Santé et services sociaux

Vue d'ensemble

L’organisation et le fonctionnement des établissements publics et privés de soins de santé et de services sociaux s’inscrivent dans un environnement juridique particulièrement complexe et très spécifique. Les établissements doivent composer avec une réalité de plus en plus difficile et exigeante, c’est-à-dire répondre à un éventail de besoins qui s’élargit et se diversifie, et fournir davantage de services à une population vieillissante tout en respectant des contraintes budgétaires importantes et les exigences d’un secteur fortement règlementé. Ils doivent aussi entretenir des relations étroites avec une multitude d’intervenants en amont (fournisseurs d’équipement, d’appareils et de matériel médical, ambulanciers, etc.) et à l’intérieur des établissements (médecins généralistes et spécialistes, syndicats, ministère, etc.) afin de mieux répondre aux besoins des citoyens qu’ils desservent.

 

  1. La preuve de l’inaptitude : analyse de l'affaire CIUSSS de l'Ouest-de-L'Île-de-Montréal ( ST. Mary's Hospital Center) c. R.C.

    LA PREUVE DE L’INAPTITUDE : ANALYSE DE L'AFFAIRE CIUSSS DE L'OUEST-DE-L'ÎLE-DE-MONTRÉAL (ST. MARY'S HOSPITAL CENTER) c. R.C1 RÉSUMÉ Les autrices commentent cet arrêt du 20 septembre 2024, dans lequel la Cour d’appel traite de la notion d’aptitude à consentir à des soins, dans un contexte de troubles psychiatriques. Dans cet arrêt, la Cour d’appel infirme la décision de première instance, qui concluait que l’intimé, bien qu’il niait son diagnostic, était apte à refuser une prise d’antipsychotiques, puisqu’il comprenait les bienfaits que les antipsychotiques pouvaient lui apporter et les refusait en raison des effets secondaires. La Cour d’appel conclut au contraire que le juge de première instance a mal appliqué les cinq critères permettant d’évaluer l’aptitude d’une personne à consentir aux soins, notamment dans le contexte où cette conclusion allait à l’encontre de l’expertise non contredite et que la preuve révélait plusieurs éléments soutenant une inaptitude de l’intimé à prendre une décision éclairée. INTRODUCTION Dans cette affaire, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal (le « CIUSSS ») a interjeté appel d'un jugement rendu par la Cour supérieure le 14 mars 2024, qui avait refusé sa demande d'autorisation d'administrer des soins à R.C., un homme de 51 ans. La Cour supérieure avait conclu que l'inaptitude de l'intimé à consentir aux soins n'avait pas été prouvée par l’établissement. La Cour d’appel est donc amenée à réviser la réponse du juge d’instance à la première question (l’inaptitude à consentir) de la grille d’analyse2 en fonction du test appliqué depuis maintenant trois décennies3. LES FAITS R.C. a un historique médical complexe, ayant été hospitalisé à plusieurs reprises entre 2007 et 2019 pour des problèmes de santé mentale, notamment des idéations suicidaires et des troubles de personnalité. En 2021, il a été admis au CHUM pour des complications liées à la Covid-19, entraînant des lésions cérébrales dues à une hypoxie. À partir de 2022, il a consulté les urgences de manière répétée, souvent pour obtenir des benzodiazépines, ce qui a mené à une dépendance. Malgré une période d'adhésion à un traitement antipsychotique, R.C. a cessé de prendre ce médicament en raison d'effets secondaires indésirables. En janvier 2024, après un épisode de confusion, il a été amené à l'hôpital où un diagnostic de schizophrénie tardive a été posé. Cependant, R.C. a rejeté ce diagnostic, affirmant que ses problèmes de santé étaient causés par un dispositif d'intelligence artificielle qu'il croyait avoir été implanté dans son corps. Les psychiatres, après évaluation, ont conclu à son inaptitude à consentir aux soins. Le 16 février 2024, le CIUSSS a déposé une demande afin d’être autorisé à administrer des antipsychotiques à R.C. et pour le réhospitaliser, malgré son refus catégorique. Après l’analyse de la preuve, essentiellement constituée du témoignage de R.C. et de la psychiatre du CIUSSS, la Cour supérieure en vient à la conclusion que R.C. comprend la nature de son état et les bienfaits des traitements proposés, malgré son refus de reconnaître son diagnostic. Le tribunal est d’avis que les psychiatres du CIUSSS, dans leur analyse de l’aptitude de