ont été soulevées et la Cour a confirmé que l’article 36 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (« LSST »)2 ne s’applique pas aux entreprises de juridiction fédérale et qu'une travailleuse qui se prévaut de son droit de retrait préventif en vertu du Code canadien du travail (le « C.C.T. »)3 n’a pas droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu en vertu du régime provincial, indépendamment du fait que le régime fédéral ne prévoit aucune indemnisation.
LES FAITS
Mme Éthier travaille pour la Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada (le « CN »), une entreprise de juridiction fédérale. En août 2011, alors qu’elle est enceinte, elle présente une demande à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») en vertu du programme « Pour une maternité sans danger ». Par la suite, un médecin recommande qu’en raison de son état, elle soit affectée à des tâches ne comportant pas de danger physique ou, à défaut, qu’elle puisse bénéficier d’un retrait préventif à compter de la 20e semaine de grossesse. Son employeur l’informe qu’il ne peut modifier son poste et qu’il ne peut la réaffecter à d’autres tâches. Par conséquent, Mme Éthier se prévaut du retrait préventif de la femme enceinte prévu aux articles 132, 205 (a) et 205.1 C.C.T. Par la suite, la CSST informe Mme Éthier qu’elle n’est pas admissible au régime de retrait préventif prévu à la LSST, puisque celui-ci ne s’applique pas aux entreprises de juridiction fédérale. Par conséquent, la CSST l’informe qu’elle n’a pas droit aux indemnités de remplacement du revenu versées en vertu de l’article 36 de la LSST. Mme Éthier demande une révision de cette décision et, par la suite, elle conteste la décision de la Direction de la révision administrative de la CSST devant la Commission des lésions professionnelles (« CLP »). Les deux instances ayant rejeté ses requêtes, elle demande à la Cour supérieure de réviser la décision rendue par la CLP4.
LA DÉCISION DE LA COUR SUPÉRIEURE
La Cour supérieure devait déterminer si le régime d’indemnisation de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles5 (« LATMP ») est, par l’effet de l’article 131 C.C.T., constitutionnellement applicable à la travailleuse enceinte à l’emploi d’une entreprise de juridiction fédérale qui se prévaut du droit de retrait préventif. L’article 131 du C.C.T. se lit comme suit :
« 131. [Maintien des autres recours] Le fait qu’un employeur ou un employé se soit conformé ou non à quelque disposition de la présente partie n’a pas pour effet de porter atteinte au droit de l’employé de se faire indemniser aux termes d’une loi portant sur l’indemnisation des employés en cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail, ni de modifier la responsabilité ou les obligations qui incombent à l’employeur ou à l’employé aux termes d’une telle loi. »
Devant la Cour supérieure, Mme Éthier a prétendu qu’une travailleuse enceinte oeuvrant pour une entreprise de juridiction fédérale doit bénéficier du même avantage qu’une travailleuse enceinte oeuvrant pour une entreprise de juridiction provinciale et donc, recevoir une indemnité de remplacement du revenu suite à l’exercice du droit de retrait préventif. Elle prétend que l’article 131 C.C.T. est un renvoi interlégislatif aux dispositions de la LATMP ayant pour effet de donner à l’employée de l’entreprise fédérale le droit à une indemnité de remplacement du revenu. La Cour supérieure confirme la décision de la CLP et rejette la requête de Mme Éthier. Renvoyant à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Bell Canada c. Québec (CSST)6, la Cour supérieure refuse de s’écarter d’une jurisprudence bien établie selon laquelle la LSST ne s’applique pas aux entreprises de juridiction fédérale. Elle juge que l’article 131 C.C.T. ne fait aucun renvoi à la LATMP ni à la LSST; or, un renvoi interlégislatif doit être explicite. De plus, le libellé de l’article 132 C.C.T., qui prévoit le droit de la travailleuse enceinte de cesser d’exercer ses fonctions si elle croit que la poursuite de tout ou partie de celles-ci peut, en raison de sa grossesse, constituer un risque pour sa santé ou celle du foetus, confère à la travailleuse un droit unilatéral de cesser d’exercer ses fonctions. À sa face même, cette disposition est incompatible avec toute forme d’indemnité de remplacement du revenu en vertu du régime provincial. Même en interprétant l’article 131 C.C.T. d’une manière souple, il ne peut être question de renvoi interlégislatif clair aux dispositions de la LATMP permettant l’indemnisation des travailleuses enceintes employées d’une entreprise fédérale.
NOS COMMENTAIRES
Les développements de cette affaire restent à suivre, car le 16 avril 2014, la Cour d’appel du Québec a accordé à Mme Éthier la permission d’en appeler de la décision de la Cour supérieure. La Cour d’appel est saisie des questions suivantes, qui seraient nouvelles et jamais débattues devant elle ou la Cour suprême du Canada :
a) Les modifications législatives apportées au C.C.T. depuis 1993 et les arrêts de la Cour suprême du Canada dans Banque Canadienne de l’ouest c. Alberta7, Tessier Ltée c. Québec (CSST)8, Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association9, Marine Services International c. Ryan10 et Martin c. Alberta (Worker’s Compensation Board)11justifient-ils la remise en question du principe selon lequel les articles 36, 40, 41 et 42 de la LSST ne sont pas applicables à une entreprise fédérale?
b) L’article 131 du C.C.T. constitue-t-il une clause de renvoi interlégislatif permettant l’indemnisation d’une travailleuse enceinte ou qui allaite en vertu de l’article 36 de la LSST et de la LATMP même si elle est employée par une entreprise fédérale?
Ces questions présenteraient « un intérêt général pour tous les travailleurs et travailleuses et les entreprises relevant de la compétence fédérale12».
Pour leur part, le CN, la CSST et le procureur général du Québec estiment que la jurisprudence de la Cour suprême dans l’arrêt Bell Canada13 fait toujours autorité et que les articles 33, 36, 37 et 40 à 45 de la LSST sont inapplicables à une entreprise fédérale.
Lavery vous tiendra informé du sort de cet appel.
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1 2014 QCCS 1092 (requête pour permission d’appeler accueillie (C.A., 2014-04-16), 2014 QCCA 793). Notons qu’en date du 16 juillet 2014, aucune décision n’a été rendue par la Cour d’appel dans ce dossier.
2 RLRQ c. S-2.1. (« LSST »).
3 LRC 1985, c. L-2 (« C.C.T. »).
4 Éthier et Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada, 2013 QCCLP 4672.
5 RLRQ c. A-3.001 (« LATMP »). Ce régime s’applique au retrait préventif en vertu des articles 36 et 42 de la LSST.
6 [1988] 1 R.C.S. 749 (« Bell Canada »).
7 2007 CSC 22.
8 2012 CSC 23.
9 2010 CSC 39.
10 2003 CSC 44.
11 2014 CSC 25.
12 Éthier c. Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada, 2014 QCCA 793, par. 2. 1 3 Préc., note 6.
Écrit par
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Associée, Avocate