INTRODUCTION
Le 17 juillet dernier, la Cour d’appel rendait un jugement inédit au Québec, dans l’affaire Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc1. Sous la plume du juge Clément Gascon, la Cour d’appel décide, dans un arrêt unanime, qu’un jugement ayant autorisé une action en dommages par voie de recours collectif en vertu de l’article 225.4 de la Loi sur les valeurs mobilières (Québec)2 (ci-après « LVM ») est susceptible d’appel, malgré la règle établie par le Code de procédure civile du Québec (ci-après « C.p.c. ») en matière de jugement autorisant l’exercice d’un recours collectif voulant qu’un tel jugement ne soit pas susceptible d’appel.
FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE
Dans cette affaire, 121851 Canada inc. (ci-après « 121CAN ») reproche à Theratechnologies, une société inscrite à la Bourse de Toronto, ainsi qu’à ses dirigeants (ci-après collectivement « Thera ») d’avoir omis de divulguer par communiqué de presse un « changement important », obligation qui lui incombait en raison de son statut d’émetteur assujetti au sens de la LVM et de l’obligation d’information continue qui s’y rattache en vertu des articles 73 LVM et 7.1 du Règlement 51-102 sur les obligations d’information continue3. 121CAN, ayant été détentrice de 190 000 actions ordinaires de Theratechnologies, demande l’autorisation d’exercer un recours collectif.
LES PROCÉDURES EN PREMIÈRE INSTANCE
Devant la Cour supérieure du Québec, 121CAN a déposé une requête pour obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif uniquement en vertu des dispositions du C.p.c. qui a été suivie d’une requête en irrecevabilité déposée par Thera, au motif que l’autorisation préalable exigée par l’article 225.4 alinéa 1 LVM n’avait pas été obtenue. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la Loi 194, un recours civil spécifique permet aux investisseurs du marché secondaire des valeurs mobilières d’intenter une action en dommages intérêts à la suite d’informations fausses ou trompeuses, écrites ou verbales, ou de défaut de l’émetteur de respecter ses obligations de divulgation.
Lors de l’audience de la requête en irrecevabilité déposée par Thera, le juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure autorise un amendement afin que 121CAN puisse ajouter une seconde requête demandant l’autorisation requise au sens des articles 225.4 et suivants LVM5.
Les deux requêtes sont entendues lors d’une audience commune au terme de laquelle le juge Blanchard accorde les deux demandes et autorise l’action en dommages intérêts exercée par voie de recours collectif6.
L’ARRÊT DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC
Devant la Cour d’appel, Thera demande la permission d’en appeler de l’autorisation accordée en vertu de l’article 225.4 LVM. Concédant que la requête accordée en vertu de l’article 1003 C.p.c. ne pouvait faire l’objet d’un tel appel puisqu’il est clairement proscrit par le second alinéa de l’article 1010 C.p.c., Thera plaide qu’un tel droit d’appel existe toutefois en vertu de la LVM.
La permission d’en appeler relève habituellement de la compétence d’un juge seul, mais en raison du caractère inédit de la question, elle a été déférée à la Cour d’appel7 en formation de trois juges.
Dans une décision unanime rendue sous la plume du juge Gascon, la Cour d’appel accueille la requête pour permission d’appeler, déposée par Thera, puis rejette l’appel. Dans le présent bulletin, nous nous pencherons davantage sur la question de la permission d’en appeler d’un jugement d’autorisation fondé sur l’article 225.4 LVM, plutôt que sur les motifs à l’appui du rejet de cet appel sur le fond.
La permission d'appeler - Décision du juge Gascon
Pour fonder son analyse et trancher la question, le juge Gascon examine en détail le contexte de l’adoption du régime de responsabilité mis en place par l’introduction de la Loi 19 et des articles 225.2 et suivants LVM, ainsi que la raison d’être de ce nouveau recours.
Historiquement, pour obtenir gain de cause dans une action en dommages en vertu de la LVM, le demandeur devait faire la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité, comme dans toute action en responsabilité civile. Cependant, dans le contexte particulier des marchés financiers, ces exigences constituaient des barrières presque insurmontables pour les investisseurs, qui devaient démontrer qu’ils s’étaient fiés « à l’information fausse ou à l’omission de déclarer un changement important pour acheter le titre et que la variation du titre résultait de la fausse déclaration ou de l’omission de déclarer »8. Ces exigences rendaient également très difficile l’exercice d’un recours collectif parce que les faits ayant mené à chacun des investissements par les membres du groupe pouvaient être différents.
C’est dans ce contexte que le Comité Allen de la Bourse de Toronto a publié un rapport en 1997 dans lequel il proposait la création d’un régime de responsabilité propre aux contraventions aux obligations d’information continue prévues par la loi. Les recommandations issues de ce rapport ont servi de fondement à l’adoption de la Loi 19.
Le juge Gascon analyse ce nouveau régime de responsabilité comme suit :
« [62] Le recours a comme objectif de contribuer à améliorer la quantité et la qualité de l'information divulguée sur le marché; il vise d'abord la dissuasion et ensuite l'indemnisation des victimes.