R.C., ont erronément repris en cascade le refus du diagnostic dans l’analyse des cinq critères de l’arrêt A.G4, commettant ainsi la même erreur que celle qui avait été relevée par la Cour d’appel dans l’affaire M.H.5  Malgré l’absence de contre-expertise sur la question de l’aptitude de R.C., la Cour supérieure détermine que celui-ci est apte à consentir à ses soins. Selon le juge d’instance, il n’aurait donc pas compétence afin de les ordonner, selon les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt F.D.6 La demande d’autorisation de soins est pour ce motif rejetée. LA DÉCISION DE LA COUR D’abord, la Cour d’appel réitère les cinq critères permettant d’évaluer l’aptitude d’une personne, soit : La personne comprend-elle la nature de la maladie pour laquelle un traitement lui est proposé? La personne comprend-elle la nature et le but du traitement? La personne saisit-elle les risques et les avantages du traitement, si elle le subit? La personne comprend-elle les risques de ne pas subir le traitement? La capacité de comprendre de la personne est-elle affectée par sa maladie?7 Elle rappelle également que ces critères ne sont pas cumulatifs et que le décideur doit procéder à une évaluation de l’ensemble de ceux-ci8. De plus, le seul fait de refuser des soins qui seraient dans son intérêt est insuffisant et n’emporte pas une conclusion d’inaptitude9, tout comme le refus de reconnaître son diagnostic10. En l’espèce, la Cour d’appel considère que le juge a commis une erreur manifeste et déterminante justifiant son intervention. D’emblée, la Cour affirme que le juge devait s’exprimer quant à la suffisance de la preuve présentée et rappelle le rôle proactif qu’il devait jouer dans la préservation des intérêts de la personne visée11. Le juge d’instance devait donc poser des questions s’il estimait qu’un point ne faisant pas l’objet d’un véritable débat contradictoire soulevait pour lui une difficulté12. Par la suite, la cour reprend des extraits de la preuve constituée d’un rapport psychiatrique et du témoignage de son auteur puis constate que cette preuve ne permettait pas au juge d’instance de conclure que R.C. était apte à consentir ou à refuser au plan de traitement proposé, au contraire. À la lumière de cette même preuve, la Cour déclare que ce dernier est inapte à consentir aux soins et renvoi le dossier à la Cour supérieure pour qu’elle puisse se prononcer quant à l’existence d’un refus catégorique de même que sur les modalités du plan de traitement recherché. LE COMMENTAIRE DES AUTEURES Cet arrêt de la Cour d'appel s'inscrit dans la continuité d’une vingtaine de décisions13 rendues par cette même cour en matière d'autorisation judiciaire de soins, qui ont contribué à établir et à préciser les principes directeurs depuis la décision F.D. de 201514. Ces décisions successives ont non seulement enrichi la jurisprudence, mais ont également permis d'affiner les critères d'évaluation et les exigences légales entourant les demandes d'autorisation de soins. Cette évolution jurisprudentielle témoigne de l'engagement des tribunaux à encadrer les situations complexes liées aux soins de santé. Cet exercice relève de la recherche d’un équilibre entre les droits à la liberté et à l’autodétermination d’une part, et à la protection des personnes vulnérables ou autrement inaptes à consentir, d’autre part. Rappelons que le 6 juillet 2015, la Cour d’appel du Québec a marqué un tournant décisif en matière d’autorisations judiciaires de soins avec un arrêt qui se voulait un véritable coup de semonce à la Cour supérieure : F.D. c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria)15. Ce jugement a établi une grille d’analyse visant le respect des dispositions et de l’esprit de la loi. Depuis cette date, cette Cour a rendu près d’une vingtaine d’arrêts significatifs, chacun apportant des éclairages complémentaires. Les principes directeurs tirés de ces décisions peuvent être résumés selon les thèmes suivants : Les droits liés au processus judiciaire Chaque individu a le droit fondamental de contester une demande d’autorisation judiciaire de soins, d'être entendu et de se faire représenter16. Le juge doit jouer un rôle proactif pour protéger les intérêts de l’usager et s’assurer qu’il est représenté par un avocat17. La portée du plan de soins