Changements importants en droit des marques de commerce au Canada
Des modifications à la Loi sur les marques de commerce (« Loi ») et au Règlement sur les marques de commerce (« Règlement ») entreront en vigueur le 1er avril 2025. Celles-ci s’inscrivent dans une démarche afin de prévenir des abus, de rendre plus efficaces les procédures relatives aux marques de commerce et de clarifier certaines pratiques. Les principales modifications sont les suivantes : Adjudication des frais Le registraire aura le pouvoir d'accorder des dépens dans les procédures d’opposition de marques de commerce, d’opposition d’indications géographiques et de procédure sommaire en radiation selon l’article 45 de la Loi. L’adjudication des frais ne vise pas à indemniser la partie gagnante. Ce pouvoir est discrétionnaire. Cependant, ces frais sont adjugés uniquement lorsqu’une partie en fait la demande; le montant des droits prescrits n’est pas discrétionnaire; et l’adjudication ne s’applique que dans les quatre (4) cas de figure suivants : Annulation tardive d’une audience, soit moins de 14 jours avant la date d'audience; Comportement déraisonnable qui entraîne des retards ou des frais injustifiés. Divers facteurs sont pris en compte dont le contexte général, la durée et la cause du retard, le comportement général de l’autre partie, l’étendue des frais encourus par l’autre partie. Il peut être jugé que les comportements suivants sont déraisonnables : le fait d’omettre de se présenter à une audience ou au contre-interrogatoire sans en aviser l’autre partie, de maintenir un motif d’opposition qui n’a aucune chance d’être accueilli, de tenir des propos ou d’avoir des gestes irrespectueux, de violer une ordonnance de confidentialité et une série d’actes dont l’ensemble entraîne un comportement déraisonnable; Décision accueillant le rejet d’une demande d’enregistrement de marque de commerce sur la base de la mauvaise foi; Production d’une demande divisionnaire le jour où la demande originale est annoncée ou après l’annonce (sauf si une seule demande divisionnaire est effectuée). Le registraire rend son ordonnance dans la décision sur le dossier au fond, le cas échéant. Le montant des frais peut être substantiel selon le motif pour lequel ils sont accordés. Ainsi, ils peuvent représenter jusqu’à dix (10) fois le droit prévu pour la production de la déclaration d’opposition. Ordonnance de confidentialité Quoique le principe de la publicité des débats judiciaires est la règle qui gouverne le registraire, il est reconnu que dans certains cas des intérêts doivent être protégés. Par conséquent, la partie qui considère qu’il y a risque à exposer certains faits ou documents peut solliciter une ordonnance de confidentialité et doit, dans ce cas, démontrer qu’il ne serait pas suffisant de caviarder ou de décrire de manière plus approximative certaines informations. Les ordonnances pouvant être rendues ne visent pas à limiter l’accès à certaines informations ou à certains documents par la partie adverse, mais visent une limitation d’accès au public. Une ordonnance de confidentialité demeure une mesure d’exception et doit donc être sollicitée avec parcimonie et avant la production de la preuve par celui qui demande l’ordonnance. Si la preuve est déjà soumise, le registraire refusera d’émettre l’ordonnance. On comprendra donc que la preuve ne doit pas être soumise concomitamment à la demande d’ordonnance. Le registraire sera guidé entre autres par les principes de l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 pour déterminer le bien-fondé ou non de la demande d’ordonnance de confidentialité. La publicité doit poser un risque sérieux pour un intérêt public majeur qui serait menacé autrement. L’ordonnance doit de plus être indispensable pour éviter ce risque, et donc aucune alternative raisonnable ne doit exister. De plus, les avantages de l’octroi doivent l’emporter sur les conséquences négatives. Cet arrêt de la Cour suprême nous enseigne aussi qu’une preuve directe n’est pas exigée pour démontrer la menace sérieuse de l’intérêt public important, car il est possible d’établir l’existence d’un préjudice sur la base d’inférences logiques. Ce processus n’a pas d’effet sur l’échéancier du dossier, mais il est possible de demander une prolongation avant ou en même temps que la demande de confidentialité. Si l’autre partie ne consent pas, le registraire émettra une lettre pour demander des observations à l’autre partie. Si aucune réponse n’est soumise, le registraire décidera. Tous ces échanges seront publics, il ne faut donc pas y faire état de la preuve. Cette ordonnance peut être annulée ou modifiée. En cas d’inexécution de l’ordonnance, la