Les contrats standards de courtage immobilier prévoient généralement l’obligation pour le vendeur de payer une commission au courtier dans l’éventualité où une entente visant à vendre l’immeuble intervient pendant la durée du contrat de courtage ou dans le cas où le vendeur empêche volontairement la libre exécution du contrat.
Il n’est pas rare que, même en l’absence d’une vente effective, les courtiers immobiliers réclament le paiement de la commission prévue au contrat de courtage. Ce fut le cas dans l’affaire Société en commandite Place Mullins c. Services immobiliers Diane Bisson inc.1, laquelle a récemment fait l’objet d’une décision de la Cour suprême.
LES FAITS
Dans cette affaire, Place Mullins a mandaté une entreprise de courtage pour la vente de son immeuble par le biais d’un contrat de courtage exclusif établi au moyen d’un formulaire standard de l’Association des courtiers et agents immobiliers du Québec (aujourd’hui remplacée par l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec). Selon les termes du contrat de courtage conclu en septembre 2007, qui sont par ailleurs au même effet que ceux du formulaire standard actuel, l’obligation de Place Mullins de payer la commission à l’entreprise de courtage prend naissance, entre autres, lorsqu’une « entente visant à vendre l’immeuble » est conclue pendant la durée du contrat ou dans l’éventualité où « un acte volontaire du vendeur empêche la libre exécution du contrat ».
Une promesse d’achat conditionnelle est initialement intervenue entre Place Mullins et M. Douek, le promettant-acheteur, par l’entremise de l’entreprise de courtage. Cette promesse d’achat prévoyait la possibilité pour M. Douek de révoquer la promesse s’il n’était pas entièrement satisfait à la suite de la vérification diligente de l’immeuble. La vérification ayant révélé une potentielle contamination du sol, M. Douek s’est délié de la promesse initiale et a soumis une nouvelle offre conditionnelle à ce que Place Mullins décontamine à ses frais. Place Mullins a refusé de décontaminer à ses frais et la vente de l’immeuble ne s’est pas concrétisée.
L’entreprise de courtage réclame à Place Mullins le montant de la commission malgré le fait que l’immeuble n’ait pas été vendu pendant la durée du contrat.
QUESTIONS EN LITIGE
Le litige soulève deux questions :
- Est-ce qu’une « entente visant à vendre l’immeuble » au sens du contrat de courtage a été validement conclue ?
- Place Mullins a-t-elle volontairement empêché la libre exécution du contrat de courtage ?
DÉCISIONS DES INSTANCES INFÉRIEURES
La Cour supérieure du Québec a rejeté la réclamation de l’entreprise de courtage tandis que dans une décision partagée, la Cour d’appel du Québec a infirmé ce jugement et a tranché en faveur de l’entreprise de courtage.
ANALYSE DE LA COUR SUPRÊME
Quant à la première question, le juge Wagner, s’exprimant au nom de la Cour suprême, indique qu’une vente n’est pas nécessaire pour que le courtier ait droit à la commission puisque le contrat prévoit qu’il y a droit dès la conclusion d’une « entente visant à vendre l’immeuble ». Il précise que le libellé de la clause est suffisamment large pour englober une promesse d’achat acceptée, mais les obligations qui découlent d’une telle promesse doivent devenir certaines, c’est-à-dire inconditionnelles.
La Cour est d’avis que tant et aussi longtemps qu’une promesse d’achat ne lie pas inconditionnellement le promettant-acheteur et le promettant-vendeur et qu’il n’est pas encore possible à l’un ou à l’autre d’exercer l’action en passation de titre, il n’y a pas d’« entente visant à vendre l’immeuble ». En l’espèce, puisque M. Douek avait le droit de révoquer le contrat s’il n’était pas entièrement satisfait des résultats de la vérification diligente, la promesse d’achat demeurait conditionnelle. En transmettant une mise en demeure à Place Mullins lui réitérant son intérêt à acheter l’immeuble, mais à la condition qu’elle procède à la décontamination à ses frais, M. Douek se déliait de la promesse initiale et soumettait une nouvelle offre d’achat, qui n’a par ailleurs jamais été acceptée.
La deuxième question repose sur l’argument de l’entreprise de courtage à l’effet que Place Mullins, en refusant de décontaminer l’immeuble, a empêché la réalisation du contrat de courtage. La Cour mentionne que, pour réussir, l’entreprise de courtage devait notamment prouver la faute de Place Mullins ayant empêché l’exécution du contrat de courtage.
Pour statuer sur l’existence ou non d’une faute, la Cour se penche sur les obligations auxquelles était tenue Place Mullins en vertu de la promesse d’achat, d’une part, et en vertu du contrat de courtage, d’autre part.
Elle en vient à la conclusion qu’aux termes de la promesse d’achat, Place Mullins n’avait ni l’obligation de décontaminer la propriété, ni l’obligation de négocier à nouveau les conditions de la promesse d’achat initiale.
Quant au contrat de courtage, il est vrai que celui-ci stipulait que Place Mullins avait l’obligation de fournir un immeuble conforme aux lois et aux règlements relatifs à la protection de l’environnement. La Cour précise toutefois que cette disposition du contrat de courtage ne peut, en l’absence de preuve de mauvaise foi, étayer à elle seule la prétention que le vendeur a volontairement empêché la libre exécution de ce contrat. La Cour supérieure et la Cour d’appel ayant toutes deux reconnu la bonne foi de Place Mullins et le fait qu’elle ignorait la contamination au moment de la conclusion du contrat de courtage, on ne peut conclure qu’elle a, par une faute de sa part, empêché la réalisation de la vente.
Plus encore, la Cour rappelle que contrairement aux prétentions de l’entreprise de courtage, les déclarations du vendeur dans le contrat de courtage ne sont pas des garanties. Le régime des garanties légales ne pouvait intervenir puisqu’aucune vente n’a été conclue. Selon l’article 1396 C.c.Q., la promesse de conclure un contrat n’équivaut pas au contrat envisagé. Ainsi, la promesse d’achat acceptée n’équivaut pas à la vente et n’engendre aucun de ses effets.
En somme, Place Mullins n’a pas commis de faute relativement aux obligations qui lui incombaient tant en vertu de la promesse d’achat que du contrat de courtage. Elle n’a donc pas volontairement empêché la libre exécution de ce contrat de courtage. L’entreprise de courtage n’a donc pas droit à la commission.
REMARQUES
Selon la Cour, le vendeur était de bonne foi parce qu’il ignorait la contamination lors de la conclusion du contrat de courtage. Si, toutefois, le vendeur avait été au courant de la contamination, on l’aurait peut-être considéré de mauvaise foi et il aurait pu être condamné au paiement de la commission en raison de la stipulation au contrat de courtage à l’effet qu’il avait l’obligation de fournir un immeuble conforme aux lois et règlements relatifs à la protection de l’environnement.