Exiger un plan de soins précis ne signifie pas qu'il faille imposer un médicament spécifique de manière restrictive18. Un juge peut retirer certaines substances d’un plan de traitement s’il estime que cela sert l’intérêt du patient19. Il est crucial de faire la distinction entre les soins préventifs et un plan de traitement qui inclut diverses alternatives selon l’évolution de la situation20. Une clause d’hospitalisation non immédiate doit être justifiée par la prévisibilité raisonnable d'une hospitalisation21. Lorsqu’un patient est hébergé, la demande d’autorisation doit préciser le lieu d’hébergement22. La contrainte physique ne peut être utilisée que si elle est indispensable pour éviter un préjudice grave et doit être limitée à l’essentiel23. Le refus des parents de consentir à un plan de traitement peut ne pas être justifié si le plan sert l’intérêt de l’enfant24. La durée de l’autorisation En l'absence de collaboration de la personne concernée et sans accès à ses dossiers médicaux antérieurs, le juge doit faire preuve d'une prudence accrue lors de l'examen de la légalité du plan de soins proposé, notamment en ce qui concerne sa durée et son étendue25. La durée de l’ordonnance de soins doit être aussi courte que raisonnablement possible, sans compromettre l’efficacité du traitement26. Lorsqu’une hospitalisation non immédiate est envisagée, le juge doit tenir compte du temps nécessaire à la stabilisation du patient27. La durée de 30 jours d'hospitalisation non immédiate ne doit pas être considérée comme une limite absolue, une période plus longue pouvant être nécessaire après une analyse rigoureuse28. La preuve La simple relation entre l’expert et les parties ne rend pas son témoignage irrecevable ; il faut examiner les circonstances entourant son rôle29. Un expert qui ne connaît pas les raisons du refus d’un traitement par un patient n’enfreint pas son devoir d’information30. Un expert peut témoigner sur des faits rapportés sans qu'une opposition soit possible. Toutefois, cela ne signifie pas que ces faits sont avérés, car les règles de preuve demeurent strictes dans ce contexte31. Le rapport d’un expert peut suffire comme témoignage ; le juge n'a pas à exiger le témoignage du patient si ce dernier ne peut pas comprendre les enjeux32. Dans les demandes d’ordonnance de sauvegarde, l’absence d’un rapport d’expertise et l’absence d’urgence peuvent faire échouer la demande33. Cette rétrospective met en lumière les avancées significatives réalisées par les tribunaux dans l'encadrement des demandes d’autorisations judiciaires de soins et la protection des personnes vulnérables. La grille d’analyse instaurée par l’arrêt F.D. reste pertinente, et les décisions subséquentes ont affiné les paramètres de cette analyse. L'arrêt rendu par la Cour d'appel dans l'affaire du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal c. R.C. constitue une étape importante dans l'évolution de la jurisprudence relative aux autorisations judiciaires de soins. En infirmant le jugement de première instance, la Cour a réaffirmé la nécessité d'une évaluation rigoureuse de l'aptitude à consentir, sans nier l'importance du rôle des équipes médicales et des demandes des établissements de santé pour garantir la dispensation des soins requis. Cette décision souligne non seulement la protection des droits des usagers, mais également l’importance du travail du tribunal qui doit s’assurer que les critères sont remplis, mais sans substituer son opinion à celle des experts entendus. CONCLUSION L’arrêt faisant l’objet du présent commentaire s'inscrit dans une lignée de décisions qui ont permis de clarifier et de renforcer les principes directeurs établis depuis l'arrêt F.D. de 201534. La Cour d'appel a fourni des lignes directrices précieuses pour les juges, les établissements et les professionnels de la santé dans l'évaluation des demandes d'autorisation de soins. À travers l'examen minutieux des circonstances entourant chaque cas, les tribunaux ont démontré leur engagement à encadrer efficacement les situations complexes liées aux soins de santé, en veillant à ce que les établissements disposent des outils nécessaires pour intervenir de manière adéquate. Enfin, il est crucial de reconnaître que, bien que des avancées aient été réalisées, des questions demeurent en suspens et nécessitent une attention continue. Les décisions récentes des tribunaux, y compris celle qui a conduit à l'arrêt R.C.35, illustrent l'importance d'un dialogue constant entre le cadre légal et les réalités cliniques. À mesure que la jurisprudence évolue, il sera essentiel de rester attentif aux développements futurs afin d'assurer aux établissements de santé la capacité d'agir efficacement tout en respectant les besoins des patients. 