Au cours des dernières années, les fiducies réputées en matière de régimes de retraite ont fait l’objet de débats devant les tribunaux. La Cour suprême du Canada a elle-même analysé certaines questions s’y rapportant dans l’affaire Indalex.1 Le 20 novembre 2013, l’honorable juge Mark Schrager de la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement important dans l’affaire Aveos sur la question de savoir si la fiducie réputée en vertu de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension (Canada) (la « LNPP ») avait préséance sur une sûreté opposable dans le contexte de procédures en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »)2.
LES FAITS
En 2007, la société débitrice, Aveos Fleet Performance Inc. (« Aveos »), a mis sur pied un régime de retraite à prestations déterminées en faveur de ses employés non syndiqués (le « Régime »). Le Régime était enregistré auprès du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) et régi par la LNPP. Le 18 mars 2012, Aveos a cessé l’exploitation de sa division d’entretien de cellule d’avion et demandé à l’ensemble de ses employés de ne pas se rendre au travail le lendemain. Le 19 mars 2012, Aveos a déposé une requête en vertu de la LACC et une ordonnance initiale a été rendue accordant un sursis de toutes les procédures contre Aveos. L’ordonnance initiale a en outre suspendu le paiement des cotisations spéciales au Régime (afin d’amortir les déficits du Régime), tout en permettant à Aveos de verser les cotisations pour service courant. Le lendemain, Aveos a cessé d’exploiter ses deux autres divisions et a mis fin à l’emploi de la quasi-totalité de ses employés.
En avril 2012, un processus de vente d’actifs a été approuvé par le tribunal. La quasi-totalité des actifs d’Aveos a par la suite été vendue conformément à ce processus.
En mai 2012, le BSIF a été informé que l’accumulation des prestations aux termes du Régime cesserait à compter du 19 mai 2012. Une semaine plus tard, le BSIF a mis fin au Régime avec effet au 19 mai 2012.
Le Surintendant des institutions financières (le “Surintendant”) a déposé une requête en jugement déclaratoire devant la Cour supérieure du Québec aux termes de laquelle il soutenait principalement que la fiducie réputée créée en vertu de l’article 8 de la LNPP (la « Fiducie réputée de la LNPP ») obligeait Aveos à verser au Régime, de façon prioritaire aux créanciers garantis d’Aveos, un montant de 2 804 450 $ représentant les cotisations spéciales dues au Régime pour la période de février à décembre 2012 (les dernières cotisations spéciales versées par Aveos ayant été faites pour le mois de janvier 2012)3. Selon le Surintendant, une fois le Régime terminé, le solde des cotisations spéciales requises pour 2012 devenait exigible en vertu de l’article 29(6) de la LNPP. De plus, ce solde était protégé par la Fiducie réputée de la LNPP et bénéficiait d’un rang prioritaire à celui des créanciers garantis d’Aveos. Le Surintendant prétendait en outre que compte tenu du fait que la quasi-totalité des actifs d’Aveos avaient été vendus dans le cadre du processus de vente d’actifs, une « liquidation » au sens de l’article 8(2) de la LNPP s’était produite. Ce paragraphe se lit comme suit :
8(2) En cas de liquidation, de cession des biens ou de faillite de l’employeur, un montant correspondant à celui censé détenu en fiducie, au titre du paragraphe (1), est réputé ne pas faire partie de la masse des biens assujettis à la procédure en cause, que l’employeur ait ou non gardé ce montant séparément de ceux qui lui appartiennent ou des actifs de la masse.
Le Surintendant a fait valoir que la LACC est silencieuse sur la question de la Fiducie réputée de la LNPP et qu’en conséquence, l’article 8(2) de la LNPP continuait de s’appliquer dans le cadre de procédures en vertu de la LACC. Le Surintendant a également soutenu que la priorité de rang de la Fiducie réputée de la LNPP existe sans égard à la date à laquelle elle a été créée ou la date à laquelle les sûretés des créanciers garantis sont devenues opposables.
Indépendamment des considérations de rang, le Surintendant a également demandé à ce que le paragraphe 19 de l’ordonnance initiale, qui suspendait le versement des cotisations spéciales, soit rétroactivement modifié et qu’il soit ordonné à Aveos de verser ces cotisations. Plus précisément, le Surintendant a prétendu que dans la mesure où le motif sous-jacent pour accorder une telle suspension est de donner un répit au débiteur afin qu’il puisse mener à bien son processus de restructuration, ce motif sous-jacent n’existait plus à compter du moment où Aveos avait décidé de mettre fin à ses activités commerciales.