[63] De manière à équilibrer les forces, le nouveau recours établit une présomption en faveur de l'investisseur : lorsque le titre est acquis ou cédé de manière concomitante à une fausse déclaration ou une omission de signaler un changement important, la fluctuation de la valeur du titre est présumée être attribuable à cette faute. L'investisseur est donc libéré d'un lourd fardeau, soit celui de démontrer qu'il s'est fié à l'information fausse ou à l'omission de signaler un changement important et que la variation du prix du titre est le résultat de cette information ou omission.
[64] En contrepartie, pour éviter les abus, un mécanisme d'autorisation des recours entrepris par les investisseurs est instauré afin d'écarter les recours intentés de mauvaise foi et qui n'ont pas de possibilité raisonnable d'obtenir gain de cause. »
(nos soulignés)
Estimant que le silence de la loi ne constitue en aucun cas une négation du droit d’appel, et que d’ailleurs ni le rapport Allen, ni les débats parlementaires ayant précédé l’adoption de la Loi 19 n’ont évoqué une telle interdiction, le juge Gascon conclut que le législateur a choisi sciemment de ne pas interdire le droit d’appel à l’article 225.4 LVM.
Considérant alors que la portion du jugement ayant autorisé l’action en dommages est un jugement interlocutoire, le juge Gascon, pour la Cour, est d’avis que les principes généraux en matière de droit d’appel énoncés aux articles 29 et 511 C.p.c. doivent être appliqués en l’espèce pour trancher la question, et que, par voie de conséquence, ce jugement est susceptible d’appel sur permission. La Cour souscrit donc à la position plaidée devant elle par Thera.
Rappelant au passage que le recours prévu à l’article 225.4 LVM peut être exercé tant par voie de recours collectif que par voie de recours individuel, la Cour accorde donc à Thera la permission d’en appeler.
Commentaires
Par cet arrêt, la Cour d’appel établit clairement une distinction entre les règles applicables au régime d’autorisation d’exercice des recours collectifs en vertu des articles 999 et suivants C.p.c., d’une part, et celles qui s’appliquent au régime spécial de responsabilité consacré par les modifications de la LVM apportées par la Loi 19, d’autre part. En effet, malgré l’audience commune de ces deux demandes d’autorisation, la Cour d’appel refuse l’analogie suggérée par 121CAN, selon laquelle il faille traiter de façon identique les deux demandes et, par conséquent, que la Cour devait refuser la permission d’en appeler de la portion du jugement autorisant l’exercice d’une action en dommages. Bien que la Cour reconnaisse que le véhicule procédural du recours collectif est souvent le plus approprié dans de telles circonstances pour les investisseurs, elle insiste sur les raisons d’être de ces deux mécanismes, qu’elle estime propres et distincts:
« [69] Il s'ensuit que, au chapitre de sa raison d'être, le mécanisme d'autorisation prévu à l'art. 225.4 LVM se distingue de celui prévu au Code de procédure civile en matière de recours collectifs. Alors que le second vise à s'assurer de la qualité du syllogisme juridique proposé par le biais d'un fardeau de démonstration et non de preuve, le premier vise à écarter les recours opportunistes où la bonne foi fait défaut et où la preuve du manquement reproché n'est pas ‘raisonnablement établie’. »
Dans le cas à l’étude, les parties se sont donc retrouvées dans une situation où, sans l’accès au régime particulier offert par la LVM, elles auraient été privées de l’éclairage de la Cour d’appel sur des questions touchant directement l’autorisation du recours collectif.
Cet arrêt est une illustration du fait que la Cour d’appel pourrait valablement jouer le rôle de « gatekeeper » qui lui incomberait si l’appel d’un jugement d’autorisation était possible sur permission.
Nous sommes également d’avis qu’un tel droit d’appel permettrait de rétablir l’équilibre entre les forces en présence en mettant fin à cette asymétrie procédurale.
À ce propos, il est utile de mentionner que le Barreau du Québec a émis une recommandation favorable à cette avenue dans le cadre de la consultation relative à la réforme du Code de procédure civile (projet de Loi 28) dans un contexte où un tel droit d’appel serait conforme aux règles régissant l’appel des jugements interlocutoires.
Enfin, bien que l’affaire Theratechnologies puisse être à juste titre considérée comme un cas d’espèce, nous nous interrogeons également sur les conséquences pratiques d’une telle décision pour l’avenir. Par exemple, qu’en serait-il d’une situation où l’autorisation du recours collectif serait accordée en vertu du C.p.c., sans que ce jugement soit susceptible d’appel, lors même que la Cour d’appel, après avoir autorisé l’appel sur permission en vertu de la LVM, jugerait qu’il n’existe pas de possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause en vertu de ce régime particulier ?
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1 2013 QCCA 1256.
2 L.R.Q., c. V-1.1.
3 RRQ, c V-1.1, r. 24, (Valeurs mobilières).
4 Cette loi fut incorporée à la LVM le 9 novembre 2007, au moyen des art. 225.2 à 236.1 LVM, sous le titre « Sanctions civiles ».
5 Voir 121851 Canada inc. c. Theratechnologies inc., 2010 QCCS 6021.
6 121851 Canada inc. c. Theratechnologies inc., 2012 QCCS 699.
7 Par. [32] du jugement.
8 Voir 2013 QCCA 1256, supra note 1, au par. 58.