2024 QCCA 1231. F.D.c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria), 2015 QCCA 1139. Voir la décision de principe, Institut Philippe Pinel de Montréal c. A.G., 1994 CanLII 6105 (QC CA). Institut Philippe Pinel de Montréal c. A.G., 1994 CanLII 6105 (QC CA). M.H. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale, 2018 QCCA 1948, par. 57. F.D. c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria), 2015 QCCA 1139. Décision commentée, par. 13; en référence à l’arrêt Institut Philippe Pinel de Montréal c. A.G., 1994 CanLII 6105 (QC CA), p. 28 à 33. Décision commentée, par. 14; en référence aux arrêts M. B. c. Centre hospitalier Pierre-le-Gardeur, 2004 CanLII 29017 (QC CA), paragr. 45; M.C. c. Service professionnel du Centre de santé et de services sociaux d’Arthabaska-et-de-L’Érable, 2010 QCCA 1114, paragr. 13. Décision commentée, par. 14; en référence à M. B. c. Centre hospitalier Pierre-le-Gardeur, 2004 CanLII 29017 (QC CA), paragr. 46. Décision commentée, par. 14, en référence aux arrêts Starson c. Swayze, 2003 CSC 32, paragr. 79 et M.H. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale, 2018 QCCA 1948, paragr. 61-62. Voir à cet égard : A.N. c. Centre intégré universitaire de santé et de services du Nord-de-l’Ile-de-Montréal, 2022 QCCA 1167, par. 60. Décision commentée, par. 18. Nous avons écarté de notre analyse les arrêts suivants : Bédard c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal, 2023 QCCA 508; M.G. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale, 2019 QCCA 203; S.F. c. CIUSSS de Centre-Ouest-de-l’île-de-Montréal – Hôpital général juif – Sir Mortimer B. Davis, 2021 QCCA 1531; P.L. c. Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre, 2018 QCCA 318; N.G. c. Sir Mortimer B. Davis Jewish General Hospital, 2021 QCCA 1892; F.D. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale, 2017 QCCA 1206. F.D. c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Roya-Victoria), 2015 QCCA 1139. Id. M.H. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale, 2018 QCCA 1948, par. 68 et 69. A.N. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’île-de-Montréal, 2022 QCCA 1167 , par. 30. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale c. D.M., 2017 QCCA 1333, par. 25. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Saguenay-Lac-Saint-Jean c. O.G., 2018 QCCA 345, par. 15 et16. C.R. c. Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-St-Laurent, 2017 QCCA 328, par. 28. G.J. c. Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval, 2021 QCCA 1944, par. 24 à 26. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ) c. J.B., 2017 QCCA 1638, par. 30 à 35. X.Y. c. Hôpital général du Lakeshore, 2017 QCCA 1465, par. 20. A.P. c. Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, 2023 QCCA 58, par. 19. L.C. c. Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), 2015 QCCA 1139, par. 4 et 5. D.A. c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides, 2016 QCCA 1734, par. 31. T.F. c. CIUSSS de l’Est-de-l’île-de-Montréal , 2022 QCCA 1306, par. 25. N.M. c. Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre , 2022 QCCA1567, par. 17. M.G. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal , 2021 QCCA 1326, par. 11. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’île-de-Montréal (Douglas Mental Health University Institute) c. I.A., 2023 QCCA 1100, par. 30. Institut universitaire en santé mentale Douglas c. W.M., 2016 QCCA 1081, par. 5 A.D. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal, 2023 QCCA 1240, par. 50, 56-57. A.F. c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides, 2021 QCCA 928, par. 50. F.D. c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria), 2015 QCCA 1139. CIUSSS de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal (St. Mary's Hospital Center) c. R.C., 2024 QCCA 1231.