partie lésée devra prendre un recours devant la Cour fédérale. Lorsqu’il y a appel de la décision du registraire qui comportait une telle ordonnance, celui qui en bénéficie devra impérativement demander une ordonnance de confidentialité à la Cour fédérale. Gestion d’instance Quoique le registraire rende déjà des décisions de gestion d’instance pour des fins d'efficacité et d'efficience, les modifications au Règlement codifient ce pouvoir qu’il exerce compte tenu des circonstances et de l’équité afin d’aider à l’avancement des cas complexes relativement aux procédures d’opposition de marques de commerce, d’opposition à des’indications géographiques et de procédure sommaire en radiation selon l’article 45 de la Loi. Ces « procédures de gestion de cas » permettent au registraire de fixer ou de modifier le délai ou la manière dont une étape doit être franchie, de planifier les étapes, de traiter des aspects confidentiels des dossiers, d’entendre ensemble des dossiers connexes, d’organiser des conférences téléphoniques, et autres. Le registraire doit tenir compte des circonstances en l’espèce, dont : le niveau d'intervention susceptible d'être exigé par la procédure pour que les questions soient traitées de façon efficace et efficiente; la nature et l'étendue de la preuve; la complexité de la procédure; le fait que les parties sont représentées ou non; le nombre de dossiers connexes; le fait qu'un retard important a eu lieu ou est prévu dans le déroulement de la procédure. Marques officielles Les marques officielles sont un type de marque possédant une étendue de protection très grande au Canada. Une fois une telle marque publiée, aucune personne ne peut utiliser ou enregistrer, sans le consentement du titulaire de la marque officielle, une marque identique ou susceptible d'être confondue avec la marque officielle pour tous produits ou services. De plus, les marques officielles n'exigent pas de renouvellement, elles peuvent donc exister indéfiniment. Pour éviter de bloquer de nouvelles demandes de manière indue, un nouveau mécanisme est prévu par lequel le registraire peut, de sa propre initiative ou sur demande, désactiver des marques officielles si le titulaire de la marque n'est plus une « autorité publique » ou a cessé d'exister. Des droits sont applicables pour une telle requête. Retrait d’une opposition Une plus grande latitude est donnée au registraire si, de son avis, un opposant fait défaut de poursuivre l’opposition à une marque de commerce. Le registraire pourra, après avoir donné avis du défaut à l’opposant, considérer l’opposition comme retirée, à moins qu’il ne soit remédié au défaut dans le délai précisé dans l’avis. Procédures judiciaires Un prérequis est maintenant nécessaire pour intenter un recours devant la Cour fédérale, dans certaines circonstances. Le titulaire de la marque doit démontrer son emploi avant de faire valoir ses droits devant les tribunaux lorsqu’un recours est produit au cours de la période de trois ans commençant à la date d’enregistrement de la marque de commerce, dans les cas où ce recours repose sur un acte de violation d’une marque enregistrée, ou en dépréciation de son achalandage. Ainsi, le propriétaire de la marque déposée au cours des trois premières années ne peut obtenir réparation que si la marque de commerce a été utilisée au Canada au cours de cette période ou que le défaut d’emploi, au Canada, était attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient. Appel de la décision du registraire La nouvelle disposition reconnaît que la cour peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi lorsqu’elle permet la présentation d’une preuve qui n’a pas été fournie devant le registraire. Cette disposition requiert une permission de la cour pour la production de preuve en appel, afin d’éviter qu’une preuve minimale soit produite en première instance et bonifiée en appel. L’administration de la justice est mieux desservie lorsque la cour juge pleinement d’un dossier dès la première occasion. Mesures transitoires Des mesures transitoires devraient être publiées le 15 avril ou après le 1er avril 2025 par le registraire. Conclusion En conclusion, les changements imminents à la Loi et au Règlement, qui entreront en vigueur le 1er avril 2025, représentent une étape significative vers l'amélioration du cadre juridique entourant les marques de commerce au Canada, répondant ainsi aux besoins croissants de transparence et d'efficacité dans ce domaine. Il est essentiel pour les entreprises et les professionnels du secteur de se familiariser avec ces changements afin de s'assurer de leur conformité et d'optimiser la gestion de leurs marques de commerce.