À L'ÉCHELLE INTERNATIONALE
Le 16 décembre 2013, l’Association internationale des contrôleurs d’assurance (l’« AICA »), qui regroupe les régulateurs de 140 pays, dont le Canada, publiait un document de consultation proposant à la communauté internationale une série d’exigences de sauvegarde relativement aux normes de capital ou de fonds propres réglementaires des sociétés d’assurances pouvant présenter un risque systémique à l’échelle internationale1. L’AICA avait établi plus tôt en 2013 certains critères pour permettre au Conseil de stabilité financière, un groupement économique international affilié au G20, de dresser la liste de ces assureurs systémiques mondiaux pouvant, en cas de faillite, perturber le système financier à l’échelle du globe du fait de leur taille, de leur complexité, de leur envergure mondiale, de leur degré d’interdépendance avec d’autres institutions financières ou du caractère exclusif des services qu’elles fournissent.
Ayant pour mission de promouvoir une surveillance efficace de l’industrie mondiale de l’assurance et de contribuer à sa stabilité financière à l’échelle internationale, l’AICA a ainsi entrepris une première étape de son projet devant mener à l’adoption par les pays du G20 d’un premier ensemble de normes internationales en matière de fonds propres des assureurs systémiques mondiaux jugés « trop grands pour faire faillite ».
Il était, en effet, devenu nécessaire de mettre en place un tel cadre réglementaire compte tenu de l’absence de normes internationales cohérentes en matière de capital ou de fonds propres des assureurs systémiques mondiaux, de l’inadéquation des normes destinées aux institutions bancaires prévues dans les accords de Bâle à la spécificité des sociétés d’assurances et, tel que l’aura rappelé la crise financière de 2008, de l’importance d’assurer une meilleure résilience de ces importantes institutions d’assurance face aux éventuelles perturbations économiques.
À la suite des consultations en cours effectuées par l’AICA, il est prévu que la conclusion de cette première étape consistera en l’adoption finale de ces premières normes internationales par le G20 au mois de novembre 2014 à l’occasion du prochain sommet du G20 à Brisbane en Australie.
L’AICA prévoit franchir la seconde étape de son projet vers la fin de l’année 2015 en adoptant une série de normes additionnelles visant des cibles plus élevées en matière d’absorption des pertes pour toutes les sociétés d’assurances jugées d’importance systémique mondiale.
L’étape finale du projet consistera en l’adoption par le G20 de normes internationales en matière de fonds propres des sociétés d’assurances basées sur le risque, appelées « Risk-based group-wide global insurance capital standards » ou « ICS ». Ces normes ICS seront destinées aux sociétés d’assurances actives à l’échelle internationale, ce qui inclut notamment les assureurs d’importance systémique mondiale. Les travaux relatifs aux normes ICS devraient se terminer vers la fin de l’année 2016.
L’AICA prévoit que la mise en oeuvre intégrale de son cadre réglementaire international pour les sociétés d’assurances devrait débuter en 2019, après deux années d’essais pratiques et d’ajustements de ses normes qui seront effectués en 2017 et 2018.
Notons finalement que le Conseil de stabilité financière a diffusé le 18 juillet 2013 une première liste des assureurs systémiques mondiaux. Aucune société d’assurances canadienne ne figurait parmi les neuf sociétés répertoriées2. Il faut cependant savoir que cette liste est appelée à être mise à jour annuellement à partir de novembre 2014.
AU CANADA
À l’échelle canadienne, le Bureau du surintendant des institutions financières (le « BSIF ») participe aux initiatives de l’AICA dans le but d’en promouvoir l’harmonisation avec son propre cadre du capital réglementaire applicable aux sociétés d’assurance-vie fédérales, lequel est actuellement prévu dans certaines lignes directrices du BSIF3.
En septembre 2012, le BSIF diffusait son Cadre de réglementation des sociétés d’assurance-vie, document énonçant les priorités du BSIF relativement à la réglementation des sociétés d’assurance-vie à charte fédérale4 et annonçant notamment une révision en profondeur des exigences en matière de suffisance du capital pour ces assureurs. Dans un communiqué émis le 12 novembre 2013, le BSIF faisait le point sur la première année suivant l’entrée en vigueur de ce cadre de réglementation.
Le nouveau cadre de réglementation proposé prévoit l’adoption d’une nouvelle ligne directrice sur les exigences relatives au capital réglementaire. Il est prévu que cette ligne directrice devra notamment (i) intégrer de nouveaux risques qui ne sont pas explicitement pris en compte dans le cadre actuel; (ii) tenir compte de la situation des petites sociétés d’assurance-vie ainsi que de celle des sociétés plus grandes et plus complexes; (iii) établir des liens entre les mesures des risques et la qualité du capital disponible pour absorber les pertes; et (iv) tenir compte des interactions entre les risques (diversification/concentration).
Bien qu’il fût initialement prévu que la consultation des membres de l’industrie se termine en 2014 et que la mise en oeuvre progressive des modifications soit effectuée entre 2014 et 2016, le BSIF indiquait dans son communiqué du 12 novembre 2013 que la date limite pour parachever le nouveau cadre de capital était reportée à 2016 et que son entrée en vigueur était dorénavant prévue pour 2018.