Les créanciers garantis d’Aveos ont contesté la requête du Surintendant. Aveos leur devait des montants considérables et des charges fixes sur l’universalité des biens meubles présents et futurs leurs avaient été consenties dans six provinces et un territoire, chacune d’entre elles étant devenue opposable conformément aux lois applicables. Les dates d’enregistrement ont confirmé qu’à l’exception de la sûreté enregistrée dans les Territoires du Nord-Ouest en août 2011, toutes les charges étaient devenues opposables en mars 2010.
Les créanciers garantis ont adopté la position que leurs sûretés avaient préséance sur la Fiducie réputée de la LNPP dans la mesure où les biens d’Aveos étaient déjà affectés de leurs sûretés au moment de la création de la Fiducie réputée de la LNPP. Par conséquent, soit les actifs n’étaient pas affectés par la Fiducie réputée de la LNPP ou soit leurs sûretés avaient préséance sur cette dernière. Les créanciers garantis se sont fondés, par analogie, sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Royal Bank of Canada c. Sparrow Electric Corp.4, dans laquelle il a été décidé que les biens affectés d’une charge fixe ne peuvent subséquemment être assujettis à la fiducie réputée en vertu des articles 227(4) et 227(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les créanciers garantis d’Aveos ont en outre soutenu que la Cour suprême, dans l’affaire Sparrow, a clairement indiqué que dans le contexte de procédures en insolvabilité, il ne sera donné effet à une fiducie réputée que dans la mesure où la législation applicable en matière d’insolvabilité le prévoit expressément.
En ce qui concerne l’argument du Surintendant à l’effet que la suspension du paiement des cotisations spéciales devrait être levée et qu’il devrait être ordonné à Aveos de payer rétroactivement les cotisations spéciales réclamées, les créanciers garantis ont indiqué que le tribunal ne pouvait accorder une telle demande au stade où en étaient les procédures.
Les créanciers garantis ont fait valoir que le Surintendant avait amplement eu l’occasion de demander une modification de l’ordonnance initiale et qu’il ne l’avait pas fait. Par conséquent, il serait injuste, à ce stade, de modifier rétroactivement l’ordonnance initiale de cette façon. Plus précisément, la suspension des procédures contenue dans l’ordonnance initiale avait été prorogée six (6) fois, douze (12) ventes d’actifs avaient eu lieu et quatre (4) distributions de fonds provenant de ces ventes étaient déjà intervenues. Malgré toutes ces procédures, le Surintendant n’avait pas réagi afin de demander une modification de l’ordonnance initiale. Selon les créanciers garantis, si une telle requête en modification de l’ordonnance initiale avait été déposée en temps utile, leur stratégie aurait pu être différente et ils auraient pu simplement provoquer une faillite.
LA DÉCISION
LA QUESTION DU RANG PRIORITAIRE
Le juge Mark Schrager examine d’abord la question de la priorité conférée à la Fiducie réputée de la LNPP dans le cadre de procédures en insolvabilité. Il s’attarde plus particulièrement sur la décision de la Cour suprême dans l’affaire Sparrow, où il a été décidé que les biens validement grevés d’une sûreté n’étaient pas assujettis à la fiducie réputée en vertu des articles 227(4) et 227(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu.
À la suite du jugement dans l’affaire Sparrow, ces dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu ont été modifiées afin d’accorder un rang prioritaire à la fiducie réputée à l’égard de biens qui sont grevés d’une sûreté, et ce, sans égard au fait que cette sûreté soit devenue opposable antérieurement à la création de la fiducie réputée. Le juge Schrager souligne que, bien que des modifications semblables aient été apportées à d’autres lois, aucune ne l’a été à l’article 8(2) de la LNPP dans la foulée du jugement dans l’affaire Sparrow.
Le juge Schrager note également que les charges fixes des créanciers garantis ont été créées et sont devenues opposables en 2010 et 2011, soit antérieurement à la naissance de la Fiducie réputée de la LNPP. Par conséquent, le tribunal conclut qu’étant donné que les actifs d’Aveos étaient déjà grevés par les sûretés des créanciers garantis, la Fiducie réputée de la LNPP était, au mieux, subordonnée à ces sûretés.
