Le rôle de l’expert selon le nouveau Code de procédure civile
L’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile, le 1er janvier 2016, a créé des incertitudes pour les plaideurs. Le rôle des experts dans les litiges n’a pas échappé aux questionnements soulevés. Nous pensons particulièrement à la mise en avant-plan de l’expertise commune et au dépôt du rapport de l’expert pour tenir lieu de son témoignage. En outre, d’autres dispositions pouvaient ébranler tant les plaideurs que les justiciables en ce qu’elles semblaient mettre à mal le secret professionnel et le privilège relatif au litige. Il convient dès à présent de citer le deuxième alinéa de l’article 235 C.p.c., qui porte sur les devoirs de l’expert, ainsi que le deuxième alinéa de l’article 238 C.p.c., qui traite des témoignages recueillis par l’expert : « 235. L’expert est tenu, sur demande, d’informer le tribunal et les parties de ses compétences professionnelles, du déroulement de ses travaux et des instructions qu’il a reçues d’une partie; il est aussi tenu de respecter les délais qui lui sont impartis. Il peut, si cela est nécessaire pour l’accomplissement de sa mission, demander des directives au tribunal; cette demande est notifiée aux parties. » « 238. Si l’expert recueille des témoignages en cours d’expertise, ils sont joints au rapport et ils font partie de la preuve. » Une décision récente de la Cour supérieure, dans l’affaire SNC Lavalin inc. c. ArcelorMittal Exploitation minière Canada (2017 QCCS 737), vient nous éclairer sur la portée de ces dispositions et sur l’interprétation qui leur est donnée par les tribunaux. Le jugement L’honorable Jean-François Michaud se prononce sur une demande pour trancher des objections ayant pour assises le secret professionnel et le privilège relatif au litige. Dans un premier temps, SNC-Lavalin inc. (« SNC ») voulait obtenir « les lettres d’engagement des experts et les instructions qui leur ont été transmises pour l’exécution de leur mandat ». ArcelorMittal Exploitation minière Canada et ArcelorMittal Mines Canada inc. (« Arcelor ») soulevaient une objection à l’encontre de ces demandes en invoquant principalement le secret professionnel. Arcelor aurait également pu invoquer le privilège relatif au litige. En effet, avant 2016, toutes les communications entre l’avocat et l’expert mandaté tombaient dans la sphère de la confidentialité à laquelle la partie adverse n’avait pas accès. Pour les plaideurs, il s’agissait de leur jardin secret. Le juge Michaud rejette tout de même l’objection d’Arcelor et fait droit à la demande de SNC pour deux raisons. Tout d’abord, les experts décrivaient leur mandat dans leur rapport. Cela constitue une renonciation au secret professionnel, du moins en ce qui a trait à cette description de mandat. Selon le juge, ce raisonnement s’applique aux instructions reçues par la suite qui ont pu modifier la portée du mandat. Ensuite, le juge est d’opinion que l’article 235 C.p.c. vient porter atteinte au secret professionnel et au privilège relatif au litige, précisant toutefois qu’il s’agit d’une atteinte raisonnable, « justifiée par le rôle impartial de l’expert et par l’objectif de la recherche de la vérité ». Le juge mentionne au passage que l’article 235 C.p.c. s’applique même si les rapports d’experts visés avaient été terminés avant l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile, cet article étant d’application immédiate en vertu des règles transitoires. Enfin, le juge précise, quant aux instructions subséquentes, qu’Arcelor sera tenue de les transmettre à SNC, mais seulement celles qui concernent la portée du mandat, excluant tout autre échange entre les experts et Arcelor ou leurs avocats. Dans un deuxième volet de sa demande, SNC requiert d’Arcelor les documents consultés par les experts « sur lesquels ils ont fondé leur opinion ». Ce qui est principalement visé par cette demande est des entrevues accordées aux experts par certains employés d’Arcelor, lesquelles sont invoquées dans leur rapport d’expertise. Le tribunal, se basant en cela sur un corpus jurisprudentiel précédant la réforme, conclut que SNC a le droit d’obtenir ces entrevues si elles ont été enregistrées et/ou transcrites étant donné que le rapport des experts y fait référence. Toutefois, si ces entrevues n’ont donné lieu qu’à des notes prises par les experts, celles-ci sont protégées par le secret professionnel et le privilège relatif au litige; par conséquent, Arcelor n’a aucune obligation de les communiquer à la partie adverse. Le juge Michaud écarte par ailleurs l’article 238 C.p.c. qui, comme nous l’avons vu, oblige les experts à joindre à leur rapport les témoignages recueillis en cours d’expertise. Sa décision est motivée par le fait que cette disposition n’existait pas au moment où ces entrevues ont été menées et que l’article 238 C.p.c. ne devrait pas avoir d’effet rétroactif. Sans vouloir longuement élaborer sur le droit transitoire, qui n’est pas l’objet principal de ce texte, nous nous expliquons mal pourquoi cet article est traité différemment de l’article 235 C.p.c. Le juge termine en précisant qu’il ordonnera éventuellement une rencontre entre les experts en vertu de l’article 240 C.p.c., et ce, dans le but « de déterminer les points qui les opposent ». Conclusion Il est certain que ce jugement, et les dispositions sur lesquelles il est fondé, chamboulent la façon de travailler des avocats oeuvrant dans le domaine du litige civil. Ceux-ci, et leurs clients, devront vraisemblablement s’adapter à cette nouvelle réalité. Comme cela a été mentionné, cette nouvelle philosophie heurte de plein fouet le secret professionnel et le privilège relatif au litige, mais également le principe voulant que chaque partie soit maître de sa preuve. Toutefois, force est de constater que les débats d’experts entretiennent les litiges davantage qu’ils les dénouent. Ce sera aux avocats d’être scrupuleux dans le cadre de leurs communications avec les experts afin d’être très clairs quant aux mandats et instructions donnés à ces derniers.