Il est bien connu qu’un employeur détient de vastes pouvoirs de gérance et de contrôle sur ses salariés dans un but de saine gestion de l’entreprise. Un employeur peut ainsi adopter et appliquer des règlements d’entreprise pour encadrer la prestation de travail des salariés. Dans certaines circonstances, un employeur peut même adopter un règlement visant le contrôle de l’apparence physique de ses employés. Ce pouvoir est néanmoins balisé par la loi et par le contrat de travail. Cependant, quelles sont les balises prévues par la loi à cet égard ? Une sentence arbitrale a récemment fait le point sur cette question.
Dans l’affaire Commission scolaire des Samares1, le règlement adopté par l’employeur, la Commission scolaire, visait tous les enseignants qui avaient pour responsabilité de former de futurs professionnels de la santé, principalement des infirmiers et des préposés aux bénéficiaires. Le règlement prévoyait notamment ceci :
- exigence d’avoir une bonne hygiène corporelle; interdiction de porter un couvre-chef (chapeau);
- exigence d’avoir les cheveux de couleur naturelle (interdiction de teinture);
- exigence d’avoir les ongles courts, propres et sans vernis (interdiction d’ongles artificiels);
- exigence de porter des chaussures fermées et sécuritaires (talons bas, semelles antidérapantes et silencieuses);
- interdiction de porter des jeans, des pantalons courts (shorts), des minijupes et des chandails type camisole;
- les anneaux, pendentifs ou autres bijoux doivent être sobres, solidement fixés et couverts;
- les cheveux longs doivent être attachés;?la barbe doit être couverte en certaines circonstances.
Essentiellement, l’employeur avait adopté ce règlement de façon à s’assurer que ses enseignants donnent « le bon exemple »?à leurs étudiants, lesquels seraient éventuellement obligés de respecter des règles similaires dans le cadre de leur travail en tant que professionnel de la santé.
Le tribunal d’arbitrage devait se prononcer sur la légalité de ce règlement d’entreprise. Pour ce faire, le tribunal rappelle que diverses lois encadrent les libertés individuelles des salariés.?En premier lieu, la Charte des droits et libertés de la personne2 prévoit notamment le droit de toute personne à la liberté d’expression, au respect de sa vie privée, ainsi qu’à des conditions de travail justes et raisonnables. Pour sa part, le Code civil du Québec3 prévoit que toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à l’inviolabilité, à l’intégrité et au respect de sa vie privée.
La jurisprudence reconnaît la prérogative de l’employeur d’adopter des règles concernant l’apparence physique des salariés au travail. Cependant, pour qu’un règlement d’entreprise régissant l’apparence physique des employés soit valide, il faut d’abord qu’il se justifie par la poursuite d’un but sérieux et légi- time. Ce sera généralement le cas si le but visé est la promotion ou la protection de la santé et de la sécurité au travail, ou encore la promotion d’autres intérêts légitimes de l’entreprise, par exemple, la projection ou le maintien d’une image de l’entreprise. Il faut également que le règlement soit raisonnable, c’est-à-dire, que l’employeur ait agi avec bon sens et dans le respect de l’équité en l’adoptant. Pour ce faire, l’employeur doit considérer des faits objectifs et pertinents à la qualité de la prestation des services rendus par ses employés, et non agir de façon arbitraire, intempestive, capricieuse, sous de faux prétextes ou en violation d’un droit protégé par la loi.
Puisqu’un salarié conserve, en principe, ses libertés fondamentales individuelles même lorsqu’il se trouve sur son?lieu de travail, les éléments qui relèvent de l’apparence physique bénéficient a priori de la protection à la vie privée. Il faut donc?que : 1 ) l’objectif poursuivi par l’employeur qui implante des règles relatives à l’apparence physique soit important et légitime ;?2) les moyens utilisés pour atteindre cet objectif soient rationnels et proportionnés, c’est-à-dire le moins intrusifs possible, et qu’ils portent une atteinte minimale au droit fondamental en cause.?Il faut souligner que le fardeau de la preuve à cet égard incombe?à l’employeur.
Sur la base de ces principes, le tribunal d’arbitrage a analysé certaines des composantes du règlement d’entreprise mis en place par l’employeur.
En ce qui concerne l’exigence d’avoir une bonne hygiène corporelle, le tribunal est d’avis qu’elle relève du bon sens et qu’elle constitue une attente minimale et de portée générale. Le fait qu’il s’agisse d’une exigence évidente dans un milieu collectif de travail n’a pas pour effet de la rendre excessive ni déraisonnable.