Le juge Schrager retient également la position des créanciers garantis selon laquelle la Fiducie réputée de la LNPP n’a plus d’effet dans le cadre de procédures en vertu de la LACC lorsque des créanciers garantis détiennent des sûretés ou des charges qui sont devenus opposables antérieurement à la naissance de la Fiducie réputée de la LNPP et qui sont relatives à des créances qui ne sont pas intégralement payées. Le tribunal cite la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Century Services Inc. c. Canada (Procureur général)5, dans laquelle Madame la juge Deschamps a déclaré que lorsque l’intention est de protéger le rang de fiducies réputées dans un contexte d’insolvabilité, le Parlement exprime clairement une telle intention. En l’absence d’un tel fondement explicite dans la loi, aucune telle protection n’existe dans un contexte d’insolvabilité.
Le juge Schrager ajoute que bien que l’affaire Century Services traite de déductions à la source en faveur de la Couronne, le raisonnement de la Cour suprême dans cette décision ne se limitait pas à ces fiducies réputées et les propos de la juge Deschamps sont clairs à l’effet qu’il existe une « règle générale selon laquelle les fiducies réputées n’ont plus d’effet dans un contexte d’insolvabilité »6.
En réponse à la question du Surintendant visant à savoir quelle serait donc l’utilité de la Fiducie réputée de la LNPP, le juge Schrager indique que cette fiducie [TRADUCTION] « est utile pour la protection de cotisations spéciales, mais seulement vis-à-vis les créanciers qui ne disposent pas de sûretés grevant les actifs de la société débitrice et qui sont devenues opposables antérieurement à la fiducie réputée affectant ces mêmes actifs »7.
Finalement, citant l’affaire Indalex, le juge Schrager note qu’en Ontario, l’article 30(7) de la Loi sur les sûretés mobilières subordonne les sûretés à la fiducie réputée créée en vertu de la Loi sur les régimes de retraite. Il n’existe aucune disposition semblable ou équivalente dans la LNPP ou la législation québécoise qui accorderait priorité à la Fiducie réputée de la LNPP.
LA QUESTION DE LA SUSPENSION DU PAIEMENT DES COTISATIONS SPÉCIALES
Le juge Schrager indique que les juges devraient être très hésitants à modifier rétroactivement l’ordonnance initiale après qu’une longue période se soit écoulée et après que diverses ventes, ordonnances et distributions aient déjà eu lieu. Le tribunal conclut que dans les circonstances, le retard du Surintendant à réclamer une modification rétroactive de l’ordonnance initiale est déraisonnable et constitue une fin de non recevoir à sa demande de modification. Les autres parties, y compris les créanciers garantis, se sont fiées de bonne foi à l’ordonnance initiale.
La décision du juge Schrager n’a pas été portée en appel.
CONCLUSION
Cette décision démontre que pour répondre à la question de savoir si une fiducie réputée créée en vertu d’une loi régissant les régimes de retraite a préséance, dans un contexte de LACC, sur une sûreté devenue opposable antérieurement à la création de cette même fiducie, il faut analyser le libellé des dispositions législatives créant ladite fiducie réputée ou s’y rapportant. En définitive, le juge Schrager a conclu que ni l’article 8(2) ni aucune autre disposition de la LNPP ou du droit québécois ne contenait le langage requis afin d’accorder un rang prioritaire à la Fiducie réputée de la LNPP.
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1 Sun Indalex Finance, LLC c. United Steelworkers, 2013 R.C.S. 6 [Indalex].
2 Aveos Fleet Performance Inc./Aveos Performance aéronautique inc. (Arrangement relatif à), 2013 QCCS 5762.
3 En ce qui concerne le déficit de terminaison du Régime de 29 748 200 $, le Surintendant a adopté la position que celui-ci constituait une créance non garantie qui n’était pas protégée par la Fiducie réputée de la LNPP.
4 [1997] 1 R.C.S. 411.
5 [2010] 3 R.C.S. 379 (Century Services).
6 Ibid au paragraphe 45.
7 Aveos, supra note 2 au paragraphe 83.
Écrit par
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Associée, Avocate