Bien que la fiducie soit un outil précieux de planification financière, fiscale et successorale, permet-elle de mettre certains biens « à l’abri » des règles d’ordre public qui s’appliquent en matière familiale ?
Qu’est-ce qu’une fiducie ?
La fiducie est une disposition juridique permettant à une personne de transférer la propriété d’un ou de plusieurs de ses biens à une fiducie pour que celle-ci les administre dans l’intérêt d’un ou de plusieurs bénéficiaires. Les biens transférés forment donc un patrimoine autonome et distinct de celui de l’auteur du transfert.
Même s’il existe plusieurs types de fiducies, celle créée pour protéger ses actifs contre des créanciers futurs est appelée fiducie de protection d’actifs. Cependant, le transfert de certains biens du patrimoine familial ou de la société d’acquêts dans une fiducie pendant le mariage ou l’union civile ne soustrait pas automatiquement ceux-ci aux règles du Code civil du Québec.
Les effets obligatoires du mariage ou de l’union civile... vous n’y échapperez pas!
Tout comme les biens transférés dans une société par actions, ceux transférés à la fiducie ne font plus partie du patrimoine personnel de l’auteur du transfert. Lorsque s’ouvre le droit au partage du patrimoine familial, par exemple, lors d’un divorce, est-ce que l’époux(se) peut encore faire valoir son droit de créance de la moitié de la valeur nette de la résidence familiale dont la propriété a été transférée à la fiducie ? Qu’advient-il d’un bien qui aurait fait partie du patrimoine familial ou de la société d’acquêts, n’eût été son transfert dans une fiducie ?
Le droit de la famille prévoit plusieurs effets obligatoires du mariage, comme la constitution par le mariage d’un patrimoine familial composé de certains biens appartenant à l’un ou l’autre des époux, soit les résidences de la famille ou les droits qui en confèrent l’usage, les meubles ornant ces résidences et les véhicules qui servent à l’usage de la famille. Même si en pratique, l’outil fiduciaire peut être utilisé pour masquer la réalité des actifs et contourner des règles juridiques en matière familiale, les tribunaux peuvent avoir recours à certains mécanismes juridiques afin d’empêcher cette tentative de contournement des règles qui visent à protéger le conjoint vulnérable.
Les tribunaux peuvent lever le voile fiduciaire, c’est-à-dire de considérer que le patrimoine de la fiducie n’est pas distinct de l'auteur du transfert des biens. Ce mécanisme a pour effet de ramener dans le patrimoine du conjoint qui est l'auteur du transfert les biens qui auraient autrement composé le patrimoine familial ou la société d’acquêts et qui ont fait l’objet d’un transfert à la fiducie. Ce procédé permettrait alors le partage de la valeur de ces biens entre les époux ou les conjoints unis civilement.
Les tribunaux accorderont une grande importance à la façon dont les biens transférés à la fiducie ont été employés durant le mariage, à la façon dont les parties ont agi au moment de la création de la fiducie et durant son existence ou aux ententes souscrites par eux.
Des leçons à tirer ?
Il faut retenir que c’est la nature de la preuve administrée qui permettra au tribunal de déterminer si le conjoint a créé la fiducie dans le but de se soustraire aux effets obligatoires du mariage ou de l’union civile. Lors de la création de la fiducie, il pourrait être opportun de demander un mémorandum fiscal expliquant le contexte et le but poursuivi par celle-ci, par exemple la mise en place dans un contexte de gel successoral. Le préambule de l’acte de fiducie devient également un outil précieux lorsque vient le temps d’analyser l’intention des parties au moment de la constitution de la fiducie.
Bien que la fiducie puisse s’avérer un mécanisme intéressant, notamment pour des motifs de protection d’actifs, il faut garder à l’esprit que celle-ci doit être utilisée dans le respect des règles d’ordre public en matière familiale.