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  2. Pénurie de main-d'œuvre : Révision des ratios de personnel qualifié dans les services de garde

    Dans un contexte où la pandémie continue d’entraîner des répercussions et où l'on observe une pénurie de main-d'œuvre importante, le secteur des services de garde éducatifs à l'enfance fait face à des défis sans précédent. Ces circonstances ont conduit à une réévaluation des normes relatives à la présence de personnel de garde qualifié auprès des enfants. Le présent bulletin vise à mettre en lumière les modifications réglementaires qui ont été apportées au Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance1 (le « RSGEE »), plus précisément en ce qui concerne le ratio de personnel qualifié requis. Ces modifications, formalisées par le biais du Décret 102-20242, sont entrées en vigueur le 1er mars 2024. Il est impératif pour les prestataires de services de garde de prendre connaissance de ces modifications réglementaires, puisqu’elles leur permettront d’optimiser leur fonctionnement et d’améliorer leur capacité à répondre aux défis actuels liés à l’attraction et à la rétention du personnel de garde qualifié. Contexte Le 22 juillet 2021, en raison de l’impact de la pandémie sur les services de garde éducatifs à l'enfance, des modifications ont été apportées aux exigences relatives au ratio de personnel qualifié prévues au RSGEE. En effet, pendant les neuf premiers mois suivant la fin de l'état d'urgence sanitaire, le ratio a été réduit à un (1) membre du personnel qualifié sur trois (3), puis il est passé à un (1) sur deux (2) pendant les douze mois suivants. D’ailleurs, il était attendu que les services de garde retrouvent leur niveau prépandémique, soit un ratio de deux (2) membres du personnel qualifié sur trois (3), le 1er mars 20243. Cependant,face à la pénurie de main-d’œuvre4 qui se fait ressentir notamment dans le milieu des services de garde, le gouvernement a estimé que de nombreux prestataires de services de garde ne seraient pas en mesure de se conformer à un ratio de personnel de garde qualifié de deux (2) sur trois (3), tel qu’exigé initialement à cette date. En conséquence, le législateur a modifié de nouveau le RSGEE afin de tenir compte des enjeux actuels et ainsi prévenir des fermetures ou des interruptions de service. Ces modifications sont résumées ci-dessous. Nouveaux ratios requis pour les services de garde L’article 23 du RSGEE a été modifié afin de réaffirmer la norme générale stipulant que le ratio de qualification du personnel de garde doit être de deux (2) sur trois (3). Cependant, l’article 23.1 du RSGEE prévoit désormais certaines exceptions à la règle du ratio de qualification de garde établie précédemment. Les dérogations notables à souligner sont les suivantes : Un ratio d’un (1) membre du personnel de garde qualifié sur deux (2) pourra être maintenu lors de la prestation des services de garde, et ce, jusqu’au 31 mars 2027; Un ratio d’un (1) membre du personnel de garde qualifié sur trois (3) sera autorisé durant la prestation des services de garde fournis lors de la première et de la dernière heure d’ouverture prévues à la plage horaire du titulaire de permis; Un ratio d’un (1) membre du personnel de garde qualifié sur trois (3) sera également autorisé pendant les cinq (5) premières années suivant : la délivrance initiale d’un permis d’un service de garde; la modification du permis d’un service de garde pour augmenter, de huit (8) ou plus, le nombre maximum d’enfants que le titulaire de permis peut recevoir dans son installation; la conclusion d’une première entente de subvention entre le ministère de la Famille et le titulaire d’un permis de garderie, pourvu que cette entente ait été conclue après le 31 octobre 2023. Conclusion Les modifications présentées ci-dessus, en vigueur depuis le 1er mars 2024, visent à contrer la pénurie de main-d'œuvre qualifiée qui sévit actuellement dans le milieu des services de garde au Québec. Bien que les assouplissements temporaires et les exceptions prévues au ratio de personnel qualifié puissent aider les prestataires de services de garde à garantir la continuité et l'accessibilité de leurs services, il n’en demeure pas moins que les ratios prescrits doivent être respectés.  À cet égard, il convient de souligner que le manquement à ces exigences peut mener à l'imposition de sanctions administratives ou pénales, de même qu’à une décision de suspension, de révocation ou de non-renouvellement de permis par le ministère de la Famille. Les membres de l’équipe Lavery sont à votre disposition pour répondre à vos questions. Les informations et commentaires contenus dans le présent bulletin ne constituent pas un avis juridique. Ils ont pour seul but de permettre au lecteur, qui en assume l’entière responsabilité, de les utiliser à des fins qui lui sont propres. Chapitre S-4.1.1, r. 2. Règlement modifiant le Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance, D. 102-2024 (G.O. II) Règlement modifiant le Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance, D. 879-2021 (G.O.II). Ministère de la Famille, Mémoire au conseil des ministres : Projet de règlement modifiant le Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance, déposé le 20 septembre 2023; ministère de la Famille, Portrait de la main-d’œuvre du réseau des services de garde éducatifs à l’enfance, 2022-2023, octobre 2023.

