Les salariés et le coût de la justice : La Cour d’appel du Québec déclare que le recours en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail est recevable malgré l’existence d’une procédure d’arbitrage interne

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LES FAITS
La plaignante, une salariée non syndiquée, avait été embauchée par l’Université McGill (ci-après l’« Université ») en 1987 et y agissait à titre de membre du personnel administratif. Après avoir occupé le poste d’adjointe administrative depuis 1994, elle fut congédiée par l’Université le 30 juin 2009 pour fraude. Le personnel administratif de l’Université est assujetti à une Politique de résolution des litiges (ci-après la « Politique »), laquelle encadre leurs conditions de travail. Cette Politique, adoptée unilatéralement par l’Université, prévoit notamment qu’elle fait partie du contrat de travail de tous les salariés visés. Elle prévoit aussi un mécanisme de résolution des litiges, dont le renvoi de la plainte à l’arbitrage constitue la dernière étape. Quant à cet arbitrage, il y est stipulé que les frais qu’il engendre doivent être assumés à parts égales entre l’employé et l’Université.

À la suite de son congédiement, la plaignante a entrepris ce processus de résolution des litiges. Elle en franchit toutes les étapes jusqu’à demander le renvoi de sa plainte à l’arbitrage. La trace de ce qui est advenu de cette demande d’arbitrage a par la suite été perdue, mais, étant donné ce qui suit, tout porte à croire que celle-ci est devenue sans objet.

Parallèlement à ces démarches, la plaignante a aussi déposé une plainte à la Commission des normes du travail en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (ci-après la « LNT ») pour contester le même congédiement.

Lors de l’audience devant la Commission des relations du travail (ci-après la « CRT »), l’Université s’est opposée à la compétence de ce tribunal administratif en invoquant que la plaignante disposait, en vertu de sa Politique, d’une autre procédure de réparation au sens de l’article 124 LNT. La CRT a rejeté cette objection préliminaire et a conclu, d’une part, que la Politique faisait effectivement partie du contrat de travail de la plaignante et que, d’autre part, le recours prévu à la Politique n’était pas équivalent à celui de l’article 124 LNT puisque la plaignante devait en assumer la moitié des frais, contrairement au recours « gratuit » prévu à l’article 124 LNT. La plaignante pouvait donc se prévaloir du recours prévu par la loi.

En révision judiciaire, la Cour supérieure du Québec s’est déclarée en accord avec les conclusions de la CRT et a rejeté le recours de l’Université. Insatisfaite de cette décision, l’Université a porté celle-ci en appel.

LA DÉCISION DE LA COUR D’APPEL
La Cour d’appel indique tout d’abord que la seule connaissance de la Politique par la plaignante n’a pas pour effet de l’incorporer automatiquement à son contrat de travail. Cependant, la Cour d’appel est d’avis que la CRT a rendu une décision raisonnable en concluant que la plaignante, en se prévalant du mécanisme d’arbitrage de la Politique, avait implicitement admis que cette dernière faisait partie de son contrat de travail.

Quant à l’équivalence des recours, la Cour d’appel affirme que la CRT a correctement déterminé que, en fonction de l’intention du législateur, le mécanisme prévu à la Politique n’était pas une procédure de réparation équivalente à celle de l’article 124 LNT en raison des frais qu’il engendre pour la plaignante. En effet, les débats parlementaires portant sur les modifications de 1990 aux articles 124 et 126.1 LNT – dont le recours à l’époque s’effectuait auprès d’un arbitre – faisaient état de la nécessité de prévoir un recours sans frais, car ceux-ci pouvaient représenter un handicap sérieux pour la personne qui voulait faire valoir ses droits, particulièrement celle qui travaillait au salaire minimum. C’est une des raisons pour lesquelles ces modifications législatives (et les autres qui ont suivi) ont transféré la compétence du recours prévu à l’article 124 LNT au commissaire du travail (maintenant la CRT), entraînant notamment les conséquences suivantes :

  • Le salarié n’a pas à supporter les frais du décideur
  • Le salarié a la possibilité d’être représenté sans frais par la Commission des normes du travail

Selon la Cour d’appel, la CRT s’est assurée, par sa décision, de l’efficacité du recours de l’article 124 LNT et a ainsi tenu compte de la vulnérabilité du salarié qui, lorsque congédié, ne peut profiter de l’aide d’un syndicat (ou autre association) pour le représenter et assumer les frais d’arbitrage; un recours qui n’est pas accessible n’est pas un recours efficace. Cette approche s’inscrit par ailleurs dans un contexte où l’accès à la justice constitue une préoccupation actuelle importante.

Une politique d’arbitrage est donc valide, mais la question de la compétence concurrente de la CRT en vertu de l’article 124 LNT pourrait se poser à nouveau si une telle procédure d’arbitrage n’imposait aucuns frais au salarié.

Ce jugement de la Cour d’appel peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2014/2014qcca458/2014qcca458.html
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1 Université McGill c. Ong, 2014 QCCA 458.

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