Bulletin trimestriel d’information juridique à l’intention des professionnels de la comptabilité, de la gestion et des finances, Numéro 25

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SOMMAIRE
La fiducie entre vifs discrétionnaire : toujours pertinente
Revue des pièges les plus fréquents en matière de fiducie


LA FIDUCIE ENTRE VIFS DISCRETIONNAIRE : TOUJOURS PERTINENTE
Emmanuel Sala et Luc Pariseau

Bien que le Plan budgétaire fédéral 2014 ait restreint certaines mesures de planification fiscale familiale impliquant des fiducies entre vifs, la pertinence de ces fiducies demeure. Outre les visées de protection d’actifs, de minimisation des impôts payables au décès ou de purification pour les fins de l’admissibilité des actions à la déduction pour gain en capital de 800 000 $, la pertinence d’une fiducie en terme de fractionnement des revenus et des gains en capital avec des enfants mineurs demeure une visée déterminante dans l’analyse coût-bénéfice de l’implantation d’une telle structure.

Le présent article aborde les techniques de fractionnement de revenu à éviter et celles qui, lorsqu’elles sont bien structurées et documentées, respectent la législation fiscale fédérale et provinciale du Québec.

Sommairement, une structure de fractionnement permet d’attribuer un revenu ou un gain en capital à un enfant mineur et ainsi tirer avantage de ses taux d’imposition progressifs et de ses crédits d’impôt personnels.

TECHNIQUES DE FRACTIONNEMENT AVEC DES ENFANTS MINEURS SÉVÈREMENT SANCTIONNÉES PAR LA LÉGISLATION FISCALE

Revenus d’entreprise ou de location attribués à un enfant mineur, en certaines circonstances

Le revenu d’une fiducie tiré d’une entreprise ou de la location de biens qui est attribué à un enfant mineur est assujetti à un impôt spécial calculé au taux marginal le plus élevé (« Impôt spécial du mineur ») lorsqu’une personne qui lui est « liée » soit (i) y prend régulièrement une part active, soit (ii) détient une participation dans la société de personnes à partir de laquelle la fiducie tire indirectement un tel revenu.

Dividendes imposables reçus de certaines sociétés privées

Les dividendes imposables relatifs à des actions de sociétés canadiennes et étrangères non cotées à une « bourse de valeur désignée » (à l’exception d’une société de placement à capital variable) (« Société privée ») attribués par une fiducie à un enfant mineur sont également assujettis à l’Impôt spécial du mineur.

Gain en capital imposable réalisé sur certaines ventes d’actions de sociétés privées

Un enfant mineur qui se voit attribuer par une fiducie un gain en capital imposable provenant de dispositions d’actions d’une Société privée en faveur d’une personne avec laquelle l’enfant mineur a un « lien de dépendance » est réputé recevoir le double de cette somme à titre de dividende imposable autre qu’un « dividende déterminé ». Le dividende imposable réputé sera assujetti à l’Impôt spécial du mineur.

TECHNIQUES DE FRACTIONNEMENT AVEC DES ENFANTS MINEURS PERMISES PAR LA LÉGISLATION FISCALE

À l’heure actuelle, les dividendes reçus par une fiducie de sociétés cotées à une « bourse de valeur désignée » et attribués à des enfants mineurs ne sont pas assujettis à l’Impôt spécial du mineur. Un choix fiscal est effectué afin que les dividendes en question conservent leur nature lors de l’attribution aux bénéficiaires mineurs et une résolution écrite annuelle est validement préparée et signée par les fiduciaires à cet égard.

Les gains en capital réalisés par une fiducie sur la vente de biens à une personne avec laquelle l’enfant mineur n’a pas de lien de dépendance, que le bien en question soit des actions de sociétés privées ou de sociétés cotées sur une bourse de valeur, ou encore des biens immeubles, peuvent également lui être attribués sans que l’Impôt spécial du mineur trouve application. Lorsque le bien sur lequel le gain en capital est réalisé consiste en des « actions admissibles de petite entreprise », la déduction pour gains en capital de 800 000 $ de l’enfant mineur pourrait être disponible.

LE FINANCEMENT DE LA FIDUCIE DANS UN CONTEXTE DE FRACTIONNEMENT AVEC DES ENFANTS MINEURS

Le succès d’une structure de fractionnement repose en grande partie sur la capacité de la fiducie à financer ses investissements. Un prêt effectué directement par un parent ou indirectement par le biais d’une société de gestion s’avère être une solution à la fois simple et efficiente sur le plan fiscal.

Les mesures visant à décourager le fractionnement de revenu, en l’occurrence certaines règles d’attributions et l’Impôt spécial du mineur, ne s’appliquent pas aux revenus générés à partir d’un prêt consenti à la fiducie à un taux d’intérêt égal ou supérieur au taux d’intérêt prescrit en vigueur au moment du prêt si et seulement si les intérêts sont payés avant le 31 janvier de chaque année. Également, la règle d’attribution communément appelée « 75(2) » et qui consiste à réattribuer le revenu provenant d’un bien à la personne dont le bien en question a été reçu ne devrait pas s’appliquer à un tel arrangement.

