Le 21 novembre dernier, la Cour suprême du Canada rendait jugement dans l’affaire La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63, une décision qui revêt maintenant une importance cruciale en matière de distribution de produits d’assurance au Québec. Ce jugement précise en effet dans quelle mesure les assureurs faisant affaires au Québec peuvent engager leur propre responsabilité pénale en raison des manquements réglementaires des cabinets de services financiers qu’ils autorisent à y placer leurs produits.
Dans cette affaire, le plus haut tribunal du pays a reconnu un assureur coupable de l’infraction prévue à l’article 482 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (« LDPSF ») pour avoir consenti à ce qu’un cabinet de courtage en assurance de dommages du Manitoba qui n’était pas inscrit auprès de l’Autorité des marchés financiers (l’«AMF ») puisse faire adhérer des commerçants québécois à une police-cadre d’assurance émise par cet assureur pour couvrir les inventaires de biens financés par une tierce institution.
L’article 482 LDPSF prévoit qu’un assureur commet une infraction s’il aide, par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre, ou s’il amène un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome par l’entremise de qui il offre des produits d’assurance, à enfreindre une disposition de cette loi ou de ses règlements.
Bien que cette affaire ait impliqué une situation de non-conformité aux règles d’inscription d’un cabinet au Québec en vertu de la LDPSF, il importe de souligner que l’infraction qui aurait pu donner prise au dépôt d’une plainte pénale contre l’assureur en vertu de l’article 482 pourrait s’étendre à la violation de toute règle d’encadrement prescrite en vertu de cette loi commise par un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome.
La Cour confirme que l’article 482 LDPSF crée une infraction de responsabilité stricte pour l’assureur, soit une infraction pour laquelle le poursuivant n’est pas tenu de prouver l’intention coupable de l’assureur. L’élément matériel de l’infraction n’exige pas non plus une preuve que l’assureur ait posé des gestes positifs en vue d’encourager la violation de la loi par le cabinet. Le simple défaut pour l’assureur de s’opposer en temps utile à une distribution illégale de ses produits d’assurance est assimilable à un consentement ou une autorisation de cette distribution.
La Cour rappelle cependant que l’assureur dispose d’une défense de diligence raisonnable et qu’il pourra être acquitté s’il démontre avoir commis une erreur de fait (l’amenant à croire pour des motifs raisonnables à un état de fait inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent) ou encore, s’il prouve avoir pris toutes les précautions raisonnables pour éviter que la violation ne soit commise. L’assureur ne pourra cependant invoquer une erreur de droit pour se disculper, car « nul n’est censé ignorer la loi ». Dans l’affaire précitée, l’assureur n’a donc pu opposer valablement en défense qu’il ne croyait pas que les opérations de distribution complexes auxquelles il était partie et qui s’étendaient à plusieurs autres provinces du pays exigeaient que le courtier non québécois, mais qui offrait le produit à des assurés québécois, devait être inscrit au Québec auprès de l’AMF. Cette mauvaise interprétation de la LDPSF ne lui fut d’aucun secours.
À ce sujet, le tribunal a rappelé qu’à titre de participant à une industrie réglementée, un assureur accepte de se soumettre à des normes strictes qu’il est tenu de connaître et auxquelles il doit se conformer.
L’arrêt de la Cour suprême ramène donc à l’avant-plan l’obligation faite à tout assureur faisant affaires au Québec de s’assurer d’un contrôle et d’un suivi stricts de la conformité réglementaire des activités de distribution de ses produits qui sont menées à son acquit au Québec par des personnes réglementées en vertu de la LDPSF. À cet égard, l’assureur doit être proactif et faire preuve de diligence. Il ne peut se borner à obtenir l’avis de tiers néophytes, dont ses cabinets distributeurs, ni se fier au silence de l’AMF pour mitiger efficacement le risque réputationnel associé à la prise de procédures pénales contre lui.
Cette nouvelle lecture du droit pénal réglementaire québécois milite en faveur de l’adoption, par les assureurs, de politiques et procédures qui leur permettront de mieux jauger la conformité du processus de distribution de leurs produits au Québec par l’entremise de cabinets de courtage assujettis à l’inscription et surtout, de respecter la norme de disculpation requise d’eux si jamais ils sont directement poursuivis en raison de manquements réglementaires des courtiers qui placent leurs produits.