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  3. La négligence criminelle d’un employeur maintenue en appel

    Dans l’arrêt CFG Construction inc. c. R.1 rendu le 11 août dernier, la Cour d’appel du Québec rejette l’appel du verdict de culpabilité à l’encontre d’un employeur, CFG Construction inc. (« CFG »), pour la mort d’un de ses employés par négligence criminelle. Cet arrêt impose un bref rappel quant à la responsabilité criminelle potentielle d’un employeur selon sa forme juridique, pour le décès de ses employés et les blessures corporelles subies par ceux-ci en milieu de travail. Plus précisément, l’affaire offre un rare éclairage sur le dispositif de sanction à l’encontre d’une « organisation », terme qui s’entend notamment d’une personne morale ou d’une association de personnes2, pour les fautes commises par un « cadre supérieur », le tout en vertu du Code criminel (« C.cr. »). Les faits L’arrêt découle d’un accident mortel survenu le 11 septembre 2012 sur le chantier d’un parc éolien à Saint-Ferréol-les-Neiges et qui impliquait un camion lourd de type porte-conteneurs dont CFG est propriétaire. Dans le virage d’une pente descendante, le camion se renverse dans un fossé, ce qui entraîne la mort de son conducteur, un camionneur de 25 années d’expérience au service de CFG. Au procès, l’accent est mis sur l’entretien du camion et de son système de freinage. Historique de l’affaire Cette affaire a fait l’objet d’une série de décisions. En matière de responsabilité criminelle, la Cour du Québec rend deux décisions portant sur la culpabilité de CFG et la peine qui lui est imposée. Tout d’abord, le 14 février 2019, CFG est déclarée coupable de négligence criminelle ayant causé la mort de l’employé-camionneur. Essentiellement, la Cour estime que l’omission d’entretien du camion par CFG, qui avait l’obligation légale de le faire, constitue un « écart marqué et important de la conduite attendue d’une personne raisonnable selon la nature et les circonstances entourant l’activité en cause »3. Notamment, le camion accidenté présentait 14 défectuosités majeures préexistantes à l’accident, toutes reliées au système de freinage4. De manière déterminante, la Cour établit la responsabilité de CFG par l’entremise de son contremaître-mécanicien, qu’elle considère être un « cadre supérieur » au sens du C.cr., et dont les fautes pouvaient être imputées à CFG en l’espèce5, tel qu’il est expliqué ci-après. Le 3 décembre 2019, CFG se voit imposer une amende de 300 000 $, en plus d’une suramende compensatoire équivalant à 15 % de l’amende, ainsi qu’une probation de trois ans comportant plusieurs conditions. Cette décision met en évidence les facteurs à considérer pour la détermination de la peine dans le cas d’une organisation, de même que la seule peine pouvant lui être imposée, soit une amende sans limite de montant dans le cas d’un acte criminel6. Parmi ces facteurs, le tribunal doit tenir compte des « avantages tirés par l’organisation du fait de la perpétration de l’infraction »7. À cet égard, l’omission d’engager les dépenses nécessaires à l’entretien d’un véhicule conduit par un employé peut équivaloir à un « avantage » tiré par l’employeur-propriétaire au titre de ce facteur « aggravant » quant à la peine8. Finalement, la jurisprudence « ténue » à ce sujet répertorie des amendes dont les montants fixés se situent dans une fourchette de 100 000 $ à 750 000 $ dans diverses situations9. Le dispositif légal prévu au Code criminel : la notion de « cadre supérieur » Dans son arrêt, la Cour d’appel resitue le contexte historique ayant mené à l’introduction d’un dispositif légal au C.cr. dans le but d’encadrer la responsabilité des organisations pour les décès et blessures corporelles en milieu de travail. En effet, en 2003, le Parlement adoptait la Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations) (Projet de loi C-45) en réponse à la tragédie survenue en 1992 à la mine Westray, en Nouvelle-Écosse, où 26 mineurs ont trouvé la mort des suites de la désactivation des détecteurs de méthane au su des superviseurs de la mine10. Parmi les amendements clés au centre de l’affaire CFG, les articles 217.1 et 22.1 du C.cr. prévoient non seulement une obligation légale de prendre les mesures voulues pour empêcher les blessures