À l’heure actuelle, considérant que le taux prescrit connaît son bas historique, soit 1 %, et que la durée d’un tel prêt n’est pas limitée dans le temps, le fractionnement de revenu avec des enfants mineurs par l’intermédiaire d’un prêt à une fiducie devrait se traduire par des économies d’impôt non négligeables, sous réserve bien sûr du niveau de rendement obtenu sur les investissements effectués par la fiducie.

PIÈGE À ÉVITER

Il est important de garder à l’esprit qu’attribuer un revenu à des enfants mineurs par le biais d’une fiducie implique que ce soit ces derniers qui devront bénéficier des sommes ainsi attribuées. À cet égard, afin que les enfants puissent être considérés comme étant les véritables bénéficiaires des revenus attribués par la fiducie, il faut qu’ils puissent en disposer complètement à leur profit. Parmi les circonstances scrutées par les autorités fiscales, on retrouve notamment (i) la manière dont ces revenus ont été reçus, (ii) le contrôle sur ceux-ci (iii) les obligations et les restrictions quant à la manière d’en disposer qui s’y rattachent et (iv) l’usage qu’en font les enfants mineurs et les personnes qui en retirent réellement les bénéfices.

Le risque que courent les contribuables en matière de fractionnement de revenu ou de gain en capital avec des enfants mineurs est que les autorités fiscales soient d’avis que les enfants ont agi à titre de parties accommodantes, soit en tant que mandataires ou de prête-noms des parents. Le succès d’une opération de fractionnement avec des enfants mineurs repose donc sur l’existence d’une documentation adéquate prouvant que les sommes attribuées à un enfant mineur et qui sont par la suite remboursées aux parents représentent le remboursement des dépenses payées par ces derniers pour le bénéfice de l’enfant.

L’utilisation d’une fiducie à des fins d’investissement et de fractionnement avec des enfants mineurs comprend son lot de défis, mais demeure foncièrement intéressante selon les circonstances. La mise en œuvre d’une telle structure doit être réglée au quart de tour par votre fiscaliste.


REVUE DES PIEGES LES PLUS FREQUENTS EN MATIERE DE FIDUCIE
Carolyne Corbeil et Emmanuel Sala

Pour cette édition spéciale de Ratio portant sur les fiducies, nousproposons une revue des piègesles plus répandus en matière deplanification mettant en cause unefiducie familiale discrétionnaire.

CONSTITUANT ÉGALEMENT BÉNÉFICIAIRE DE LA FIDUCIE : PERTE DU ROULEMENT À LA SORTIE

Il est encore beaucoup trop fréquent de constater que le constituant de la fiducie, c’est-à-dire la personne ayant fait un don irrévocable en faveur de la fiducie dans le but de constituer un patrimoine fiduciaire autonome et distinct, est également désigné à titre de bénéficiaire de cette fiducie. Cette erreur se produit généralement lorsque l’on désigne des catégories de personnes à titre de bénéficiaire et que le lien entre le constituant et le contribuable voulant mettre en place la fiducie n’est pas clairement identifié. Par exemple, l’acte de fiducie désigne le père et la mère du contribuable ainsi que le père et la mère du conjoint du contribuable à titre de bénéficiaires alors que le beau-père du contribuable agit à titre de constituant. Cette erreur pourtant flagrante engendre alors l’application du paragraphe 75(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu LIR ») qui a notamment pour effet d’empêcher que les biens de la fiducie soient distribués sans incidence fiscale aux bénéficiaires de la fiducie autre que le constituant (ci-après, « Roulement à la sortie »).

TRANSFERT D’UN BIEN À UNE SOCIÉTÉ DONT LA FIDUCIE EST ACTIONNAIRE : INTÉRÊT RÉPUTÉ

Une opération de gel de valeur doit généralement être effectuée lorsque l’on planifie insérer une fiducie au sein d’une structure organisationnelle existante. L’opération consiste à échanger toutes les actions participantes émises par la société (généralement, les actions ordinaires) contre des actions privilégiées rachetables à une valeur correspondant la juste valeur marchande de la société, immédiatement avant l’opération de gel (« Actions privilégiées »). La fiducie pourra ainsi souscrire des actions participantes de la société pour une contrepartie nominale. Du point de vue juridique, un contribuable donné aura « transféré » à la société des actions participantes en contrepartie d’actions privilégiées (ci-après, les « Actions transférées »). 

Lorsqu’une fiducie est créée au bénéfice du conjoint et/ou des enfants mineurs de l’auteur du gel dans le but de lui permettre de fractionner son revenu et qu’aucune clause dans l’acte de fiducie ne restreint l’attribution de revenu au conjoint et aux enfants mineurs, la règle d’attribution prévue au paragraphe 74.4(2) de la LIR peut trouver application, à moins que la société puisse être considérée constituer une « société exploitant une petite entreprise »1.