En ce qui a trait à l’exigence relative à la couleur des cheveux,?le tribunal est d’avis que la règle prohibant toute teinture viole clairement le droit des employés à leur vie privée, d’autant plus que cette atteinte est significative puisqu’elle s’étend en dehors des heures de travail. De plus, cette règle s’avère, dans les faits, plus restrictive que celle imposée dans le milieu de travail dans lequel les étudiants seront appelés à travailler. Il s’agit d’une règle qui relève davantage d’une question de goût que d’une véritable exigence liée à la profession enseignée ou à celle d’enseigner. Bref, la mesure n’est pas rationnelle et la portée de l’atteinte n’est pas minimale.
Quant à la barbe, le règlement oblige l’enseignant, en classe pratique, à la couvrir lors de soins particuliers. Le tribunal est d’avis que cette règle ne porte pas atteinte à l’un des droits pro- tégés par la Charte et qu’elle n’est pas déraisonnable ou exces- sive. Elle découle des méthodes d’enseignement privilégiées par l’employeur et cherche à reproduire des règles visant la santé, la sécurité et l’hygiène en milieu de travail.
De la même manière, la règle voulant que les cheveux longs soient attachés en classe pratique est raisonnable, s’explique sur le?plan hygiénique et a une portée minimale. De plus, contrairement à l’interdiction de la teinture, l’obligation que les cheveux longs soient attachés ne se prolonge pas en dehors des heures de travail.
Quant aux ongles, le règlement exige que ces derniers soient courts, propres et sans vernis ni ajout d’ongles artificiels. Bien que ces exigences portent a priori atteinte à la liberté d’expression et à la vie privée, elles sont conformes aux recommandations émises par divers ordres professionnels dans le domaine de la santé et sont donc justifiables dans ce contexte particulier. Il en est de même en ce qui concerne les exigences relatives au port de chaussures fermées et antidérapantes, lesquelles visent principa- lement la protection de la santé et de la sécurité des salariés.
En ce qui a trait aux bijoux, anneaux et pendentifs, le règlement prévoyait qu’ils devaient être sobres, solidement fixés et couverts. Le tribunal a jugé que la restriction imposée était large, générale et imprécise en raison de l’utilisation du mot « sobre ». Le tribunal est d’avis qu’il s’agit d’une restriction relevant davantage d’une question de goût que d’une question pédagogique et que l’atteinte à la liberté d’expression ne rencontre pas les critères retenus par la jurisprudence pour être justifiée.
En ce qui concerne la tenue vestimentaire, le tribunal est d’avis que l’employeur qui souhaite interdire le port du jeans ou du pan- talon court au travail doit démontrer que cette mesure a pour but de préserver l’image de l’entreprise, ce qui peut parfois être le cas lorsque les activités ou fonctions du salarié impliquent qu’il soit en contact direct avec la clientèle ou avec le public. En l’absence d’une telle preuve et puisque le jeans et le pantalon court sont généra- lement reconnus comme étant des vêtements convenables dans les écoles publiques, cette exigence a été jugée déraisonnable. Bien que la décision arbitrale ne le précise pas, nous comprenons que le même raisonnement devrait s’appliquer en ce qui concerne l’interdiction de porter un couvre-chef (chapeau).
Enfin, en ce qui concerne les interdictions relatives au port de la minijupe et du chandail de type camisole, le tribunal est d’avis que cette mesure fait appel au bon sens et à la décence. Bien que ces interdictions portent atteinte au droit à la vie privée ou à la liberté d’expression, elles répondent à un objectif important et légitime. De plus, les effets préjudiciables sont limités et proportionnels aux effets bénéfiques résultant de leur application.
Étant donné que certaines des règles et exigences prévues au règlement de l’employeur portent atteinte à des droits fondamen- taux et que la portée de ces exigences est parfois incohérente et/ou disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi par l’employeur, le tribunal d’arbitrage a déclaré le règlement invalide.
En conclusion, bien qu’un employeur ait le pouvoir d’adopter et d’appliquer un règlement encadrant l’apparence personnelle de ses employés au travail, il est important?que celui-ci repose sur des objectifs sérieux, légitimes et raisonnables. À cet égard, un employeur aura tout intérêt à documenter le processus menant à l’adoption d’une telle politique, puisqu’il a le fardeau de démontrer son bien-fondé et son caractère raisonnable compte tenu du milieu de travail dans lequel ses employés sont appelés à fournir leur prestation de travail.
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1 Syndicat de l’enseignement de Lanaudière et Commission scolaire des Samares, D.T.E. 2012T-862.