Le BSIF prévoit donc poursuivre ses travaux sur son nouveau cadre de capital réglementaire et publier en 2016, pour fins de consultation publique, une version provisoire de sa nouvelle ligne directrice. La période comprise entre 2016 et 2018 permettra d’effectuer des essais parallèles avant la mise en oeuvre complète de cette nouvelle ligne directrice prévue pour 2018.
Parallèlement, le BSIF annonçait en décembre 2013 l’adoption de modifications apportées à sa ligne directrice sur le MMPRCE. Les modifications apportées prennent en compte les changements des normes comptables, fournissent des éclaircissements aux utilisateurs et tiennent compte des récentes lignes directrices A-4 et E-19 visant l’instauration de systèmes d’évaluation internes des risques et du capital par les sociétés d’assurance-vie. Les modifications au MMPRCE sont entrées en vigueur le 1er janvier 2014.
LE QUÉBEC
Finalement, notons que l’Autorité des marchés financiers (l’« AMF ») annonçait le 18 décembre 2013, l’adoption de modifications à sa Ligne directrice sur les exigences en matière de suffisance des fonds propres applicable aux assureurs détenant un permis pour opérer dans le domaine de l’assurance de personnes au Québec5.
Les modifications apportées à cette occasion demeurent somme toute mineures. Il s’agit principalement de mesures d’harmonisation de la réglementation québécoise avec les normes du BSIF ou de l’OCDE, de l’adaptation du vocabulaire comptable et de clarifications apportées en réponse à des questions soulevées par les membres de l’industrie.
Le changement le plus notable est certainement celui qui concerne le traitement des risques propres aux filiales d’assurance de dommages détenues par les compagnies d’assurance de personnes. L’AMF explique que les changements apportés à cet effet permettront maintenant de tenir compte de certains risques qui n’étaient pas considérés jusqu’alors.
Les modifications à cette ligne directrice de l’AMF sont entrées en vigueur le 1er janvier 2014. Les modifications relatives au traitement des filiales en assurance de dommages ne prendront cependant effet que le 1er janvier 2015.
CONCLUSION
Les récentes initiatives des différents organismes de réglementation de l’industrie de l’assurance, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale, témoignent du souci grandissant que représente la question de la solvabilité et de la bonne capitalisation de ces institutions financières.
Alors que les normes internationales de capital étaient jusqu’ici surtout réservées à l’industrie bancaire, la communauté internationale a reconnu l’importance systémique des compagnies d’assurance et le besoin de pourvoir cette industrie de normes mondiales spécifiquement adaptées à leur modèle d’opération. Sur le plan canadien et québécois, le BSIF semble suivre de près ces développements et l’AMF a démontré qu’elle poursuivait ses efforts d’harmonisation.
La crise de 2008, et notamment le cas d’AIG, aura certainement confirmé le besoin fondamental de garantir la robustesse des sociétés d’assurance-vie afin d’accroître la capacité du système financier à absorber les chocs générés par des tensions financières et économiques, et de réduire tout autant le risque de répercussions sur l’économie réelle.
Le défi auquel fait face à présent la communauté financière et réglementaire est certainement celui de la vitesse à laquelle les normes élaborées sont susceptibles de devenir désuètes compte tenu du rythme auquel les marchés financiers évoluent. Les autorités réglementaires devront s’assurer de l’adaptation de leur régime normatif à la mesure du développement des opérations financières, qui se font toujours plus complexes et plus sophistiquées. Il est donc à prévoir que le système de réglementation prudentiel sera appelé à s’ajuster constamment. Les sociétés d’assurance- vie n’auront d’autre choix que de demeurer à l’affût.
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1 Basic Capital Requirements (BCR) for Global Systemically Important Insurers (G-SIIs) : Proposal.
2 En ordre alphabétique : Allianz SE; American International Group, Inc.; Assicurazioni Generali S.p.A.; Aviva plc; Axa S.A; MetLife, Inc.; Ping An Insurance (Group) Company of China, Ltd.; Prudential Financial, Inc.; Prudential plc.
3 Lignes directrices sur le Montant minimal permanent requis pour le capital et l’excédent (MMPRCE), Ligne directrice A-4 – Capital réglementaire et cibles internes de capital et Ligne directrice E-19 – Évaluation interne des risques et de la solvabilité (dispositif ORSA).
4 Bien que les provinces soient compétentes pour réglementer les questions de suffisance des capitaux eu égard aux compagnies d’assurances exerçant sur leur territoire, plusieurs d’entre elles ont décidé, par commodité, de déléguer ce rôle au BSIF. De ce fait, les exigences du BSIF en matière de capital s’appliquent non seulement aux sociétés d’assurances à charte fédérale mais également à celles qui possèdent une charte d’une autre province ayant une entente avec le BSIF à cet effet. Le Québec a plutôt choisi de réglementer lui-même l’activité des compagnies d’assurances opérant sur son territoire.
5 Il faut savoir qu’en pratique cependant, les compagnies d’assurance de personnes à charte fédérale ou constituées en vertu d’une loi d’une autre province et qui se soumettent aux exigences du BSIF en matière de capital réglementaire seront considérées comme satisfaisant également aux exigences de l’AMF en la matière.