La Cour d’appel s’est récemment penchée sur l’étendue du devoir du salarié de mitiger ses dommages pour salaire perdu en vertu du paragraphe 2 de l’article 128 de la Loi sur les normes du travail (« LNT »).1
Dans cette affaire, la Cour d’appel accueille en partie l’appel du salarié d’une décision de la Cour supérieure ayant rejeté sa demande de révision judiciaire à l’encontre de deux décisions de la Commission des relations du travail (« CRT »). Dans l’une de ces décisions, la CRT avait notamment refusé d’accorder une indemnité au salarié en vertu de l’article 128 (2) LNT, parce qu’elle considérait que le salarié avait manqué à son obligation de mitiger ses dommages en omettant de se chercher un emploi.
Bien qu’elle reconnaisse comme raisonnable l’interprétation généralement donnée par la CRT au paragraphe 2 de l’article 128 LNT, qui incorpore implicitement une obligation de mitigation, la Cour d’appel estime qu’en l’espèce l’application de cette règle par la CRT était déraisonnable.
La Cour d’appel rappelle que la mitigation des dommages est une obligation de moyen dont le test est objectif : il faut examiner la conduite qu’aurait empruntée une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Ainsi, contrairement à la croyance populaire, le salarié congédié n’a pas une obligation de prendre tous les moyens que l’on puisse imaginer pour réduire au minimum ses dommages. Il doit plutôt y consacrer des « efforts raisonnables ».
La Cour d’appel énonce également que pour tenir compte de l’absence de mitigation, celle-ci doit avoir causé l’aggravation du préjudice subi et ce, conformément à l’article 1479 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Pour illustrer ce principe, elle note qu’il existe des situations où, en toute probabilité, les efforts de mitigation n’auraient rien donné. Enfin, elle rappelle que c’est l’employeur qui a le fardeau d’établir que le salarié a manqué à son obligation de mitigation et l’aggravation du préjudice qui en découle.
Appliquant ces principes, la Cour d’appel décide que pour la période durant laquelle le plaignant avait été reconnu apte à travailler par la Commission de la santé et de la sécurité du travail alors que son employeur refusait de le réintégrer (période d’une année au cours de laquelle il a reçu des prestations en vertu de l’article 48 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles), tout effort du salarié en vue de mitiger ses dommages aurait été vain. Selon toute probabilité, il n’aurait pas réussi à se trouver un emploi comparable en raison de ses recours contre l’employeur et de son absence-maladie de trois ans pour cause de dépression. En l’absence d’une preuve prépondérante d’aggravation du préjudice, on ne saurait donc faire un reproche au salarié à cet égard.
Quant à la période qui suit, période au début de laquelle la CRT a accueilli sa plainte et annulé son congédiement sans toutefois ordonner sa réintégration, la Cour d’appel estime qu’on ne peut reprocher au salarié de n’avoir entrepris aucune recherche d’emploi dans l’attente du second jugement de la CRT ordonnant sa réintégration. La Cour énonce qu’« il reste que de contraindre l’appelant à chercher entre-temps un emploi, alors qu’il sera vraisemblablement réintégré sous peu, le place dans une situation fort malaisée à l’endroit d’employeurs potentiels et donne à l’obligation de mitigation un caractère bien artificiel. » par. [131].
Cette décision qui propose une approche contextuelle recadre l’obligation de mitiger les dommages en matière d’indemnisation pour perte de salaire selon l’article 128 (2) LNT en tenant compte des faits de chaque espèce. Elle ne saurait toutefois s’appliquer aux recours intentés en vertu du droit commun, lequel ne reconnaît pas le droit à la réintégration.
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1 Carrier c. Mittal Canada Inc., 2014 QCCA 679, 4 avril 2014.