Contamination fongique : un problème complexe
La détection d’un problème de contamination fongique dans un immeuble peut s’avérer une opération complexe. À titre d’exemple, des infiltrations d’eau récurrentes provenant d’un manque d’étanchéité de l’enveloppe extérieure d’un bâtiment peuvent créer un environnement propice à la croissance de moisissures dans des espaces qui ne sont pas visibles à l’occupant, soit derrière les murs, dans les conduits de ventilation, dans les plénums du système de ventilation.
Plusieurs entreprises offrent une vaste gamme de services visant à détecter la présence de contamination fongique, allant des tests sur la qualité de l’air ambiant jusqu’aux chiens dépisteurs. Il demeure toutefois que si la source de la contamination fongique n’est pas adéquatement identifiée et si tous les correctifs nécessaires ne sont pas apportés, le problème risque de survenir de nouveau. La multiplication des opérations de décontamination peut alors s’avérer fort coûteuse et entraîner une sérieuse diminution de la jouissance paisible des lieux loués.
Dans certains cas, la santé des employés peut être affectée et une telle situation peut engendrer des difficultés opérationnelles significatives pour le locataire occupant.
En novembre 2002, l’Institut national de santé publique du Québec (« l’Institut ») a publié un rapport scientifique1 sur les risques de santé associés à la présence de moisissures intérieures. Ce rapport, toujours d’actualité, visait à servir de soutien à l’intervention en santé publique à l’égard des problèmes survenant en cette matière dans le milieu résidentiel de même que dans les édifices publics. La contamination fongique dont il est question dans ce rapport « (…) fait référence à la croissance non contrôlée de moisissures survenant sur des structures, des meubles ou autres matériaux usuellement exempt d’humidité, ainsi que dans le système de ventilation. »2, dans des milieux intérieurs, autres qu’industriels ou agricoles.3
Quant à l’origine de la contamination fongique en milieu intérieur, l’Institut indique que : « Le principal élément conditionnant la croissance fongique demeure donc la présence d’eau disponible, que celle-ci provienne de problèmes d’infiltration chronique, d’humidité excessive, de condensation de surface ou encore d’un bris de tuyau ou d’une inondation. »4. L’Institut précise qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de données fiables permettant d’établir le seuil en-dessous duquel il n’y a pas d’effet sur la santé ou encore de liste de référence permettant d’évaluer le risque à la santé selon une espèce de moisissure donnée5.
L’Institut conclut comme suit6 :
« Les études revues se complètent, confirment le consensus scientifique décrit au paragraphe précédent et permettent d’affirmer que l’exposition aux moisissures en milieu intérieur constitue un risque à la santé variant selon les espèces rencontrées, la dose d’exposition et la susceptibilité individuelle des sujets, et que les symptômes rencontrés touchent plusieurs systèmes et plus particulièrement le système respiratoire. Les principaux problèmes reconnus comme étant associés aux moisissures sont des problèmes irritatifs, d’exacerbation d’asthme, des réactions allergiques et d’hypersensibilité. Des réactions toxiques à la suite d’une exposition importante ou à des expositions répétées ainsi que des infections chez des sujets sévèrement immunodéprimés sont également documentées. »
La qualité de l’air déficiente d’un bâtiment peut engendrer l’intervention d’un inspecteur de la Commission de la santé et sécurité au travail (« CSST ») et l’émission d’avis de correction à l’employeur.7
L’employeur devra alors faire en sorte que les correctifs identifiés à l’avis de correction soient apportés.
Finalement, lorsqu’un médecin soupçonne une menace à la santé de la population, telle que peut le constituer la présence de contamination fongique dans un immeuble, il doit en aviser le directeur de la santé publique de son territoire8. Le directeur de la santé publique pourra alors procéder à une enquête épidémiologique s’il a des motifs sérieux de croire que la santé des occupants est menacée ou pourrait l’être9.
La jouissance paisible et l'abandon des lieux loués
À moins de dispositions contraires prévues au bail, certaines obligations, dont celle de procurer la jouissance paisible des lieux loués au locataire pendant la durée du bail, incombent au locateur10.
Le défaut du locateur de respecter son obligation de procurer la jouissance paisible peut, dans certains cas, justifier le locataire d’abandonner les lieux loués et de considérer le bail résilié de plein droit11. Le droit du locataire d’abandonner les lieux loués s’appuie notamment sur les articles 1590, 1591, 1605 et 1863 C.c.Q. qui consacrent le droit à la résiliation de plein droit, sans intervention judiciaire, lorsqu’une partie à un contrat à exécution successive néglige ou refuse d’exécuter son obligation de manière répétée.
Bien que la résiliation de plein droit en matière de baux commerciaux ne soit pas un remède possible dans tous les cas12, les tribunaux la reconnaissent lorsqu’il y a une diminution substantielle de jouissance causant un préjudice sérieux au locataire13. Deux conditions sont exigées pour justifier l’abandon des lieux loués par le locataire et la résiliation du bail de plein droit :
1. une inexécution substantielle des obligations du locateur; et,
2. la dénonciation du trouble de jouissance par le locataire14.