Généralement, cette règle d’attribution a pour effet d’imposer dans les mains de l’auteur du gel un montant d’intérêt calculé au taux prescrit sur la valeur des Actions transférées. Cet intérêt attribué à l’auteur du gel peut néanmoins être réduit du montant d’un dividende imposable déclaré et versé par la société à l’égard des Actions privilégiées.

À moins d’avoir la certitude que la société sera en tout temps une « société exploitant une petite entreprise », il est recommandé de prévoir le versement d’un dividende imposable sur les Actions privilégiées calculé au taux prescrit afin d’éviter que les effets de cette règle d’attribution se matérialisent.

PRÊT SANS INTÉRÊT EN FAVEUR DE LA FIDUCIE : PERTE DU ROULEMENT À LA SORTIE ET APPLICATION DES RÈGLES D’ATTRIBUTION

Il est très fréquent que la personne fiduciaire et bénéficiaire d’une fiducie familiale constituée au bénéfice de sa famille (ci-après, « Fiduciaire/ Bénéficiaire ») transfère des fonds en faveur de la fiducie afin que celle-ci acquière des actions ou d’autres biens ou encore règle certaines dépenses. En fait, il importe de rappeler que la fiducie possède un patrimoine distinct et autonome de celui du Fiduciaire/ Bénéficiaire et qu’aucun transfert de fonds ne doit généralement intervenir entre ce dernier et la fiducie. À moins qu’un tel transfert ne constitue un véritable prêt au sens du droit applicable (bona fide loan), la règle d’attribution prévue au paragraphe 75(2) de la LIR trouvera généralement application et tous les revenus ou gains en capital en résultant seront réattribués directement au Fiduciaire/Bénéficiaire. L’objectif de fractionnement avec le conjoint et/ou les enfants majeurs du Fiduciaire/ Bénéficiaire ne sera alors pas atteint. De plus, si le paragraphe 75(2) de la LIR trouve application, la fiducie perdra le Roulement à la sortie en faveur des enfants mineurs (c’est-à-dire les bénéficiaires autres que le Fiduciaire/Bénéficiaire et son conjoint).

De surcroît, lorsqu’il est raisonnable de considérer que le revenu gagné par la fiducie à même les fonds ainsi prêtés est par la suite attribué et payé aux enfants mineurs et/ou au conjoint du Fiduciaire/Bénéficiaire, ces prêts devraient être assortis du taux d’intérêt prescrit. À défaut, certaines règles d’attributions s’appliqueront généralement de sorte que le revenu gagné par la fiducie à partir des fonds prêtés et attribués aux enfants mineurs et/ou au conjoint du Fiduciaire/Bénéficiaire sera attribué à ce dernier.

ACTIONS VOTANTES D’UNE SOCIÉTÉ DÉTENUES PAR LA FIDUCIE : RISQUE D’ACQUISITION DE CONTRÔLE AUX FINS DE LA LIR

Lorsque les actions d’une société conférant la majorité des droits de vote, soit des actions permettant d’élire la majorité du conseil d’administration de la société, sont détenues par une fiducie, la jurisprudence a établi que ce sont les fiduciaires qui contrôlent les actions de la société et ceux-ci détiennent le contrôle de droit (de jure) de la société. Dans de telles circonstances, la position des autorités fiscales est généralement qu’il y aura acquisition de contrôle de la société aux fins de la LIR lors du remplacement d’un des fiduciaires, à moins que chacun de ceux-ci n’ait un lien de dépendance entre eux. Une acquisition de contrôle à un moment donné peut avoir des conséquences fâcheuses pour la société, notamment au niveau de l’utilisation de ses pertes réalisées avant ce moment, l’imposition d’une fin d’année immédiatement avant celui-ci et certaines restrictions au niveau des dépenses et des crédits d’impôt à l’investissement en matière de recherche scientifique et développement expérimental.

En conséquence, il est généralement préférable que la fiducie ne détienne que des actions participantes sans droit de vote.

NON-DOCUMENTATION DES TRANSACTIONS METTANT EN CAUSE LA FIDUCIE : PROCESSUS DE VÉRIFICATION AVEC LES AUTORITÉS FISCALES LABORIEUX

Il est impératif que la fiducie documente les transactions auxquelles elle intervient dans l’année et mettre ainsi à jour son « livre » de fiducie, tout comme le font les sociétés. Cette pratique permet de faire le suivi, de qualifier les transactions et les distributions de la fiducie (ex. démontrer qu’un prêt véritable a été contracté et remboursé) et de s’assurer de leur traitement fiscal. Dans le cas d’une vérification, le livre de la fiducie à jour sera un outil important qui permettra de justifier le traitement fiscal des opérations de la fiducie.

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1 Généralement, afin d’être considérée comme une « société exploitant une petite entreprise », la totalité ou presque de la valeur des actifs de la société doit être attribuable à des actifs utilisés principalement dans une entreprise que la société exploite activement au Canada; paragraphe 248(1) « société exploitant une petite entreprise ».


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