corporelles par quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche (ou est habilité à le faire), mais également la possibilité d’engager la « participation » d’une organisation à une infraction de négligence en raison des agissements de certaines personnes œuvrant pour elle, soit d’un « agent » ou d’un « cadre supérieur », tels que ces termes sont définis à l’article 2 du C.cr. En l’occurrence, la cause de CFG illustre, dans son ensemble, la manière dont ce dispositif légal s’enclenche dès lors qu’un employé répond à la définition de « cadre supérieur » et que celui-ci s’écarte de la norme de diligence raisonnable attendue dans les circonstances. Tel qu’il a été mentionné précédemment, la culpabilité de CFG fut retenue en raison du rôle important joué par son mécanicien responsable du garage, en ceci qu’il détenait l’autorité pour effectuer les entretiens requis sur les véhicules, y compris sur le camion défectueux11. Ainsi, CFG était dans l’obligation légale de s’assurer que ce dernier avait les compétences pour accomplir son travail et de lui fournir les instructions requises, ainsi qu’un environnement de travail et l’équipement nécessaires12. En somme, il faut retenir que : Le « cadre supérieur » est un « agent jouant un rôle important dans l’élaboration des orientations de l’organisation visée ou assurant la gestion d’un important domaine d’activités de celle-ci, y compris, dans le cas d’une personne morale, l’administrateur, le premier dirigeant ou le directeur financier »13; Cette définition « n’inclut pas seulement les hauts dirigeants et le conseil d’administration d’une compagnie »14; Ultimement, l’employé d’une organisation sera considéré comme un « cadre supérieur », selon les fonctions qu’il exerce et les responsabilités qui lui incombent dans le champ d’activité qui lui a été délégué15. Enfin, la Cour d’appel souligne que l’omission de s’acquitter de l’obligation légale prévue à l’article 217.1 du C.cr. ne crée pas, à elle seule, une infraction16. Dans les circonstances de l’affaire, c’est sa lecture conjointe aux dispositions relatives à la négligence criminelle ayant causé la mort qui permet de fonder la culpabilité de CFG, ce qui constitue la particularité de cette obligation « positive » en droit criminel. À cet égard, l’article 22.1 du C.cr. sert de point de rattachement de la responsabilité de CFG par le mécanisme de « participation » compte tenu du rôle de son mécanicien. Conclusion En définitive, l’affaire CFG témoigne de la réprobation de la négligence criminelle en milieu de travail, en marge des infractions pénales prévues par les lois du travail du Québec. D’ailleurs, on ne saurait confondre la notion de « cadre supérieur » au sens de ces lois et celle codifiée au C.cr. Tandis que la première est d’application restreinte, le « cadre supérieur » en vertu du C.cr. amène le constat d’une définition plus large afin d’y inclure, outre les administrateurs et hauts dirigeants, d’autres personnes prenant une part importante aux orientations ou à la gestion d’un champ d’activité donné au sein de l’organisation. Enfin, il est à noter que, en l’espèce, la culpabilité de CFG aurait pu découler de la conduite combinée de plus d’un agent ou d’un cadre supérieur17. La mesure dans laquelle les procédures en cette matière mettent en cause des personnes physiques, plutôt que des organisations, ou encore s’étendent au point d’atteindre chacune des personnes pouvant être tenues responsables, est une question tombant sous le sceau du pouvoir discrétionnaire de la poursuite. 2023 QCCA 1032. « organisation », article 2 du C.cr. Supra note 1, par. 10 (il est à noter, comme le souligne la Cour d’appel, que le cadre d’analyse de la négligence criminelle a fait l’objet d’une mise à jour à la suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54). R. c. CFG Construction inc., 2019 QCCQ 1244, par. 141. Ibid., par. 255 et 285. R. c. CFG Construction inc., 2019 QCCQ 7449, par. 84 et 149. Article 718.21a) du C.cr. Supra note 6, par. 91. Ibid., par. 163 à 167. Supra note 1, par. 60 et 62. Supra note 4, par. 35. Ibid., par. 381. « cadre supérieur », article 2 du C.cr. Supra note 4, par. 256. Ibid. Supra note 1, par. 73. Ibid., par. 72 ; voir également supra note 6, par. 14.

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