Les tribunaux ont déjà considéré qu’un danger pour la santé ou la sécurité des occupants pouvait être considéré comme causant un préjudice sérieux et une diminution substantielle de la jouissance des lieux loués15. Quant à la responsabilité du locateur, cela dépend de la ou des sources de la contamination fongique et du bail commercial convenu. Il peut s’avérer difficile d’établir les sources de contamination et d’identifier les correctifs nécessaires devant être apportés. La présence d’experts sera souvent utile et nécessaire. Une fois les sources de la contamination identifiées, les clauses pertinentes du bail commercial, dont celles traitant des obligations respectives des parties à l’égard des travaux de réparation et d’entretien, contribueront à déterminer si le locateur est véritablement débiteur de l’obligation inexécutée de fournir cette jouissance paisible.
Le locataire doit dénoncer le trouble de jouissance au locateur avant d’abandonner les lieux loués. La dénonciation du trouble de jouissance vise à permettre au locateur de remédier au problème et elle doit être assortie d’un délai raisonnable. Lorsque la santé des occupants est en jeu, le locateur serait avisé de faire preuve d’une grande célérité pour identifier la ou les sources de contamination et pour apporter les correctifs nécessaires. L’obligation de procurer la jouissance paisible est une obligation de résultat et le locateur ne peut s’exonérer en démontrant qu’il a déployé les moyens raisonnables afin de corriger le trouble. Lorsque la santé des occupants et l’exploitation des activités dans les lieux loués sont compromises en raison de la présence d’une contamination fongique, le locataire peut être justifié d’abandonner les lieux loués de manière urgente et de réclamer du locateur les dommages-intérêts correspondant aux frais encourus pour la relocalisation de ses activités.16
En conclusion, la résiliation du bail de plein droit est un remède qui peut être envisagé lorsque l’inexécution de ses obligations par le locateur est substantielle et cause un préjudice sérieux. Le fait que la santé des occupants et la poursuite des activités du locataire dans les lieux loués soient compromises par la présence d’une contamination fongique sont un exemple de préjudice suffisamment sérieux pour justifier cette résiliation.
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1. Rapport scientifique - Les risques à la santé associés à la présence de moisissures en milieu intérieur, Direction des risques biologiques, environnementaux et occupationnels et Laboratoire de santé publique – novembre 2002, http : www.Insqp.qc.ca. Voir aussi Les risques à la santé associés à la présence de moisissures en milieu intérieur – Document synthèse.
2. Voir note 1, Document synthèse, page 2.
3. Voir note 1, Document synthèse, page 2.
4. Voir note 1, Document synthèse, page 2.
5. Voir note 1, Document synthèse, page 5.
6. Voir note 1, Document synthèse, page 8.
7. Christian BEAUDRY, « Qualité de l’air intérieur et enjeux pour le droit de la santé et de la sécurité au travail » dans Santé et sécurité au travail, vol. 2 Montréal, LexisNexis, mis à jour le 4 juillet 2012, p. 28/6. Denis JOBIN, « Qualité de l’air intérieur - Responsabilités du propriétaire et de l’employeur à l’égard de la L.S.S.T. et de la L.A.T.M.P. », dans Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, pages 14 et 15. Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.Q. c. S-2.1, voir notamment les articles 2, 4, 51, 56 et 182.
8. Loi sur la santé publique, LRQ, c. S-2.2, articles 2 et 93.
9. Loi sur la santé publique, citée note 8, article 96.
10. Voir le texte publié par Me Nicole Messier intitulé « L’obligation du locateur de procurer la jouissance paisible, dans Lavery immobilier, Juillet 2013, bulletin numéro 7. Voir aussi Société de gestion Complan (1980) inc. c. Bell Distribution inc., 2011 QCCA 320, (CanLII).
11. Le locataire possède également d’autres droits, tel que le droit de demander une diminution de loyer (article 1863 C.c.Q.), par ailleurs le présent article vise à traiter de l’abandon des lieux loués.
12. Voir notamment l’article de Me Marie-Josée HOGUE, Recours en cas d’inexécution des obligations prévues à un bail commercial, dans Louage commercial : un monde en évolution, Carswell, 2000.
13. Voir notamment Bernard LAROCHELLE, Le louage immobilier non résidentiel, dans Répertoire de droit, nouvelle série : doctrine, 2006, Chambre des notaires du Québec, pages 44 et 45.
14. Voir notamment Pierre-Gabriel JOBIN, Le louage, 2e édition, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1996, pages 470 à 476.
15. Voir notamment Société de gestion Complan (1980) inc. c. Bell Distribution inc., cité note 10; 9087-7135 Québec inc. et al c. Centre de santé et de services sociaux Lucille-Teasdale, 2013 QCCS 3856 (CanLII) (en appel).
16. Voir notamment 9087-7135 Québec inc. et al c. Centre de santé et de services sociaux Lucille-Teasdale, cité note 15 (en appel).